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Introduction générale

SECTION 3. L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE LA THÈSE

Cette thèse entend rendre compte des processus qui composent l'« entrée dans la police » et assurent ainsi le renouvellement des membres de l'institution. Ce faisant, à partir de ce terrain particulier, elle a, plus généralement pour ambition de contribuer à une meilleure intelligibilité des modalités par lesquelles les institutions assurent leur reproduction, « ce que l'on apprend en étudiant une [institution] aid[ant] […] à comprendre ce qui se passe dans les autres »1. Elle se focalise sur le recrutement des gardiens de la paix, non seulement parce qu'ils représentent la plus grande part des effectifs de la police nationale2, mais aussi et surtout parce qu'ils sont ceux qui apportent la contribution la plus directe, la plus concrète (et aussi la plus visible aux yeux de la population), sur le « terrain » et au contact du public, à la « production de l'ordre social » et aux missions confiées à l'institution, qu'ils incarnent au quotidien.

Dans la première partie de cette thèse (« La fixation officielle du droit d'entrée. Le concours dans les textes »), nous étudions le dispositif de recrutement des gardiens de la paix tel qu'il est conçu, institué et codifié, c'est-à-dire « mis en textes ». L'analyse des écrits administratifs définissant les modalités légitimes des épreuves auxquelles l'institution soumet ceux qui envisagent d'en devenir membres doit permettre de mettre en évidence ce que, formellement, elle attend ou exige d'eux, de reconstituer le modèle de gardien de la paix à l'aune duquel elle entend les sélectionner. Nous montrerons que le droit d'entrée officiellement exigé est composite dans la mesure où les épreuves obligent les candidats à mobiliser

1 Lagroye (Jacques), Appartenir à une institution, op. cit., p. 151.

2 Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, en 2015, les gardiens de la paix et les gradés (brigadiers, tous issus des rangs des gardiens) représentent environ 70% du total des équivalents temps plein travaillés dans la police nationale (toutes catégories de personnels confondues). Si l'on s'en tient aux personnels titulaires du statut de policier, ce chiffre passe à 90% (80% si l'on inclut les adjoints de sécurité).

des ressources variées, dont la nature peut changer au gré des évolutions du

modèle. Nous verrons toutefois que ces évolutions sont relativement limitées sur la

période étudiée (1978-2015) et que, le plus souvent, elles ne résultent pas d'une action volontariste visant à modifier les conditions de reproduction de l'institution.

Les deuxième et troisième parties traitent des manières dont les agents chargés du recrutement s'emparent de ces textes. Elles portent principalement sur une des épreuves du concours, l'épreuve orale d'entretien, qui présente la particularité d'être peu cadrée (laissant ainsi aux jurés un large pouvoir d'appréciation des modalités et des catégories de jugement qu'il convient de mettre en œuvre) tout en constituant une étape décisive du processus de recrutement, en ce qu'elle est explicitement conçue pour juger de l'adéquation des candidats aux exigences spécifiques du métier de gardien de la paix.

La deuxième partie (Les gate-keepers et leurs conceptions du droit d'entrée. Le concours « dans les têtes ») est plus particulièrement consacrée à l'étude des conditions et des modalités du « choix » des recruteurs, ainsi qu'à la mise en évidence des représentations et des conceptions de la police, du « bon gardien » et de la façon dont il convient de sélectionner les candidats, que ces derniers importent dans leurs manières de tenir leur rôle. Nous verrons que le processus de

fabrication des jurés n'est pas réductible à un « formatage » opérant sous le contrôle

formel de l’institution. Ainsi, il n'en résulte pas une homogénéité des conceptions du droit d'entrée que ces derniers défendent.

La troisième partie (« Pratiques et construction du jugement. Le concours dans les faits et dans les gestes ») consiste en une analyse de la production du jugement proprement dit. Elle porte sur les pratiques des recruteurs, sur leurs manières de mettre en œuvre le dispositif de recrutement et sur les critères qu'ils mobilisent effectivement pour procéder à l'« élection » des futurs gardiens, alors

même que leurs conceptions du droit d'entrée divergent. Nous verrons que les manières de conduire les épreuves comme les principes de construction du jugement mis en œuvre par les jurés obligent non seulement à rompre avec l'idée selon laquelle le concours pourrait s'analyser comme un dispositif strictement bureaucratique mais encore, au vu de l'importance prise dans la sélection par ce que nous proposons d'appeler la compétence interactionnelle, à mettre en cause sa capacité à réaliser l'adéquation des recrues aux attentes de l'institution. En ce sens, l'entrée de nouveaux membres semble rendre incertaines les conditions de reproduction de l'institution policière.

La quatrième et dernière partie de cette thèse (« La construction sociale de la revendication du "droit d'entrer". Le concours comme projet ») s'intéressent à ceux qui, présentant leur candidature au poste de gardien de la paix, demandent le droit d'entrer dans l'institution. Il s'agit de rendre compte des déterminants et des conditions sociales qui rendent ce projet envisageable ainsi que de la manière dont il se construit. Nous montrerons que les propriétés sociales de ceux qui envisagent d'entrer dans la police et les processus qui les y conduisent ont pour effet de permettre à l'institution d'opérer une sélection parmi des individus, certes divers, mais plutôt « bien disposés » à son égard, ce qui amène à réévaluer la « menace » potentielle que constitue le recrutement pour sa stabilité.

Première partie :