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Parallèlement aux qualités « authentiques » du système territorial, les dimensions fonctionnelles doivent impérativement être assurées pour maintenir l’attractivité du territoire pour diverses formes de dépenses. Comme on l’a vu avec l’hôtellerie, dans un premier temps après la guerre les critères de prix, le confort et l’esthétique standardisée étaient fondamentaux. La nouvelle accession aux loisirs par les classes populaires a rendu la mobilité automobile notamment indispensable. Les infrastructures touristiques dédiées au tourisme d’agrément reposant sur des technologies de transport d’avant-guerre prennent une nouvelle dimension. Le tramway par exemple, qui avait jusqu’en 1914 assuré une fonction de support de mobilité urbaine après avoir d’abord été un objet attractif en raison de son caractère innovant exclusif, a perdu au fil du temps de sa performance sur ces deux niveaux. Dès 1938, il avait été question d’une transformation du tramway en trolleybus, les voitures (qui dataient de 1913) n’étant plus assez performantes (Desponds & Lüthi-Graf, 2004). C’est en 1946 qu’est reprise cette idée. La SRE qui reste maîtresse du SEVM reçoit une nouvelle concession pour la transformation, qui sera réalisée en plusieurs étapes. Finalement la nouvelle ligne est mise en service en janvier 1958.

La commune soutient certes les fonctions touristiques des infrastructures de transport, mais également leur fonctionnalité pour les habitants. Les prestations de la commune en faveur des transports sont ainsi réunies au poste « transports publics » dans les comptes communaux : MOB, CEV (Chemins de fer électriques Veveysans ; Vevey-Blonay-Les Pléiades), service autobus CCB (Clarens-Chailly-Blonay) qui a remplacé en 1955 le chemin de fer du même nom, la CGN, le Territet-Mont Fleuri (exploitation arrêtée en novembre 1992), le Blonay-Chamby.

Figure 64. Subventions communales en faveur des transports entre 1970 et 1991 (1997). Sources: Rapports de gestion de la commune de Montreux 1970-1997, Mtx 1997 0 500000 1000000 1500000 2000000 2500000 3000000 1970 1975 1980 1985 1990 1995

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Le problème principal des chemins de fer est que ces lignes ne garantissent pas la génération de revenus basiques suffisants pour couvrir des frais d’exploitation importants, et encore moins pour dégager des bénéfices. D’autres part ces infrastructures ne constituent plus un avantage concurrentiel suffisant pour générer indirectement des revenus élevés via l’hôtellerie. La forte valeur ajoutée directe et indirecte de ces prestations en tant qu’activité de loisir à part entière a laissé place à une valeur relative au service fonctionnel. Par exemple le cas du funiculaire Les Avants-Sonloup (LAS) (Cochard, 2010), qui échappe à plusieurs reprises à la disparition. Propriété du MOB, dans l’après-guerre, l’installation est contrainte d’être modernisée, et son exploitation rationalisée (notamment via son automatisation permettant de supprimer le poste de machiniste). Les résultats d’exploitation restant insuffisants, en 1972 la direction du MOB s’interroge sur son avenir. Grâce à la mobilisation de la Société de développement des Avants, de la Fédération suisse des cheminots, et des autorités communales, une solution est trouvée pour que l’installation réponde aux normes de l’Office fédéral des transports. Certains moyens de transport moins périphériques démontrent plus aisément leur importance dans le système territorial grâce à leur aspect patrimonial (par exemple les bateaux de la CGN, cette dernière s’attelant à grands frais à la restauration de sa flotte Belle-Epoque), et/ou à leurs fonctions pour la mobilité inter-régionale. Son intérêt patrimonial a sauvé le LAS, combiné au fait qu’il soit connecté directement à la ligne du MOB (le départ du LAS se situe à la gare MOB des Avants). C’est le cas également du chemin de fer Montreux-Rochers-de-Naye, qui constitue un belvédère plus ouvert que celui du LAS208.

