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Le développement économique de Montreux à travers l’industrie touristique avant

B. Sophistication et élargissement de l’offre hôtelière

2.1.4. Le développement économique de Montreux à travers l’industrie touristique avant

Au vu des éléments présentés précédemment, nous revenons ci-dessous sur l’appréciation générale de la trajectoire au regard du régime d’accumulation socio-économique. Les éléments présentés jusqu’ici confirment dans l’ensemble la périodisation qui a été faite lors du tracé général de la trajectoire. En effet dans un premier temps, à partir des années 1850, la dynamique monétaire est caractérisée par des formes de vie économique relevant de l’auto-production/auto-consommation, ainsi que progressivement par des formes d’économie de marché. Quantitativement, avant 1850 les prémisses du tourisme pèsent peu, monétairement parlant, dans le système économique montreusien. Cependant la production de biens et services touristiques dans une logique de marché se consolide rapidement. Ainsi ces formes de production sont complétées à partir des années 1885-1890 par des formes de vie économique relevant du capitalisme, cependant que les autres formes de vie économique constituent l’essentiel du système territorial.

Les prémisses du tourisme à Montreux avant 1850 marquent un changement fondamental, dans la mesure où, du point de vue des flux monétaires, les revenus ne dépendent plus uniquement de la transformation de matières premières tirées du sol. Désormais, le territoire constitue une ressource sous une autre forme, une ressource qui, avec sa dimension immatérielle, permet de générer des revenus. Par le biais des étrangers venant admirer un paysage dont la « signification » a été rendue disponible par des œuvres littéraires, les habitants de ce territoire encore ancré dans la viticulture et l’agriculture apprennent que le territoire peut constituer une ressource économique dans sa dimension signifiante. Certes, des formes d’économie de marché existaient déjà dans une certaine mesure auparavant, avec le commerce des biens issus de la paysannerie et de l’agriculture. Cependant avec le tourisme, la création de valeur se situe au-delà de la valeur d’usage substantive ; une économie de marché de la connaissance au sens contemporain du terme relève d’une configuration institutionnelle socio-économique différente d’une économie de marché industrielle traditionnelle. La connaissance signifiante amène à une dynamique économique nouvelle qui marque le début de la trajectoire : la dynamique de connaissances est marquée par un processus d’ancrage

74 Rapport de la Commission de contrôle de la Commune du Châtelard-Montreux à Monsieur le Président de la Chambre des poursuites et faillites du Tribunal fédéral suisse du 19 février 1937, Archives de Montreux, Chd C7/16

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qui permet le développement d’une nouvelle forme de vie économique, d’un système territorial particulièrement innovant pour l’époque.

L’ancrage de connaissances signifiantes qui rend disponible le paysage en tant que ressource remonte à la fin du XVIIIème siècle, prend de l’importance à partir de 1830 avec les premières véritables pensions, avant de s’imposer effectivement vers 1850. En effet, depuis les années 1820 environ, des personnes étrangères viennent pour un temps dans la région admirer le paysage sur les traces de Byron et Rousseau. Dans un premier temps, ces étrangers résident chez l’habitant. Rapidement, certains propriétaires vont institutionnaliser cette pratique en créant des pensions et auberges dans les murs existants, ainsi qu’en construisant de nouveaux bâtiments destinés à cette seule activité économique. Dès 1870, on observe une sophistication des infrastructures d’hébergement, sophistication qui s’accélère non sans être en lien avec l’apparition d’institutions relevant d’une forme d’économie de type capitaliste, à partir des années 1890. Cette dynamique territoriale de connaissances consiste alors à mobiliser une palette toujours plus large de connaissances permettant de générer des revenus, par le biais de l’hôtellerie principalement. Mais ces connaissances ne sont pas pour autant substantives, la valeur ajoutée d’un service touristique relève principalement de connaissances signifiantes : la valeur est créée dans l’interaction, sur le territoire, en s’appuyant sur la maîtrise de technologies substantielle (bâtiments, chemins de fer, etc.). Les dynamiques de complexité et de fongibilité sont soutenues, l’ensemble des acteurs mobilisant entièrement le potentiel de mobilité des personnes et de l’information (médias, publications, guides, etc.).

Durant cette longue première phase de la trajectoire, on peut dire de manière générale que la forte croissance de revenus basiques a engendré un rapide développement de l’économie régionale. Le tissu économique local s’est étoffé grâce aux touristes en séjour, combiné à la venue de résidents fortunés, ce qui permet l’instauration d’un service à la population locale telle que l’infirmerie et d’infrastructures comme les routes et les chemins de fer, l’aménagement des rues, etc. L’activité touristique dépasse ainsi les frontières de l’hôtellerie, Montreux présentant assez rapidement dans sa trajectoire les bases d’une économie urbaine qui a pour particularité d’alimenter la croissance de revenus basiques.

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2.2. 1914-1945 : De la crise de l’industrie touristique à la complémentarités des

dimensions présentielles

Le déclenchement de la guerre en 1914 provoque un choc à Montreux comme dans les autres régions touristiques du pays. Sur les cinq derniers mois de l’année, on compte 27'000 arrivées en moins par rapport à la même période en 1913 (Mettler, 1979). Pour les acteurs du système territorial, c’est une longue crise qui s’installe, une crise certes accentuée par le conflit mondial, mais une crise structurelle : quand le marché va reprendre et que de nouvelles stations vont être créées, puis rapidement se développer, Montreux va connaître encore de nombreuses années difficiles. Cette phase de transition entre 1914 et 1945 comprend en réalité deux périodes distinctes : la première de 1914 à 1930, où on assiste à un arrêt progressif du relais, puis de 1931 à 1945, lorsque financièrement les établissements privés et publics touchent le fond en raison de la crise, et reprennent péniblement leurs activités, mais sur de nouvelles bases alors encore en devenir.

