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Le recrutement : moment critique et opportunité pour l'institution La persistance de l'institution dans le temps passe par le renouvellementLa persistance de l'institution dans le temps passe par le renouvellement

Introduction générale

2. Les enjeux du recrutement

2.1. Le recrutement : moment critique et opportunité pour l'institution La persistance de l'institution dans le temps passe par le renouvellementLa persistance de l'institution dans le temps passe par le renouvellement

périodique ou continu de ses membres. Dans la mesure où les nouvelles recrues « apportent » avec elles leurs dispositions individuelles, leur entrée dans l'institution constitue, à plusieurs égards, un « moment critique ».

Leur aptitude à prendre le rôle et à le tenir selon les modalités légitimes, avec facilité, aisance, (et en en tirant, éventuellement, des satisfactions qui ne se limitent pas aux rétributions matérielles1), la « qualité » du rapport entretenu à l'institution elle-même, varient en effet selon le plus ou moins « bon » ajustement de leurs dispositions aux attentes de l'institution et selon leur capacité à « se rendre compatible[s] »2 avec les exigences du rôle. On peut alors se demander si et dans quelle mesure « l'institution attire généralement à elle des individus qui se reconnaissent en elle et sont donc prédisposés à se conformer aux conduites attendues »3. Par ailleurs, contre « une lecture rapide des rapports de causalité entre […] "habitus" et "institution" »4, ne doit-on pas considérer qu'à l'origine de la démarche consistant à frapper à la porte de l'institution, intervient un ensemble de

décisions et d'actions intentionnelles qui relèvent d'une forme de choix, quand bien

même ce choix ne se fait pas « en toute connaissance de cause », ni même « en toute conscience », dans une parfaite transparence à soi-même5 ? Les attentes que les individus forment à l'égard de l'institution dans laquelle ils prétendent entrer – des attentes éventuellement diverses et inégalement légitimes du point de vue de

1 Jacques Lagroye parle d'« amour du rôle » pour qualifier ce type de rapport au rôle (« On ne subit pas son rôle », art. cité, p. 12).

2 Fretel (Julien), « Habiter l'institution. Habitus, apprentissages et langages dans les institution partisanes », in Lagroye (Jacques) et Offerlé (Michel) (dir.), Sociologie de l'institution, op. cit., p. 203.

3 Dulong (Delphine), « Au dedans et en dehors : la subversion en pratiques », in Lagroye (Jacques) et Offerlé (Michel) (dir.), Sociologie de l'institution, op. cit., p. 254.

4 Fretel (Julien), « Habiter l'institution. Habitus, apprentissages et langages dans les institution partisanes », art. cité, p. 199.

l'institution - peuvent également déterminer leur rapport ultérieur au rôle.

L'arrivée de ces nouveaux membres constitue, quoi qu'il en soit, un facteur potentiel de déstabilisation de l'institution1. Pour le moins, elle peut en compromettre la reproduction « à l'identique »2. Elle est ainsi un vecteur de la « perméabilité de la police aux évolutions sociales »3. Cependant, à la différence d'autres institutions (comme, par exemple, les groupements politiques)4, l'entrée dans la police est « contrôlée ». Plus précisément, le droit d'y entrer se conquiert, une forme de « droit d'entrée »5 doit être acquittée : il faut, pour s'engager, être engagé, ce qui passe par la réussite aux épreuves de sélection que l'institution met en œuvre. Dans quelle mesure celles-ci peuvent-elles être analysées comme des « dispositifs permett[ant] d'assurer « un relatif ajustement des outsiders aux attentes des insiders »6 ? Sont-elles bien, parmi les « dispositifs pratiques et symboliques d'encadrement des acteurs »7, « de loin les plus efficaces ? »8. L'accueil de nouveaux membres peut en outre représenter un atout dans la conduite d'une politique de transformation de l'institution. Nombreux, on l'a dit, sont les travaux qui pointent « la relative imperméabilité policière aux injonctions du politique »9 et mettent en évidence les « échecs » de certaines tentatives de

1 Voir Hmed (Choukri) et Laurens (Sylvain), « Les résistances à l'institutionnalisation », art. cité, p. 143.

2 Voir Lagroye (Jacques) et Offerlé (Michel), « Pour une sociologie des institutions», art. cit., p. 18. 3 Favre (Pierre), « Quand la police fabrique l'ordre social . Un en deçà des politiques publiques de

la police ? », art. cité, p. 1241.

4 Ces institutions peuvent mettre des obstacles à l'entrée de nouveaux membres mais elles sont rarement en capacité et en droit de l'interdire complètement.

5 Bourdieu (Pierre), « Quelques propriétés des champs », in Questions de sociologie, Paris : Minuit, 1984, p. 115. Voir également Mauger (Gérard) (dir.), L'accès à la vie d'artiste. Sélection et consécration artistiques, Paris : Éditions du Croquant, coll. « Champ social », 2006 et Droits d’entrée. Modalités et conditions d’accès aux univers artistiques, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007.

