• Aucun résultat trouvé

Reconstitution de l’évolution du lac Nairne en lien avec l’étude paléolimnologique

La paléolimnologie permet aux gestionnaires de l’eau de retracer les conditions naturelles du lac, de cibler des moments-clé dans son évolution trophique et de relier les principales perturbations à des événements survenus dans le bassin versant. À cet effet, des modèles permettent de reconstituer les variables environnementales passées, dont les teneurs en phosphore, grâce à l’abondance relative et à la diversité des bioindicateurs fossiles présents dans les sédiments lacustres. Les bioindicateurs sont des organismes dont la présence est reliée à certaines caractéristiques spécifiques du milieu. Les squelettes ou exosquelettes de ces organismes se conservent dans les sédiments et permettent leur identification des centaines, voire des milliers d’années après leur mort. C’est notamment le cas des diatomées qui sont souvent utilisées pour reconstituer le passé des lacs (Wetzel, 2001 ;Smol, 2008).

L’étude paléolimnologique du lac Nairne permet de modéliser sa concentration de phosphore pour une période allant de l’an 928 BC à 2009 AD (Roy, 2012 ; Tremblay, Pienitz et Legendre, soumis). Trois grandes phases d’évolution du lac et du bassin versant peuvent être dégagées de cette étude. Une première, avant 1900, pour laquelle les concentrations de phosphore estimées de la colonne d’eau se situent généralement sous les 15 µg·L-1. Cette époque

est caractérisée par un vieillissement naturel et par une perturbation d’origine géomorphologique ou climatique qui a eu pour effet de modifier l’écologie et la géochimie du lac. Suite à cette perturbation, le lac est passé du stade oligotrophe au stade mésotrophe. À partir de 1900, la concentration de phosphore inférée augmente de façon assez abrupte pour atteindre un sommet autour de 25,5 µg·L-1 en 1942, ce qui correspond à l’apogée de l’activité agricole

dans le bassin versant. Le processus de vieillissement naturel s’est accéléré suite à l’occupation humaine permanente du bassin versant et le lac a finalement atteint le stade eutrophe. Après 1942, la concentration de phosphore inférée diminue graduellement pour atteindre environ 19 µg·L-1 en 2009 (figure 18).

Figure 18. Reconstitution de la concentration moyenne de phosphore dans la colonne d’eau du lac Nairne selon la profondeur dans la séquence sédimentaire.

Source : Les valeurs inférées proviennent de l’étude de Tremblay, Pienitz et Legendre (soumis) et la séquence sédimentaire provient de l’étude de Roy (2012). Le modèle retenu est le « WA classique » (weighted average classic) et les espèces constituant la base de données pour l’élaboration du modèle étaient présentes dans au moins 4 lacs du jeu de données. Au total 155 espèces fossiles ont été utilisées dans 52 lacs. Les flèches ont été ajoutées par l’auteure.

Note : L’échelle verticale représente la profondeur dans la séquence sédimentaire et l’échelle horizontale représente la quantité moyenne de phosphore qui a été reconstituée à l’aide des assemblages de diatomées fossiles. La courbe en trait plein représente les résultats du modèle et les traits hachurés illustrent l’erreur moyenne du modèle (RMSE).

Tout comme la modélisation avec le LCM, les résultats de l’étude paléolimnologique démontrent une tendance à la baisse des concentrations de phosphore dans la deuxième moitié du 20e siècle. L’impact du déclin de l’agriculture sur

la concentration de phosphore du lac est perceptible dans les deux types d’analyse.

résulte de 200 ans d’enrichissement accru par les activités humaines aurait fini par causer l’anoxie de l’hypolimnion. Cette anoxie est une étape normale dans le processus naturel de vieillissement des lacs, mais elle est sans doute survenue plus tôt au lac Nairne en raison de l’accélération de l’eutrophisation. L’anoxie de l’hypolimnion provoque la libération du phosphore accumulé dans les sédiments ce qui fait augmenter la concentration moyenne de phosphore dans la colonne d’eau. Certains indices portent à croire que cette charge interne aurait débuté autour de l’an 2000. En effet, la mortalité massive des poissons par asphyxie survenue en 2002 et les floraisons de cyanobactéries en fin d’été qui ont débuté en 2001 tendent à confirmer que c’est autour de 2001 que l’anoxie de l’hypolimnion et donc, le relargage du phosphore auraient débuté. L’étude paléolimnologique pourrait apporter un indice supplémentaire, car les résultats montrent que la diminution de la concentration de phosphore entamée au milieu du 20e siècle semble

ralentir près de la surface (figure 18). Ce ralentissement qui commence autour de 1999 pourrait être une illustration du début du phénomène de libération de phosphore par les sédiments. Cette interprétation est uniquement basée sur l’observation visuelle de la courbe. Le moment du début de l’anoxie de l’hypolimnion pourrait être confirmé par des analyses plus poussées des bioindicateurs présents dans les sédiments. L’étude des capsules fossilisées de chironomides pourrait notamment fournir des informations pertinentes sur l’évolution des conditions d’oxygénation de l’hypolimnion (Quinlan et al., 1998).

Les floraisons massives de cyanobactéries observées à la fin de l’été depuis 2001, sont probablement en lien avec la remise en circulation du phosphore libéré par les sédiments lors du brassage automnal. Toutefois, l’étude paléolimnologique ne révèle aucun signe d’augmentation de la fréquence ou de l’intensité des floraisons de cyanobactéries depuis l’an 2000. Au contraire, l’analyse des pigments photosynthétiques présents dans les sédiments montre une diminution de la concentration des pigments de cyanobactéries depuis l’an 2000 (Roy, 2012).

Les informations supplémentaires fournies par la paléolimnologie permettent notamment de mettre en contexte la situation du lac Nairne en 1950, date à laquelle le premier bilan de masse de phosphore a pu être réalisé. Elles permettent aussi de comprendre que l’état actuel du lac est le résultat de 200 ans d’activités humaines qui ont causé son eutrophisation prématurée. Les conséquences de toutes ces années d’exploitation et de développement du territoire ne peuvent disparaître facilement d’autant plus qu’une partie du phosphore accumulé au fil du temps dans les sédiments refait surface annuellement. Des actions supplémentaires devront s’ajouter à celles déjà entreprises pour améliorer la qualité de l’eau du lac Nairne et pour assurer la pérennité des usages. Certaines pistes de solution seront abordées dans la section suivante.