Le MOB mobilise également son patrimoine avec la mise en circulation récente de wagons (neufs) d’époque209 (Figure 66). Toutefois, c’est d’une part le trajet qui importe dans la création de valeur de ce chemin de fer (Montreux à Gstaad, puis Zweisimmen, c’est-à-dire au Pays d’Enhaut et à l’Oberland Bernois). A cela s’ajoutent d’abord le paysage appréciable durant ce trajet, ainsi que les particularités relatives au « confort historique » du trajet. De plus, il faut signaler que la voie est également un moyen de transport utile aux résidents de ces différents lieux (y compris au niveau de la commune de Montreux elle-même avec les arrêts Montreux-Collège, Vuarennes, Belmont, Châtelard, Planchamp, Fontanivent, Chernex, Sonzier, Chamby, Sendy-Sollard, Les Avants, et Jor. En outre, comme le LAS, plusieurs lignes sont gérées par

GoldenPass Services, une société-mère qui regroupe différentes sociétés : elle exploite les lignes MOB (Montreux-Zweisimmen et Zweisimmen-Lenk), et les Transports Montreux-Vevey Riviera (Montreux – Glion – Les Rochers-de-Naye / Veyey – Blonay – Les Pléiades / Vevey – Chardonne – Mt-Pèlerin / Territet – Glion / Les Avants – Sonloup), et le Garage Parc Montreux Gare SA (le parking souterrain de la gare). En outre des lignes postales, bus d’excursions et agences de voyage sont

208 A noter encore que le sommet des Rochers-de-Naye, outre le jardin botanique datant de la période de relais, a été agrémenté d’un espace dénommé « Marmottes Paradis », où comme son nom l’indique le public est invité à observer les marmottes hébergées dans sept parcs. Il s’agit là de compléter l’offre « paysagère » (être sur place) d’une pratique particulière (observer les marmottes).

209 Il s’agit d’une reproduction des wagons Pullman des années 1930. Voir point 2.2.1.A.

Figure 65. Les Avants et le funiculaire LAS. Source : www.postcard-heaven.co.uk

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exploités par Lathion Voyages et Transports SA à Sion, propriété de Voyages et Services automobiles MOB SA. Existe enfin une société GoldenPass SA, qui « n’a pas d’activités pour le moment. Son but est le financement de projets ferroviaires et de transports en tout genre; développement d’activités, notamment au niveau du marketing, en relation avec les chemins de fer, les voyages et le tourisme. »210 Si juridiquement les sociétés gérées par GoldenPass services restent indépendantes, nous relevons ici le fait qu’elles ne concernent plus uniquement les chemins de fer, qu’elles ont le statut d’infrastructures locales et présentielles de manière large, et enfin que ces prestations répondent à une logique gestionnaire globale et multi-locale.

Figure 66. Goldepass Classic. Source: www.goldenpass.ch Figure 67. GoldenPass Panoramic. Source : www.goldenpass.ch

Dans le cas du GoldenPass, il est particulièrement révélateur qu’une entité concernée par les chemins de fer développe ses compétences pour être active dans le secteur de la mobilité routière, illustrant ainsi les enjeux communs des dynamiques monétaires et de connaissances. Certes, dans le cas du parking la situation de ce dernier dans la gare a vraisemblablement conduit à cette diversification, mais cette dernière signale néanmoins la prise d’importance du transport automobile privé pour le système territorial dans la phase de métamorphose. Au début de cette phase, la question de la mobilité intra-urbaine est effectivement un problème qui ne contribue pas à améliorer l’image de la station, comme le relève un observateur de l’époque : « Pour beaucoup de Vaudois, Montreux est l’exemple d’une station moribonde, une sorte de musée de l’époque victorienne et un bouchon pour la circulation automobile. En traversant la localité, le visiteur se demande ce qui a pu motiver l’attrait qu’elle a exercé, question que l’on relève dans bon nombre de guides touristiques contemporains. » (Bridel, 1970) En 1970, l’ouverture de l’autoroute permet une fluidité bienvenue du trafic au niveau du lac. La fluidité du trafic va également être améliorée grâce à la suppression du passage à niveau de Vernex (Roy, 2014). L’amélioration de la mobilité passe également par la destruction certains hôtels, par exemple des travaux de réfection de la route cantonale Lausanne-Saint-Maurice prévoient la démolition de l’hôtel Joli-Site et de la Villa Florentine211 (GdL, 1967d). L’hôtel du Châtelard à Clarens est lui démoli en 1962, en raison du nouveau tracé de la rue Gambetta (Chaney & Gonthier, 2001).

