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Conclusion du chapitre

Chapitre 2. Corps et âme

2.2. L'épreuve d'entretien : une évaluation peu formalisée

De la même manière, si l'épreuve d'entretien est explicitement conçue non seulement pour évaluer les « qualités de réflexion et les connaissances du candidat » mais également pour permettre d'apprécier sa « personnalité », elle ne peut être réduite à une évaluation à l'aune d'une « personnalité-modèle » clairement identifiée et le jugement des jurés n'est pas le produit de l'application pure et simple de critères précisément définis par l'administration et traduisant des attentes elles-mêmes explicitement formalisées.

L'épreuve d'entretien est inscrite au programme du concours externe de gardien en même temps que les tests psychologiques conformément à l'arrêté du 28 août 1986 qui énonce que « le jury d'entretien disposera comme aide à la décision, d'un test de personnalité passé préalablement par le candidat ». L'arrêté du 17 juillet 1997 se fait un peu plus précis en évoquant une « épreuve d’entretien permettant notamment d’apprécier les qualités de réflexion et les connaissances du candidat ainsi que son aptitude et sa motivation à exercer l’emploi postulé », sans que cette précision affecte la forme et les modalités de l'épreuve. Cette définition officielle de l'épreuve ne subit ensuite plus de modification. Elle est aujourd'hui

encore en vigueur, à ceci près que l'arrêté du 27 août 2010 mentionne l'existence « d’un curriculum vitae détaillé, comportant les motivations pour l’emploi postulé produit par le candidat avant l’épreuve » dont « les examinateurs disposent pour aide à la décision ».

La référence à l'« aptitude et (à la) motivation à exercer l'emploi postulé » indique assez clairement que l'entretien met bien à l'épreuve la « personnalité » des candidats. Mais elle ne renseigne pas sur les caractéristiques attendues par l'administration. Selon les jurés que nous avons interrogés, les grilles d'évaluation dont ils disposent ne donnent guère plus de précision, se contentant d'évoquer des critères très généraux (aptitude à la communication, motivation...) qui ne traduisent pas d'attentes explicites ou spécifiques. En ne formalisant que très peu ses attentes, l'administration laisse donc visiblement une grande liberté d'appréciation aux jurés, quant aux modalités et aux critères d'évaluation de l'« aptitude et (de la) motivation à exercer l'emploi postulé ».

La procédure de recrutement des ADS comporte également une épreuve simplement définie comme « entretien de sélection ». Là encore, selon un de nos enquêtés, responsables du recrutement des ADS à Bréville, les critères mobilisés lors de cette sélection ne sont que peu formalisés par l'institution, mais l'épreuve est explicitement conçue comme un entretien d'embauche, visant à apprécier la « personnalité » des candidats. Ceux des ADS qui se présentent au second concours sont à nouveau soumis à une épreuve d'entretien, dont la définition officielle est plus explicite et diffère sensiblement de celle qui prévaut au concours externe. L'arrêté du 23 octobre 2000 institue en effet « un exposé-discussion portant sur les connaissances professionnelles acquises par le candidat durant son service national et/ou son activité d’adjoint de sécurité, et notamment sur l’organisation de la police nationale, l’usage d’une arme et la déontologie policière » et précise que « les groupes d’examinateurs disposent, pour

information, des résultats des tests requis pour devenir policier auxiliaire et/ou adjoint de sécurité, interprétés par le psychologue, et d’une grille d’évaluation sur la manière de servir du candidat durant son activité au sein de la police nationale, établie par son chef de service direct ». Cette définition n'a été que très marginalement modifiée par la suite. En apparence, comparée à celle qui prévaut au concours externe, l'évaluation des candidats au concours interne semble donc faire moins de cas de leur « personnalité » que de la possession de connaissances et de compétences professionnelles. En réalité, nous y reviendrons dans la troisième partie de cette thèse, la grille d'évaluation utilisée invite les chefs de service à apprécier bien plus que de simples compétences techniques et à se prononcer sur un ensemble de savoir-être et de dispositions individuelles, qui dessinent, plus clairement que dans le cas du concours externe, une « personnalité-modèle », comme si le fait que les candidats appartiennent déjà à l'institution permettait à celle-ci d'établir puis de mettre en œuvre des critères d'évaluation de la « personnalité » mieux définis.

