• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : LES CROYANCES AUX PHÉNOMÈNES PARANORMAUX : UN MOYEN DE

4.3. La redéfinition du « soi »

Au cours des lectures sur le paranormal, le spiritualisme et le spiritisme, il est d’abord apparu évident que l’histoire commune des deux spiritualités et leur lien étroit avec les phénomènes inexpliqués jouent un rôle majeur. Par la suite, ces deux croyances s’éloignent l’une de l’autre à cause des attentes des croyants et de leur interprétation des phénomènes. Chez les spirites, l’expérience est nécessaire pour valider leur croyance aux phénomènes paranormaux. C’est donc une prise de conscience individuelle et non collective qui amène le spirite à rechercher une signification et la teneur du message contenu dans le phénomène paranormal. Le médium fait office de « clé » décodant le message caché derrière la symbolique spirite et crée ce que Favret-Saada appelle « la communauté émotionnelle » (1994, p.94). Ce terme fait référence à une fraternité ou un groupe dont « les liens sont

fondés sur un objectif commun » (idem) — dans le cas qui nous intéresse, ce sont les

expériences individuelles qui découlent d’expériences émotionnelles. Il y a donc une identification à une communauté qui joue le rôle de repère pour les croyants au fantastique. Le catholicisme lui aussi se redéfinit pour adopter un nouveau visage avec l’aide du bricolage religieux : « l’après-vie pour moi, c’est ce que tu vas en faire. C’est être bien.

Quand tu traverses à travers la lumière, c’est que tu as bien fait les choses » (Entretien

avec Robert, juillet 2015, Sainte-Monique). Pour Robert qui est catholique, mais ne pratique pas sa religion au quotidien par choix, la présence d’un fantôme peut être le résultat d’une « malemort » — qui est une mort soudaine, abrupte et violente — dont le défunt n’aurait pas accompli son destin, n’aurait pas eu des hommages funéraires et s’en retrouverait bouleversé au niveau des émotions même dans la mort. Les spirites favorisent les émotions qui se poursuivent dans l’après-vie, conditionnant le passage ou non vers l’au- delà.

84

Cette pluralité de croyances chez le croyant lui a permis de « greffer » des convictions spirites, même si elles ne sont pas clairement identifiées comme telles, à son identité ici initialement catholique. L’expérience paranormale que l’individu subit ou recherche amène inévitablement une modification des perceptions et des conceptions de leur réalité ainsi que du mode de vie, c’est donc une revitalisation du « soi » qui s’opère — Robert avoue « parler

à son ange » et plus encore à sa mère de qui il s’est rapproché depuis les évènements. « Cela m’apporte du réconfort » (Entretien avec Robert, juillet 2015, Sainte-Monique).

La plupart des individus interrogés sur les conséquences de leur expérience avouent ressentir le besoin de retrouver un équilibre, de se recentrer sur eux-mêmes et d’y parvenir par de nouveaux moyens (la prière, le déménagement…). Les valeurs se sont modifiées, souvent qualifiées de « différentes » des précédentes, mais jamais catégorisées comme « pires » ou « meilleures ». Pour le répondant, le constat de ce que ces nouvelles valeurs ont apporté est important parce qu’elles redéfinissent leur identité et définissent de nouveaux besoins en termes de croyance. En somme, les répondants du terrain veulent être catégorisé de catholiques, si bien que nous assistons à la formation d’une identité catholique déclarée plus culturelle que religieuse toutefois (Lemieux, 1990, p.22) pour en arriver à parler d’une autoreligion qui est une quête individuelle de sens par le « moi » et sa relation au Divin (Lemieux et Lee, 2008, p.67).

4.4. En guise de conclusion

Pour conclure, les individus rencontrés sont généralement réticents à qualifier leur expérience, leur croyance ou bien même leur mode de vie. Pour les répondants rencontrés, cette réalité est d’autant plus vraie qu’ils vivent avec le besoin de préserver leur intimité en maintenant une frontière entre soi et l’Autre, qui se résume souvent à la porte de leur domicile. Si les spirites se confient, c’est dans un cadre restreint (la famille ou les amis intimes) qui bien souvent leur fournit le nom d’un médium pour les aider à régler le problème causé par un phénomène paranormal. Isabelle illustre bien cette réalité : rêvant du nom « Simon » alors qu’il se passait chez elle des phénomènes inexplicables, elle apprend de par sa mère que la veille, cette dernière était allée à une séance de dédicace de Simon Tremblay (Entretien avec Isabelle, juillet 2015, Sainte-Monique). Le médium est

85

intervenu la semaine suivante sans préambule, établissant le lien de confiance après un appel téléphonique et une visite à domicile.

En ce qui concerne la diversité religieuse décelée chez les clients de Simon Tremblay, elle s’est présentée sous plusieurs formes, c’est-à-dire d’une base religieuse diverse (catholique pratiquant et non-pratiquant, agnostique, athée et la culture zen et Nouvel-Age). Elle entraîne une variété d’expériences et différentes interprétations du phénomène selon les croyances, le passé, le mode de vie et la personnalité de l’individu concerné. C’est donc la diversité qui façonne l’identité religieuse d’une personne et l’expérience vient donner une « forme » à une religion mal définie au départ. Deux options s’offrent alors aux individus ayant vécu une expérience paranormale : soit ils changent radicalement leur comportement, leur rituel, leur mode de vie, leur habitude et même leur valeur ; soit l’expérience vient conforter et réaffirmer un acquis délaissé tel que la prière, la relaxation, la méditation, la communication, la famille…

Ce pluralisme spirite est personnel et souvent invisible pour la société à cause de sa marginalité non revendiquée, mais préférée. Il devient une part intégrale de l’expérience humaine pour ne former qu’un tout relié au vécu qui donne un nouveau « souffle » à leur croyance. Pour conclure, l’ensemble de ce processus est appelé « la revitalisation du “soi” » qui « valorise le passé en s’appuyant sur le présent » (Milot, 1998, p 159). Autrement dit, cette revitalisation du soi qui découle d’une expérience antérieure vient ancrer le croyant dans une remise en question individuelle et un bricolage religieux dans un présent immédiat, valorisant ainsi l’expérience vécue comme le facteur déclencheur d’une nouvelle croyance.

86

CHAPITRE 5 : ÉTUDE DE CAS : RENCONTRE AVEC UN MÉDIUM,