Les configurations effectives durant la phase précédente persistent, et notamment durant la reprise conjoncturelle des années 1926-193075. Au niveau national, on note cependant en 1926 l’entrée en vigueur de la loi sur la création et l’extension d’entreprises hôtelières. Dans le contexte général du tourisme et du point de vue de la construction du marché, les acteurs locaux réussissent dans un premier temps à remobiliser les connaissances antérieures à la guerre à partir du milieu des années 1920, tout en bénéficiant d’une meilleure conjoncture. Cela permet à Montreux de bénéficier d’un répit de quatre années, dissimulant la crise structurelle à laquelle la station devra violemment faire face durant les années trente.

La crise économique des années 1930 marque définitivement une rupture quant aux à aux configurations institutionnelles : le système territorial tend vers des dynamiques monétaires et de connaissances qui ne concernent plus le tourisme mondain de la Belle-Epoque et précédent. Comme au niveau suisse, entre 1928 et 1935 un tournant va être pris, qui ne se concrétisera véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale. Dans les esprits, le tourisme prend la place de l’industrie des étrangers. Avec la chute des Empires centraux, ils doivent se profiler essentiellement sur la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. La clientèle suisse gagne en importance également : aux Fougères elle est de 60% en 1920. En 1896, les Allemands et Russes cumulés formaient 39% de la clientèle76. En 1926, les touristes allemands sont deux fois moins nombreux que les touristes suisses en séjour à Montreux. Après la Première Guerre mondiale, les hôteliers sont également confrontés à une hausse des coûts d’exploitation (matières premières, combustibles, intérêts, ressources humaines). Outre la disparition d’une partie de la clientèle, durant les guerres, puis encore pendant l’entre-deux-guerres, de nombreux hôtels ferment des chambres disponibles pour faire baisser les coûts d’exploitation (d’après la SSH de 60%, notamment en raison de la main d’œuvre77).

Les conséquences pour Montreux durant l’entre-deux guerres vont se traduire en un fort ralentissement de l’activité. Le nombre de touristes diminue, les coûts d’exploitation augmentent, et

75 La reprise permettra même à certaines sociétés hôtelières de verser des dividendes.

76 Rapport du Cercle de Montreux. Statistique industrielle et Commerciale. 1899. S3, Archives de Montreux

77 Durant la Belle-Epoque par exemple, une quantité importante de travailleurs dans les établissements hôteliers vivaient des pourboires versés par la clientèle et non des salaires versés par la direction : concierges, portiers, liftiers et grooms.

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les droits des employés vont croissant. L’aboutissement à ce niveau sera l’adoption d’un contrat collectif de travail dans l’hôtellerie et la restauration vaudoise en 1943. Le tourisme en tant que secteur perd de son aura ; il est considéré comme malade et les investisseurs s’en détournent. Paradoxalement, au-delà de Montreux c’est à cette époque que le tourisme bénéficie de toute la confiance des investisseurs. Parce que la région se trouve complètement dépendante de cette source de revenu, elle n’aura de solution que de s’adapter aux nouvelles conditions du marché. Pour cela, elle devra compter sur les interventions extérieures, qui vont se multiplier pour sauver la région, à commencer par la commune du Châtelard qui se retrouve mise sous contrôle par l’Etat de Vaud, et la Banque de Montreux en faillite reprise par la BCV.

La cohérence du système territorial grâce auquel les touristes accordent une certaine valeur aux produits et services pour lesquels ils déboursaient de l’argent ne correspond plus aux nouvelles attentes. Les infrastructures hôtelières sont vieillies, démodées, la fonctionnalité des produits et services touristiques ne répond pas aux demandes en termes de loisirs, les prix sont trop élevés, la stratégie marketing est inexistante. Et, pendant ce temps, des concurrents naissent et progressent. Les Grisons et le Valais en Suisse principalement, mais également l’étranger. En Autriche par exemple durant les années trente, alors que les sports d’hiver connaissent leur véritable expansion, les formes d’hébergement sont adaptées à une demande moins extravagante en termes de confort, et surtout moins chère. Les "privatquartiere" (habitations offrant des chambres d'hôtes) (Tissot, 2012) offrent un accueil intégré au tissu local, donc favorable à la nouvelle clientèle qui est la classe moyenne.

On assiste aux prémisses de la métamorphose, qui implique une combinaison de facteurs endogènes et exogènes : d’une part, d’un point de vue endogène, une génération d’acteurs locaux passe pour que l’on constate un véritable changement institutionnel. D’autre part, au niveau exogène, le contexte global va avoir un impact sur la configuration locale, c’est-à-dire après-guerre, puisqu’avec la reprise conjoncturelle d’après-guerre et les Trente glorieuses, le tourisme va prendre une ampleur considérable au niveau mondial, le potentiel de clientèle augmenter très fortement, tendre vers le tourisme populaire, et en conséquence la concurrence augmenter de pareille manière.