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La capitalisation du Don médiumnique et de la croyance spirite

CHAPITRE 4 : LES CROYANCES AUX PHÉNOMÈNES PARANORMAUX : UN MOYEN DE

4.2. Le Don et les dons chez les spirites

4.2.2. La capitalisation du Don médiumnique et de la croyance spirite

Si la croyance spirite se base sur le « Don » et les « dons », elle se définit aussi par le prix qu’il faut payer lorsqu’on a recours à ces capacités spécifiques – la médiumnité, la guérison et la clairvoyance et prendre en considération le don « de soi », relationnel donc, autant d’esprit et de corps du médium. Gérard Mauget explique que « démystifier

l’idéologie du Don, c’est aussi détruire une croyance nécessaire aux réussites improbables » (2011, p.34) tandis que pour Félicité Nayrou qui cite Marcel Mauss, le don

est égal à une obligation, un sacrifice, une magie, des valeurs, des croyances (2001, p.1504). En contrepartie du don, il faut mentionner le contre-don tel que développé par Marcel Mauss dans son Essai sur le Don : « les échanges et les contrats débutent sous la

forme de dons théoriquement volontaires, mais dans la réalité obligatoirement faits et obligatoirement rendus » (1925, p.147). Godbout et Caillé parlent du don et du contre-don

comme d’éléments en voie de disparition, écrasés par le capitalisme, les intérêts matériels et l’instauration obligatoire d’un lien hiérarchique entre le détenteur du don et le receveur (1992, p.21-23). Dans le cas présent, il est difficile de parler d’un contre-don puisque Simon Tremblay fait effectivement payer ses consultations. Il s’agit d’un service offert et non d’une donation tout en ayant des exceptions selon les cas : « nous étions vraiment

surpris et heureux de réaliser que ce n’était pas un “charlatan”, mais qu’il avait bel et bien un Don, car lorsqu’on vit des choses comme ça nous avons toujours peur de se faire avoir seulement pour “l’argent” » (Témoignage de Marie-Julie, juin 2015, Saint-Faustin).

Outre le lien de confiance établi au préalable entre le médium et son client, il y a une notion de commerce, d’échanges et de fidélité qui permet d’octroyer au don du médium une valeur marchande : « le don n’existe plus, le don a fait place à l’échange marchand et au calcul.

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et Caillé, 1992, p.13-14). Simon Tremblay a donc établi des tarifications de service, mais ceux-ci ne sont pas fixés, s’ajustant à la personne selon ses revenus et à la discrétion du médium :

« C’est sûr que c’est un commerce parce que c’est mon gagne-pain, je le fais pour en vivre [ici, Simon parle du Don rémunéré en tant qu’emploi ; mais le Don dans le sens de donner, c’est une vocation parce que je le fais vraiment pour l’autre [Il est question d’ici du Don en tant que capacités médiumniques] […] je mets mon DDon au service des autres » (Entretien radio avec Simon Tremblay sur CKVL 100,1 FM, mars 2015).

« J’me fais payer parce que les gens sont devenus égoïstes. L’échange [le troc] n’est plus ce qu’il était. Si je me fie à ce que le monde me donnerait, je vivrais de pas grand-chose. J’offre mon Don, mais c’est aussi pour ça que j’ai choisi de me faire payer. C’est un choix. » (Entretien avec Simon Tremblay, février 2015, Saint- Faustin).

La médiumnité est devenue une entreprise qui « est la conséquence du Don », c’est une sorte de dérapage qui est parti d’une donation pour devenir un service lucratif et médiatisé. (Simon Tremblay, février 2015)

Le don au quotidien se révèle un emploi, mais aussi un fardeau psychologique, moral et social qui marginalise le médium et les spirites, la société et les non-croyants ayant tendance à les dissocier de la société par leur croyance et leur pratique. En somme, le médium doit être visible pour créer un lien de confiance et démontrer son Don sans toutefois pousser vers l’excès par une trop grande notoriété qui peut apeurer les clients de Simondéjà réticents à partager ses expériences paranormales : « […] puis je suis tombée

sur le site Internet de Simon Tremblay ; il me semblait une personne honnête et intègre, j’ai lu les témoignages qu’il y avait sur son site. » (Témoignage de Marie-Julie, juin 2015,