Quoi qu'il en soit, l'importance que revêt l'instauration de telles épreuves ne doit pas être mésestimée. Jusqu'en 1986, les gardiens de la paix étaient recrutés sans qu'à aucun moment, l'administration ne se donne les moyens de procéder à un examen de leur « personnalité », ce qui, d'un point de vue normatif (celui que pourrait adopter l'usager ou le citoyen), au regard des spécificités de leurs missions, peut être considéré comme problématique. A ce titre, l'introduction de ces épreuves répond en partie à l'objectif de « faire de la police un instrument plus démocratique et plus efficace »1 ; elle s'inscrit dans le mouvement de professionnalisation de la police et signale un changement dans le modèle légitime d'agent. Ce dernier ne doit plus seulement être doté de ressources culturelles et corporelles mais également de certaines dispositions plus ou moins précisément

1 Bonelli (Laurent), « Les modernisations contradictoires de la police nationale », in Bonelli (Laurent) et Pelletier (Willy) (dir.), L'Etat démantelé, op. cit., p. 105.

définies et laissées à l'appréciation des jurés. Il doit, en outre, attester d'une « motivation » pour le métier policier, c'est-à-dire montrer une forme d'appétence ou d'intérêt pour les fonctions qu'il est amené à exercer. Ce type de sélection sur la base des dispositions individuelles et de la « motivation » se retrouve d'ailleurs dans d'autres organisations policières. Ainsi, au Québec, les collèges d’enseignement général et professionnel qui forment les futures recrues procèdent à « des entrevues de sélection ou des tests d’intérêt ou de personnalité »1 ; les aspirants-constables du Royaume-Uni sont soumis à des épreuves destinées à évaluer des savoir-être, et notamment des « compétences relationnelles »2.

Pour autant, et quoique les aptitudes et compétences évaluées au cours de l'entretien puissent être propres à l'institution, l'inscription de ce type d'épreuves au programme des concours, n'est pas une spécificité policière. En effet, l'évolution du dispositif de recrutement des agents de la police nationale s'inscrit également et plus largement dans un processus de valorisation croissante de

compétences (en tant, ici que dispositions, savoir-être) au détriment des seules qualifications (attestées notamment par un niveau de formation)3, qui touche l'ensemble du monde du travail, et qui, dans l'administration, accompagne la

modernisation à laquelle elle est pressée de se soumettre. Cette évolution n'est donc

pas spécifique à la police nationale. D'une certaine manière, elle préfigure les modifications ultérieures que connaissent par exemple les concours de la fonction

1 Richard (Eric) et Pacaud (Marie-Christine), « Le travail policier vu par les étudiants en techniques policières : une question d'attitude », art. cité, p. 314.

2 Cassan (Damien), Une comparaison internationale de l'apprentissage et de la socialisation des policiers en France et en Grande-Bretagne. Le gardien de la paix et le police constable, Thèse citée, p. 88-92 3 Sur ce point, voir par exemple Boltanski (Luc) et Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme,

Paris , Gallimard, 1999, p. 324-325. Cet ouvrage donne à voir l'importance accrue donnée à la mobilisation et l'engagement dans le travail des salariés des entreprises (puis – pourrait-on ajouter – des administrations) mais l'histoire des usages sociaux du terme « motivation » dans le monde du travail comme celle du développement de pratiques aujourd'hui largement répandues et sans doute en grande partie impensées telles que le recours aux « lettres de motivation » ou aux « entretiens de motivation » reste néanmoins à faire.

publique territoriale1 ou de La Poste, dans lesquels, sous l'influence de l'importation de méthodes managériales issues du monde de l'entreprise, ont également été introduites des épreuves orales qui constituent des « évaluations globales de la "personnalité" »2.

2.3. L'introduction de deux nouvelles épreuves à partir de