La mobilité est un enjeu pour la dynamique socio-économique de développement dans la mesure où le développement du trafic routier nécessite des acteurs du système territorial d’adapter leurs infrastructures, tout en maintenant la mobilité ferroviaire. Les automobilistes sont par exemple

210 www.goldenpass.ch

211 Le bâtiment a vraisemblablement échappé à la démolition, ayant été transformée en bureaux en 1993 (Collectif, 2006)

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ciblés directement par l’OT au début de la métamorphose. En effet, en juillet 1966 l’OT s’installe dans ses nouveaux locaux. Il s’agit de deux endroits : le service administratif au deuxième étage d’un immeuble neuf en amont de la Grand-Rue, et dans un pavillon vitré construit dans le jardin de la Rouvenaz, pour les services de renseignements : « Les automobilistes, sans descendre de leur voiture, peuvent obtenir à un

guichet spécialement aménagé à cet effet tous renseignements d’ordre routier ou touristique, réserver des chambres d’hôtel et retirer des billets pour les spectacles organisés à Montreux par l’OTM. » Ce qui n’empêche pas les piétons d’être renseignés dans un « beau salon […] aux sièges très confortables, ce qui donne un caractère de conversation privée à tous les entretiens. » (L.M., 1966). D’autre part, comme on l’a vu au point 2.4.1.2, les autocaristes sont également une clientèle importante au début de la période. Et à ce sujet nous pouvons noter que la commercialisation de Montreux dépend d’une forte fongibilité au niveau des connaissances. En l’occurrence il s’agit de l’armateur Eugène Eugenides qui installe à Clarens dès la fin de la Seconde Guerre mondiale le siège de sa société Sofimar (Rieben & Rossel, 1981). Il créé en outre une société de gestion, Evge, à La Tour-de-Peilz, et dirige la compagnie de navigation Home-Lines (C.P., 1953). En 1953, en qualité de consul général honoraire de Finlande, il organise dans la villa Karma où il réside une réception en présence de deux conseillers d’Etat notamment, à l’occasion de l’arrivée sur la Riviera vaudoise du premier car de la compagnie finlandaise Suomen Turistiauto (GdL, 1953). On ignore dans quelle mesure Eugenides a été sollicité par les autorités locales ou si c’est l’initiative de ce dernier qui a conduit à l’ouverture de ce nouveau marché nordique des autocaristes, cependant il est intéressant de noter l’implication à Montreux de l’homme d’affaires.

A une époque où le transport aérien est en pleine croissance, il est également question de mobilité aéronautique, que ce soit pour l’accessibilité ou en tant que pratique d’agrément dans les environs. Dans un premier temps on parle du développement des excursions en direction des sommets, c’est-à-dire de l’aviation comme produit touristique. A peu près à la même époque, durant les années 1950, il est également question du transport aérien de ligne, une piste en dur pouvant éventuellement accueillir des charters212. Chillon Airport est présent en 1949 déjà dans les archives213, alors qu’une demande d’emprunt est émise pour l’achat de terrains et des frais d’aménagement. Vraisemblablement, cette société (qui bénéficie de quelques subventions communales) existait déjà auparavant dans la mesure où le notaire Mottier rédigeant cette requête suggère que la raison sociale soit « remplacée par un autre mettant mieux en relief la communauté d’intérêts entre Montreux et Vevey ». Il est possible que cette première entité ait concerné l’aéronautique touristique en hydravion. Cette technologie a également été mobilisée pour le transport de ligne, en l’occurrence pour la ligne Southampton-Montreux. Cependant la liaison de la compagnie britannique Aquila Airways semble n’avoir été effective qu’en 1957 (JdG, 1957a, 1957b).

212 Correspondance entre l’aérodrome régional de Montreux SA à la commission d’étude pour la modernisation de l’équipement touristique et sportif de la ville de Montreux du 3 mars 1961, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

213 Correspondance notaire Mottier - CA de Chillon Airport du 14 mai 1949, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

Figure 68. Hydravion Short Solent de 49 places. Source : Collection François Cand via Roger Bornand

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On ignore malheureusement dans quelle mesure les acteurs locaux se sont impliqués dans la mise en place de cette ligne.