Saint-Faustin). Il est toutefois établi qu’outre cette marginalisation, le médium (le possesseur du Don) et les répondants (les bénéficiaires du Don) sont souvent perçus comme des excentriques :

« J’ai l’impression de vivre avec un mort. Il est là, mais il n’est pas là. Tu vois qu’il est connecté à quelque chose d’autre, mais tu vois rien » (Barbara, catholique non pratiquante, épouse de Simon Tremblay, 34 ans, Saint-Faustin)

Laurence (41 ans, Repentigny) possède le don de clairvoyance depuis des années et l’utilise lors des soins énergétiques différemment de Richard puisqu’elle délaisse les fragments de vision au bénéfice d’une canalisation de son énergie distribuée à sa clientèle lors de

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massage. Pour Laurence, le don permet de ressentir des émotions face à l’expérience paranormale, mais il a des limites dans son cas puisque sa clairvoyance ne lui a été d’aucune utilité pour libérer l’entité désincarnée qui s’est établie chez elle en décembre 2014. Cézar Énia cite Mircea Éliade et le concept d’hiérophanie qui est une modalité du Sacré dans l’expérience :

« C’est être pris d’effroi et reconnaître la profondeur de son néant, sa nullité devant l’écrasante puissance de l’absolu. Il [l’être humain] fait l’expérience de ce que Rudolf Otto a appelé le sentiment de numineux […]. La hiérophanie ouvre l’homme sur quelque chose de grand, sur une grandeur non mesurable, c’est-à-dire sur l’Infini » (Cézar Enia, 2006, p.320)

Laurence possède donc un don de clairvoyance, mais elle a eu besoin du Don de médiumnité pour régler son problème d’entité désincarnée. Elle vit une double marginalisation en tant que croyante spirite et détentrice d’une capacité extra-sensorielle. Cette constatation a orienté mon terrain : dans certains cas, mon statut d’universitaire a effrayé certaines personnes qui ont consenti à me confier leur expérience uniquement par téléphone, en compagnie de Simon Tremblay, par courriel ou bien par l’intermédiaire de médiaux sociaux (Facebook, Skype). De leur propre aveu, les individus interrogés ont établi entre eux et moi une barrière censée les protéger d’un quelconque jugement de valeur de ma part. Alain Nantel précise qu’il a été échaudé par la réaction désinvolte et moqueuse du curé de sa communauté lorsqu’il a été lui demander de l’aide pour venir à bout des phénomènes paranormaux. Il considère qu’un représentant de l’Église ayant ce type de réaction est de mauvais augure pour une éventuelle confidence future. C’est aussi l’avis d’un autre témoin, Marie-Julie :

« Je sais que je suis une personne rationnelle, normale et saine d’esprit, mais de vivre de tels événements sans pouvoir en discuter ouvertement avec des amis sans passer pour folle est extrêmement difficile. […] il n’était pas question que je parle de cela à mes connaissances, je ne voulais pas passer pour une “illuminée” […]. Je crois que cela m’a rendue plus ouverte, si quelqu’un osait me parler de tels problèmes je saurais de quoi il parle et je serais compatissante, j’essaierais de l’aider. » (Témoignage de Marie-Julie, juin 2015, Saint-Faustin)

Les cas de Marie-Julie, de Diane et de Barbara expriment une prise de conscience de croire au fantastique tout en ayant recours à la discrétion pour préserver leur croyance du jugement d’autrui et de permettre de se concevoir différemment en tant qu’individu ayant vécu une expérience fantastique ; c’est ce qui est appelé « revitalisation du soi »,. Si pour

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la majorité de ses répondantes, la religion catholique a primé sur la croyance aux phénomènes paranormaux pour expliquer les expériences vécues, cette solution a été de court terme comme nous l’avons déjà expliqué au chapitre trois. Très échaudée par de mauvaises expériences passées, Barbara est quotidiennement confrontée au regard et jugement d’autrui, ce qui la pousse à demeurer évasive sur le sujet de la médiumnité de son mari (Simon Tremblay) et ses propres croyances.