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2. Méthodologie

2.3 Recrutement

Pour trouver des personnes intéressées à participer à mon étude, j’ai d’abord procédé à la constitution d’une liste d’entreprises potentielles repérées grâce à deux sources principales. J’ai premièrement eu l’occasion d’identifier plusieurs entreprises d’intérêt par le biais d’activités d’introduction à la forme de la coopérative de travail organisées par le Réseau de la coopération du travail du Québec, puis par un répertoire gouvernemental québécois des entreprises coopératives de la province permettant de les cibler par région et par type (coopérative d’habitation, de travail, de solidarité, etc.).

Tel qu’annoncé dans le chapitre précédent, ma recherche porte spécifiquement sur le modèle de la coopération du travail, étant donné ses liens plus constants avec les rapports marchands. Mais plus encore, j’ai également ciblé exclusivement les entreprises existant depuis au moins cinq ans. Ce critère avait pour but de minimalement m’assurer une richesse d’expérience et une certaine stabilité des activités de l’entreprise, dans la mesure où plusieurs projets coopératifs se voient forcés de mettre la clé sous la porte dans leurs premières années d’existence. La pertinence de l’exigence d’une existence minimum de cinq ans s’est également vue confirmée par certains répondants avec lesquels j’ai pu discuter informellement avant ou après notre entrevue. Par ailleurs, à l'occasion des présentations d'information du Réseau de la coopération du travail du Québec auxquelles j'ai pu assister avant de procéder au recrutement, on identifiait notamment parmi les raisons de ces échecs le manque d'aptitudes entrepreneuriales, ou encore la faible rentabilité de certains secteurs économiques. Dans la mesure où la participation à des activités commerciales constituait un aspect important de mon objet d'étude, une expérience minimalement riche d'entrepreneuriat me semblait importante à rechercher. La mention de l'importance de la rentabilité du secteur économique choisi attire l'attention sur le fait qu'il était nécessaire, toujours du point de vue des critères de recrutement de personnes participantes, que les personnes interviewées aient réalisé un volume minimal d'activités commerciales coopératives pour assurer une certaine profondeur de leurs discours à l'égard de mon objet d'étude. Plus largement, le fait d'affirmer l'importance de la rentabilité économique du secteur d'activité choisi pour la coopérative évoque à nouveau la question

soulevée dans le dernier chapitre concernant la place de ce modèle d'entrepreneuriat dans l'économie québécoise : La coopération du travail peut-elle aspirer à se généraliser de manière à réaliser une véritable transition économique, ou demeure-t-elle au contraire dépendante de l'économie capitaliste pour sa propre survie?

Je dois cependant reconnaître que ce critère d’années minimales d’existence s’est à quelques occasions trouvé à être contourné dans les cas où des travailleurs ou des travailleuses ayant accepté de me parler n’étaient parfois membres de leur entreprise que depuis une année ou deux. Étant donné le petit nombre d’entreprises potentielles que je pouvais rejoindre, et étant donné le nombre encore plus réduit de personnes au sein de ces entreprises qui ont manifesté un intérêt pour mon projet, j’estime qu’il aurait été mal avisé d’être trop rigide par rapport à cet aspect. Bien que certaines de ces entrevues se soient tout de même avérées être riches en contenu, il m'a semblé que l'absence d'une expérience coopérative prolongée dans le temps a inévitablement engendré certaines limites. Les opportunités de repérage de distinctions ou de clivages dans les discours par le biais de marqueurs spatio-temporels, sur lesquels je reviendrai plus bas, s'y sont parfois faites plus rares. On peut supposer que de telles distinctions se développent sur un temps plus long, sans pour autant que ce manque soit compensé par des expériences économiques extra-coopératives préalables. À l’inverse, mon entrevue avec des coopérants et des coopérantes très expérimentés, qui travaillent au sein de la même entreprise depuis des décennies – se sont avérées significativement et invariablement plus intenses de ce point de vue.

J’ai par la suite procédé à l’envoi de courriels aux entreprises retenues pour solliciter la participation de leurs membres à mon étude, puis à des appels téléphoniques quelques semaines plus tard pour faire des suivis par rapport aux messages électroniques. Je me suis présenté à ces occasions en tant qu'étudiant à la maîtrise menant une recherche en sociologie portant sur leur expérience entrepreneuriale, et je me suis engagé à ne prendre qu'environ une heure de leur temps ainsi qu'à préserver leur anonymat. Ces rappels téléphoniques se sont avérés très utiles. Dans beaucoup de cas, on avait un vague souvenir d’avoir vu mon annonce passer dans les boîtes courriels, mais ils ont souvent été l’occasion de prendre des rendez-vous. La découverte et la prise de contact avec certaines coopératives, dans la région de Québec notamment, a par ailleurs été rendue possible après que des personnes interviewées me les aient référés à la suite

de notre rencontre. Les treize membres coopérants interviewés se retrouvaient dans des entreprises situées dans les régions du Grand Montréal, des Laurentides ainsi que dans la région de la Ville de Québec.