D’après les informations que nous avons pu recueillir, l’aérodrome de Rennaz apparaît comme un enjeu plus important : il suscite de nombreux débats. Il semblerait que l’enjeu de la création d’un nouveau support au tourisme d’agrément est apparu avec un potentiel plus fort qu’un nouvel outil de mise en liaison avec l’étranger (et qui vraisemblablement imposait également de nombreuses contraintes logistiques pour garantir la sécurité). On parle de « l’aérodrome de Montreux SA » et les vœux de sa réalisation en 1954 semblent correspondre à l’aménagement d’une piste en herbe214. Le projet stagne pendant les premières années, puis se concrétise grâce à la perspective de construction d’un aérodrome glaciaire sur le glacier de Zanfleuron (le glacier des Diablerets), parallèlement au projet de construction d’un téléphérique du Col du Pillon au Scex Rouge215. C’est donc la combinaison de deux infrastructures concernant le tourisme d’agrément au niveau régional qui permet au projet de prendre de l’élan ; le système territorial dépend à ce niveau de relais extra-locaux. Un comité d’initiative est créé, et réunit des membres de tous les cantons romands ainsi que M. Berchtold, directeur général de la Swissair.

La commission restreinte chargée du dossier reçoit également début 1958 « le pilote national des glaciers » M. Geiger216, qui vient présenter ses arguments pour la construction d’un aérodrome dans la plaine du Rhône. A la fin de l’année, l’Office fédéral de l’air accorde l’autorisation de construire l’aérodrome envisagé sur le domaine des Tilles217 (sur la commune de Rennaz près de Villeneuve). La question des subventions à ce projet fait débat durant les années 1950, les hôteliers considérant que la taxe de séjour ne doit pas intervenir. Finalement en 1960, la Fondation acquiert pour CHF 50'000.- d’actions de l’Aérodrome régional de Montreux SA (sur un capital-actions de 400'000.-218). L’aérodrome de Rennaz devient opérationnel en 1961, et permet l’exploitation des avions pour « Le Tremplin des Glaciers ». La question d’une piste en dur reste en suspend durant les années 1960, malgré un crédit de CHF 300'000.- accordé par l’Etat de Vaud219. Comme pour le premier projet, les hôteliers n’y sont pas vraiment

214 Rapport de la commission d’étude pour la modernisation de l’équipement touristique de Montreux du 27 avril 1954, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

215 Commission d’étude pour la modernisation de l’équipement touristique et sportif de la Ville de Montreux, 20 novembre 1956, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux

216 PV de la commission restreinte pour la modernisation de l’équipement touristique montreusien du 27 janvier 1958, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

217 PV de la commission restreinte pour la modernisation de l’équipement touristique montreusien du 13 novembre 1958, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

218 On ignore qui en sont les autres propriétaires. Correspondance fondation-aérodrome, année 1960, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

219 Correspondance aérodrome régional de Montreux SA 30 juillet 1963, Cercle S1/1-2 Fondation pour l’équipement touristique de Montreux 1948-1960, Archives de Montreux.

Figure 69. Aérodrome de Montreux-Rennaz. Le Tremplin des Glaciers. Source :

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favorables, préférant d’autres investissements, et plus tard la question de l’aviation perd de son importance, à l’époque où se dessinent de nouvelles perspectives en vue de la construction de l’autoroute du Simplon220.

Comme les transformations des hôtels en infrastructures fonctionnelles étaient une nécessité durant l’après-guerre, l’adaptation à la mobilité, et en particulier à la mobilité routière, semble avoir été inévitable pour Montreux, et d’autant plus en raison de son positionnement géographique, de nœud tant ferroviaire que routier. Cependant, au regard de la perte progressive d’intensité des activités présentielles de séjour, on peut se demander si ces adaptations n’ont pas eu un impact négatif à long terme, dans la mesure où si la station a gagné des nuitées en tant que ville d’étape, elle en a également perdu en tant que station.