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3. Analyse

3.1 Présentation des cas

3.1.9 Immersion coop

Le témoignage de Justin, d'Immersion coop, rend compte d'un parcours d'entreprise inverse au précédent dans ses rapports à l'État. Plutôt que chercher à bénéficier de formes de redistribution étatiques pour accroître ses revenus, Immersion en est plutôt venue à s'en autonomiser :

Comme je l’expliquais un peu, de 2009 jusqu'à 2014 environ, on a fonctionné d’une certaine manière avec les subventions artistiques. Puis on a eu beaucoup de subventions de démarrage qui nous ont permis de survivre longtemps en fait. Puis ç'a été mal concrétisé ou assemblé pour arriver à vivre avec après. […] Ça fait que ça n’a pas pu servir de tremplin […] Finalement, on a comme un peu une restructuration depuis 2014-2015. Puis là, on serait rendus au niveau de pouvoir vraiment recommencer à fonctionner. Plutôt commencer parce qu'il y a eu des périodes où est-ce que ça marchait, mais en fait, ça marchait à cause qu'il y avait plein de subventions qui entraient derrière, qui permettaient de faire survivre la coopérative. Sinon, ça n’aurait pas fonctionné en fait. […] Donc, c'est vraiment je dirais depuis 2015 qu'on repart puis avec d’autres projets un peu plus tangibles aussi.

Le caractère plus « tangible » des nouveaux projets, dont il est question quand Justin parle de la restructuration, renvoie au moins en partie au fait qu'ils sont plus facilement « marchandables ». Dans le prochain extrait, notre répondant décrit la découverte du potentiel marchand d'une production qui n'avait pas au départ été créée avec une finalité commerciale :

Quand on a fait [notre dernier projet] au départ, on l’a déposé au Conseil des arts de Montréal, ça n'a pas passé. On a eu de l’aide financière du consulat français puis on a eu deux, trois petits trucs, mais

vraiment loin de ce qu'on avait besoin. On est allés pareil faire le projet parce qu'on avait le goût de le faire. On s’est endettés et tout et tout. Maintenant on l’a, ça fait que là, aujourd'hui, je me rends compte que l’intérêt de ce produit est finalement plus large que juste le créneau purement artistique auquel je le dédiais au départ en fait. Je le voyais quand même comme une création artistique. Mais en fait, en voyant la réponse [du public], bien je ne serai pas gêné d’aller approcher un centre d’achat à la limite pour lui dire, « veux-tu le louer pendant trois jours pour faire une animation ». Quelque chose que je n’aurais jamais fait avant. Dans le temps, je n’aurais pas pu le faire parce que je n’avais pas de produit qui me permettait de vendre ce genre de service. […] C'est juste plus simple à vendre en fait parce que justement, ils [les nouveaux projets] sont plus tangibles.

Le fait de faire le projet parce que Justin et ses collègues avaient « le goût de le faire », quitte à s'endetter sans même avoir évalué les revenus possibles à ce moment, laisse entrevoir des décisions fondées sur un motif avant tout créatif ou artistique. Mais dans la deuxième portion de l'extrait, on le voit tenir un discours davantage entrepreneurial alors qu'il élabore au sujet de la découverte du potentiel commercial du projet créé, et de son ouverture à l'idée de faire du démarchage pour le vendre. Il se représente ainsi la coopérative comme possédant une double identité, depuis que ses membres ont « repoussé le tabou » de sa dimension commerciale :

Il y a deux côtés justement. On est des artistes, on ne vend pas des trucs commerciaux. [Mais] on a repoussé un tabou. On fait des projets artistiques pareil, je veux dire, à un moment donné, mais bon, il y a une part qui est plus commerciale puis il faut l’assumer à un moment donné puis il faut aussi vivre. Il faut trouver des revenus.

Autrement dit, de la perspective exclusivement artistique qui était au début celle des membres coopérants, les rapports marchands semblaient vus d’un mauvais œil. Mais malgré tout, l'activité entrepreneuriale n'apparaît pas menée dans le but de réaliser des profits et le travail créatif demeure ainsi prédominant pour Justin. On voit tout de même apparaître plus bas des notions de vente et de gestion au départ absentes du discours strictement artistique :

Je suis le genre de gars qui travaille dans son studio à faire [de l'art], et qui n’a pas le goût d’aller nécessairement rencontrer et vendre des projets. Ce n’est vraiment pas un truc qui me fait triper, mais en même temps, si on veut vivre dans une coopérative, il faut bien les vendre les projets. Il faut que quelqu'un le fasse. Puis c'est toujours ce que j'ai

essayé de repousser sur quelqu'un d’autre. Mais plus ça va, plus je me rends compte que c'est à moi de le faire.

[…] Il faut viser un projet qui va amener une certaine pérennité à la coopérative en fait. […] Placer les ressources pour finaliser l’espèce de restructuration dans laquelle on est, puis nous permettre d’être le plus autonomes possible. Bien autonome, je veux dire faire en sorte qu'on soit capable de générer des nouveaux projets puis de les vendre. Pour ma part, j’essaierai de me consacrer plus à la partie [artistique], mais bon, en gardant en tête qu'il faut que cet argent-là, une fois écoulé, se renouvelle tout seul. […] Mais j’essaierai de l’utiliser stratégiquement pour faire en sorte que ça se régénère en fait. [Une approche] entrepreneuriale quoi.

La dimension commerciale et entrepreneuriale nouvellement assumée, entre autres du fait des apprentissages entrepreneuriaux expérimentés durant la période de restructuration, se limite davantage à un souci de rentabilité et d'autonomie face aux subventions gouvernementales. En somme, elle demeure subordonnée à la motivation de la production de projets culturels. L’articulation des représentations de l’économie maintenant présentes dans la coopérative, entrepreneuriale et artistique, aurait cependant demandé à être davantage explorée en entrevue.