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Redessiner le profil d’un système territorial concurrentiel

Comme au niveau suisse, la problématique durant les années 1930 concerne principalement les prix. Les hôteliers montreusiens, dans un premier temps, luttent pour maintenir des prix élevés. En 1935, les prix sont considérés comme étant bas entre CHF 5.- et CHF 6.- par jour94. En 1927, la pension à l’hôtel Alpina est à CHF 9.-, au Régina à CHF 16.-, au Caux-Palace à CHF 19.-. (Dechêne, 1998) En 1923, le café au tea-room du Pavillon des Sports était à CHF 1.- (Collectif, 2006). On peut raisonnablement penser qu’une offre standard et familiale comme celle de la famille Rouge à Caux

94 La situation du tourisme à Montreux. La question des prix. Un programme d’action. Rapport présenté à la Société Fiduciaire de l’Hôtellerie à Zurich, le 10 décembre 1935, Archives cantonales vaudoises S 120/306

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n’était pas surévaluée. Même en tenant compte de l’évolution de l’indice des prix à la consommation95, c’est bien une guerre des prix qui se mène, à Montreux comme au niveau suisse. La politique de la SSH est de maintenir des prix élevés, et de tendre vers un tourisme qui se distingue du sillon qui se trace alors en Europe : les vacances populaires. Or pour les acteurs de systèmes territoriaux entrés sur le marché précédemment, la situation est trop difficile parce qu’il ne sont pas en mesure de proposer une offre à forte valeur ajoutée : en 1935, après le Tessin, des hôteliers montreusiens96 s’associent à Duttweiler et à son « Hotel-plan » (Narindal, 2012). Paradoxalement, le caractère novateur de cette initiative va permettre de générer de la propagande gratuite pour la station, contrariant encore les dirigeants locaux de la SHM, qui s’efforcent de cibler leur propagande sur une clientèle aisée. Certains hôtels sont même directement repris par des organisations syndicales pour promouvoir les vacances des travailleurs, comme l’hôtel de Sonloup, aux Avants, racheté par la Fédération Suisse des Cheminots (Cochard, 2010).

Au regard de la trajectoire, vingt ans après le début de la Première Guerre mondiale, la situation financière des hôteliers a donc été complètement modifiée. Le fait d’avoir pratiqué des prix trop peu élevés avant 1914, et de ne pas avoir privilégié la constitution de réserves, les rendent complètement vulnérables durant cette période. Ils ont des difficultés à trouver des capitaux pour rénover leurs installations et se positionner ainsi de manière plus favorable sur le marché puisqu’ils sont avant tout de grands débiteurs. En conséquence, l’offre se réduit : le nombre de lits disponibles passe de 7'490 en 1913 à 4'600 en 1945, soit une baisse annuelle moyenne de 1.4%. De même le nombre d’arrivées hôtelières baisse sur toute la période (de 76'578 à 24'260, soit une baisse annuelle moyenne de 3.6%).

Le problème du tourisme montreusien et plus généralement vaudois est donc un problème de prix. Pour cela, mais aussi en raison de son inefficacité publicitaire, le tourisme vaudois fait preuve de retard au vu de la concurrence : dans les Grisons le « Verkehrsverein für Graubünden » contient la liste de tous les hôtels (appartenant ou non à la SSH) (Narindal, 2012). Dans ce sens, on peut dire que les institutions locales et cantonales ne saisissent pas l’importance de la diversité de l’offre nécessaire à cette heure au regard de l’évolution de la demande. Si dans les faits l’offre hôtelière a de tout temps été plurielle (voir Figure 11), ceci doit désormais être promu, et non plus caché. C’est un apprentissage que vont faire les acteurs du système territorial de Montreux durant cette période, qu’ils n’exploiteront que durant la période suivante.

Dans le rapport qui fait état de la situation du tourisme à Montreux en 193597, le manque de coordination en ce qui concerne la propagande est particulièrement montré du doigt. C’est un élément devenu fondamental face à l’accroissement continu de la concurrence. Pour contrer les effets exogènes sur le capital (la concurrence tarifaire), c’est un levier mobilisable pour influencer le capital de manière endogène (Leimgruber, 2001). Avec la propagande, les acteurs du système territorial ont une marge de manœuvre en ce qui concerne la dynamique d’innovation, via la fongibilité. Mais, en raison du sentier parcouru jusqu’ici, cette fongibilité de nouvelles significations, à l’attention d’une clientèle plus populaire n’est pas aisée. Les hôteliers notamment s’attachent à des

95 L’indice des prix à la consommation est de 164 en 1923, 160 en 1927, 128 en 1935 et 152 en 1940 (Historical statistic of Switzerland)

96 On ignore malheureusement leur nombre. Anna Rouge à l’Alpina y renonce (Dechêne, 1998).

97 La situation du tourisme à Montreux. La question des prix. Un programme d’action. Rapport présenté à la Société Fiduciaire de l’Hôtellerie à Zurich, le 10 décembre 1935, Archives cantonales vaudoises S 120/306

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formes de coordination et à des méthodes de communication désuètes. La parution du Journal (et liste) des Etrangers ne cesse par exemple qu’en 1939 (il avait été remanié cependant en 1924 (Gozzelino & Vuille, 1986)). En 1921 est néanmoins créée la Société de Développement de Montreux et Environs98. Elle regroupe la Société de Divertissements, la Société d’utilité publique, la Société d’embellissement, le Syndicat des Intérêts de Montreux (organe de propagande), et le Syndicat pour la réclame collective de Territet-Glion-Caux. Subsistent durant cette période trois différentes sources de propagande pour le tourisme montreusien: les hôteliers eux-mêmes qui font paraître des annonces pour leurs hôtels, la SHM et la Société de Développement. Cependant, en raison d’un accord qui la lie à la SHM99, la Société de Développement ne relaie qu’une partie de l’offre hôtelière. Néanmoins, sa création constitue une avancée puisqu’elle regroupe une offre et profile Montreux en tant que station auprès de la clientèle.