Il m’apparaît également intéressant de faire mention de précisions ainsi que de certaines impressions par rapport à la nature de mon échantillonnage. Il est reconnu que la diversité des profils des personnes interviewées en vue de la constitution du corpus des discours à analyser doit être recherchée dans la mesure du possible. L'objectif sous-tendant ce principe est de pouvoir éventuellement repérer des traits sociaux similaires au travers de ces cas en apparence différents les uns des autres (Michelat, 1975 : 236 ; Blanchet et Gotman, 2007 : 52). Mais encore faut-il délimiter à l'intérieur de quelles balises la diversité doit être importante dans le cas de ma recherche. Il a déjà été mentionné à quelques reprises que ma recherche porterait spécifiquement sur le modèle de la coopération du travail, laissant ainsi de côté les autres modèles de coopératives et plus largement du monde associatif et des mutuelles aussi communément associés à la « nébuleuse » de l'économie sociale. Je crois cependant être parvenu à constituer un corpus passablement diversifié, tant en termes de champs d'activité, que de taille et d'années d'existence, mais aussi de représentations de l'économie et de la coopération. Les personnes interviewées prennent part à des entreprises coopératives œuvrant dans un secteur industriel – plus « classique, pourrait-on dire » – mais aussi dans ceux de la construction-rénovation, des diverses formes de services conseils, de la restauration, et même des arts audiovisuels. Parmi ces coopérants et coopérantes, certains faisaient partie des membres fondateurs de coopératives existant depuis maintenant plusieurs décennies tandis que d'autres entreprises avaient été fondées il y a à peine plus de cinq ans; certaines comptaient quelques dizaines de membres, d'autres pas plus que le minimum légal requis de trois.

Il est possible que les personnes ayant manifesté de l’intérêt à participer à mon étude soient celles pour lesquelles l’adhésion aux valeurs coopératives, ou aux valeurs de l’économie sociale, constituait un aspect d’importance significative de leurs motivations entrepreneuriales. Plusieurs des personnes interviewées ont affirmé adhérer à des valeurs morales que l’on pourrait qualifier de « progressistes » ou humanistes, et identifier leur projet coopératif à celles-ci. Quelques-unes d’entre elles ont même explicitement fait mention de leur adhésion de près ou de loin à ce qu’ils estimaient être le « monde » de l’économie sociale. Il m’apparaît plausible

que des individus croyant fortement en les vertus du projet coopératif, voire même à sa potentielle portée transformatrice pour la société, seraient en général plus enthousiastes à l’idée de donner à leurs entreprises et à leurs représentations une voix à travers mon étude. Étant donné sa nature, la pertinence de ma question de recherche ne s’en trouve cependant pas affectée.

Cependant, pour la diversité des formes de connaissance de l’économie à explorer, j’estime qu’il aurait été intéressant d’avoir l’occasion de passer en entrevue des personnes coopérant au sein d'entreprises enregistrées légalement en tant que coopératives, mais pour lesquelles l’identité coopérative, en termes de principes valorisés, est un aspect négligeable ou secondaire de leur vision de l'entrepreneuriat. C’est à l’occasion d’un échange téléphonique en particulier, avec la représentante d’une coopérative de travail dont je n’ai finalement pas interviewé de membre, que j’ai développé cette impression. La personne en question m’a répondu que son entreprise ne correspondait probablement pas à ce que je recherchais pour mon étude en invoquant le fait qu’elle œuvrait dans le secteur de l’impression et de l’infographie. Il aurait été doublement intéressant de passer cette entrepreneuse en entrevue. D’abord à cause de la représentation de ma recherche que laisse supposer un tel commentaire : que croyait-elle être le type d’entreprise qui correspondrait à ma recherche? Quels secteurs autres que le sien étaient intéressants pour moi, selon elle? Des entreprises œuvrant auprès de populations vulnérables, ou s’identifiant plus explicitement aux principes et aux valeurs de l’économie sociale? Dans le prolongement de ces questions, il aurait ensuite été tout aussi intéressant d’explorer les représentations associées à son entreprise et à ses rapports économiques, comparativement à ceux qu’elle croyait être intéressants pour moi, que supposaient également ce commentaire.

2.4 Précisions supplémentaires concernant la sociologie de la