6 Dulong (Delphine), « Au dedans et en dehors : la subversion en pratiques », art. cité, p. 260. 7 Ibid., p. 259.

8 Ibid., p. 260.

9 Favre (Pierre), « Quand la police fabrique l'ordre social . Un en deçà des politiques publiques de la police ? », art. cit.,, p. 1238.

réforme1, qui viennent butter non seulement contre les intérêts d'une profession mais se heurtent aussi, d'une certaine façon, à la « force de l'institué »2. En ce sens, le recrutement peut-il être un levier pour faciliter la mise en œuvre d'une visée réformatrice dès lors qu'il permet de sélectionner les entrants – qui, par définition, ne sont pas porteurs de pratiques routinisées, de représentations cristallisées susceptibles de faire obstacle au changement - sur la base de leur adhésion et de leur conformité (ou de la prise qu'ils offrent à un travail de conformation) aux nouvelles finalités ou modalités d'action envisagées3 ? De manière générale, il paraît pertinent d'interroger la proposition selon laquelle « une attention particulière est généralement accordée au moment de l'entrée dans l'institution »4.

L'ensemble de ces hypothèses compose la problématique d'ensemble de cette thèse, qui pourrait être ainsi formulée :

Dans quelle mesure le processus de recrutement assure-t-il l'adhésion aux finalités, valeurs, croyances, pratiques et représentations légitimes de l’institution de ceux qui prétendent y entrer ? Dans quelle mesure le recrutement participe-t-il alors d'une « reproduction contrôlée » de l'institution ?

Plus précisément, il s'agit de se demander si et dans quelle mesure les épreuves au terme desquelles sont sélectionnés les candidats à la fonction de

1 Voir par exemple Cazorla (Nancy), La police de proximité, entre réalités et mythes, Paris : L'Harmattan, 2009 et Mouhanna (Christian), « Police : la proximité en trompe l’œil », Esprit, 2002, n°290, p. 86-97.

2 Sur les réformes des (et dans les) institutions, voir notamment Bezes (Philippe) et Le Lidec (Patrick), « Ordre institutionnel et genèse des réformes » et « Ce que les réformes font aux institutions », in Lagroye (Jacques) et Offerlé (Michel) (dir.), Sociologie de l'institution, op. cit., p. 55-73 et p. 75-101.

3 Sur les rapports différenciés aux projets « réformateurs » des nouvelles recrues dans la police suisse en fonction de leurs dispositions, voir Pichonnaz (David), Former pour réformer. Sociologie de l’hétérodoxie policière et de l’entrée dans la profession, thèse citée.

4 Biland (Émilie), « Les cultures d'institution », art. cit., p. 183. Voir également Dobry (Michel), Sociologie des crises politiques, op. cit., p. 248.

gardien de la paix permettent de s'assurer de leur conformité aux attentes de l'institution policière.

Ce sont ces attentes que l'étude du dispositif de recrutement doit permettre de repérer. « La nature d'un recrutement est d'être sélective »1 : ce dernier constitue un ensemble d'épreuves, dont les formes et l'agencement peuvent être très divers (examen des C.V. reçus, passage de tests psychotechniques, entretiens individuels ou collectifs, mises en situation...). Ces épreuves sont généralement conçues pour évaluer, selon des critères pré-définis, certaines compétences et aptitudes identifiées. Mais elles mettent également en jeu d'autres compétences et aptitudes moins clairement circonscrites et amènent les recruteurs à mobiliser d'autres critères d'appréciation moins explicitement identifiés.

Recruter, c'est donc éprouver (i.e. « mesurer » - objectivement – et « sentir » en laissant intervenir, de manière revendiquée ou non, une forme de subjectivité) la conformité des candidats à un certain nombre d'attentes pour partie formalisées, pour partie implicites. Plusieurs travaux portant sur d'autres institutions montrent que le dispositif de recrutement, conçu, éventuellement modifié, puis mis en œuvre afin d'assurer l'adéquation des candidats retenus aux exigences des fonctions qu'ils auront à exercer, apparaît comme un instrument devant contribuer à l'efficacité de ces organisations et à la réalisation de leurs objectifs. Michel Mangenot montre par exemple que les évolutions des attentes à l'égard des hauts-fonctionnaires liées aux transformations de l'action publique se sont traduites dans les modalités du concours de l’École Nationale d'Administration (ENA)2. On retrouve les mêmes phénomènes dans certaines entreprises publiques. Ainsi, à La

1 Fondeur (Yannick), Forté (Michèle) et Larquier (de) (Guillemette) (coord.), Pratiques de recrutement et sélectivité sur le marché du travail, Centre d'études de l'emploi, Rapport de recherche n°72, mars 2012, p. 7.

2 Mangenot (Michel), « "L'entrée en technocratie". Le concours de l'ENA et les transformations du modèle de haut-fonctionnaire », in Dubois (Vincent) et Dulong (Delphine) (dir.), La question technocratique. De l'invention d'une figure aux transformations de l'action publique, Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 1999.

Poste, la redéfinition des missions de l'entreprise et, en conséquence, du travail des

facteurs, a entraîné une transformation des modalités de recrutement1.

Dans quelle mesure ces analyses peuvent-elles être généralisées ? L'étude des modalités du recrutement dans l'institution policière permet-elle de reconstituer ce que Michel Mangenot nomme le « modèle »2 d'agent recherché ?