L’enjeu concernant la propagande serait que la Société de Développement prenne le relais de la SHM, et qu’en outre elle prenne en compte la totalité de l’offre hôtelière à Montreux. Cet enjeu se traduit par des débats concernant la mise en place d’une taxe de séjour officielle, qui remplacerait la kurtaxe100. D’après le rapport, elle permettrait d’amener plus de CHF 60'000.- dans les caisses de la Société de Développement. Les hôteliers ne sont pas favorables à cette solution. Comme on l’a vu, ils défendent des prix et un standing élevés. On ne dispose pas de chiffres concernant les investissements individuels en termes de publicité, mais, selon les auteurs du rapport, il suffirait que les hôtels renoncent à 50% de leurs dépenses particulières pour couvrir les frais d’une propagande commune efficace. Un budget global (minimum) de CHF 125'000.- est préconisé pour la Société de Développement (y compris la propagande, CHF 80'000.-). L’instauration d’une taxe de séjour permettrait d’apporter CHF 60'000.- à ce budget. Finalement, un accord ne sera trouvé entre les trois communes (y compris Veytaux) et la SHM qu’en 1942, date d’instauration de la nouvelle taxe de séjour (entre 30 et 60 ct. par nuitée) (Mettler, 1979).

D’après l’analyse des chiffres des cotisations pour la Société de Développement, il semble que les cotisations annuelles des hôteliers pour la Société de Développement sont relativement faibles. Manifestement, les hôteliers ont encore confiance dans l’institution qui fédère leur corporation et ne réalisent pas encore que l’enjeu se situe désormais vers une hôtellerie moins prestigieuse, mais également au-delà de l’hôtellerie. Cette attitude est compréhensible au regard des défis qui sont imposés aux tenanciers de ces établissements au jour le jour. Leur priorité consiste à moderniser leurs propres infrastructures, et la problématique de la propagande leur semble lointaine, d’autant plus si elle doit bénéficier à l’ensemble de la station plutôt qu’à leur propre établissement. Les expériences leur montrent que la modernisation des infrastructures améliore le taux de fréquentation, comme par exemple à Caux, où le Grand Hôtel subit des rénovations en 1925

98 Idem.

99Seuls les membres se la SHM – qui a passé un accord avec la Société de Développement, comme la SSH avec les CFF – bénéficient de la publicité. Au niveau suisse, cela représente 115'000 des 200'000 lits disponibles. On ignore la proportion des lits ne bénéficiant pas de la publicité à Montreux, et pratiquant ainsi des prix bas.

100 La kurtaxe, gérée par l’administration du kursaal, est récoltée auprès des membres de la SHM. Augmentée en 1925, la moitié de la récolte va à la propagande collective, tandis que l’autre moitié est versée au kursaal (Mettler, 1979). Pour la SHM, le budget de propagande (et les subventions au kursaal) est ainsi proportionnel au nombre de nuitées effectuées dans la station l’année précédente, ce qui est un problème puisque la publicité devrait au contraire être augmentée pour engendrer des arrivées et des nuitées supplémentaires. A la fin des années 1920, (vraisemblablement entre 1927 et 1931), la SHM fait un effort particulier en dépensant entre CHF 40'000.- et CHF 65'000.- francs par année pour des annonces.

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notamment pour les sanitaires (Lapointe, 2008). Mais il y a pourtant un décalage important qui se creuse avec l’évolution de la demande, qui est justement particulièrement sensible à la propagande, en sus de la modernité des infrastructures offertes. Au Caux-Palace, les rénovations ne débutent qu’en 1930 (après cinq années de recherche de fonds), mais l’établissement finira par être mis en vente en 1937101.

La situation est à ce point critique que la Société de Développement met en place une loterie « Pro-Montreux »102 à laquelle les hôteliers, mais aussi les autres corps de métier de la station103, participent, tout comme ils cotisent à ladite Société de Développement. Même les professions libérales (médecins, avocats, notaires, dentistes) apportent leur contribution (à 60.- par année), bien qu’elles ne participent pas à la loterie « Pro-Montreux ». Dans la mesure où ces acteurs prennent directement part au financement de la propagande, on peut dire qu’ils se trouvent en première ligne du tourisme, et dans ce sens parler d’emplois ou de revenus induits peut paraître réducteur. Ils financent directement un support à la production touristique, devenue incontournable, et bénéficient en retour des revenus des touristes qui viennent séjourner – ou s’installer – dans la région.

Au-delà des aspects quantitatifs et de coordination, la station a durant cette période beaucoup de lacunes en ce qui concerne l’intervention qualitative sur le marché en termes de propagande. Non seulement il faut intervenir sur le marché en faisant de la propagande, mais il est nécessaire de procéder à des opérations de communication correspondant aux conventions de l’époque. Ainsi le plan proposé valorise différents supports : affiches, films, diaporamas, vitrines, photographies, prospectus (spécialisés selon qu’ils traitent de la station en général, du climat, des sports).

B. Développement de l’excursionnisme et de la consommation locale de biens et services de