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Partie II. Cycles de vie des Caudovirales

1. Reconnaissance de l’hôte et injection de l’ADN

La première étape de l’infection est l’adsorption des particules virales sur leur hôte. Ceci implique des interactions entre des protéines d’adhésion du phage et des récepteurs situés sur la surface de la cellule hôte. Le virus reconnait ainsi un hôte potentiellement sensible et peut se positionner pour injecter son ADN dans la cellule. Cette étape d’adsorption est cruciale pour le processus d’infection, et va conditionner la spécificité de spectre d’hôte d’un phage.

L’adsorption est classiquement constituée de 3 étapes : le contact initial, l’adhésion réversible et l’adhésion irréversible. La première étape implique des rencontres aléatoires entre le phage et son hôte, par le mouvement Brownien ou un flux particulier. L’adhésion réversible du phage à la surface de l’hôte peut par définition être non définitive et le phage peut être « détaché ». Cette étape permet au phage de rester à proximité de la cellule et de rechercher des récepteurs spécifiques. Il existe une grande diversité parmi les récepteurs. Chez les bactéries à Gram négatif, il peut s’agir de protéines comme OmpF chez le phage T2 ou LamB chez lambda. Au sein d’une même espèce, des récepteurs différents sont reconnus par des phages distincts. Par exemple, les phages de Salmonelles reconnaisent les protéines FhuA, TolC, BtuB, OmpC, un antigène capsulaire Vi, les LPS ou encore les flagelles (Shin et al., 2012). Chez d’autres modèles, les récepteurs sont des motifs de la paroi, ou des polysaccharides capsulaires. Ces cas sont souvent rencontrés chez les phages de bactéries à Gram

positif (Tableau I). Les mécanismes impliqués ont été particulièrement étudiés chez les membres des

Siphoviridae infectant les BL utilisées comme levains dans l’industrie laitière. De nombreux phages actifs sur les espèces S. thermophilus, L. lactis et Leuconostoc sp. ont été isolés depuis plus de trente ans à partir des matrices laitières. Ainsi, début 2017, on comptait 131 phages de Lactocoques séquencés. Leur étude a permis de décrire finement les mécanismes moléculaires gouvernant l’adsorption, et pour certains de les relier à la dépendance observée vis-à-vis de la présence de

calcium dans le milieu (Mahony & van Sinderen, 2015; Mahony et al., 2016). Les phages de BL

reconnaissent des éléments dans la paroi (Chapot-Chartier, 2014), et la majorité cible des composants du peptidoglycane ou des acides téchoiques pour un attachment réversible. La présence

de saccharides est requise et cet élément est commun aux Siphovirus infectant les bactéries à Gram positif dans leur ensemble (Bertozzi Silva et al., 2016).

Tableau I. Exemples de récepteurs pariétaux identifiés chez les phages infectant les bactéries à Gram positif,

d’après Bertozzi Silva et al. (2016)

Hôte Phage Type de récepteur Récepteur Référence

Bacillus

subtilis SSP1 Protéine

Acides teichoiques de la paroi, poly(glycerophosphate) pour adhésion reversible et protéine membranaire Yue pour

adhésion iréversible Baptista et al., (2008)

ϕ29 AT Acides teichoiques de la paroi Xiang et al., (2009)

Lactococcus lactis

c2 Protéine Rhamnose du peptidoglycane pour l'adhésion réservible et protéine PIP pour l'adhésion irréversible Valyasevi et al., (1991) p2 Saccharide Saccharides de la paroi pour adhésion réversible et phosphohexasaccharides pour irréversible Bebeacua et al., (2013) Tremblay et al., (2006)

bIL170 Saccharide Inconnu Ricagno et al., (2006)

Tuc2009 Saccharide Inconnu

ϕLC3 Saccharide polysaccharides de la paroi Ainsworth et al., (2014)

TP901-1 Saccharide Lactobacillus

delbrueckii LL-H AT

ALT (glucose) pour adsorption réversible et

glycerophosphates des ALT chargés négativement pour

adhésion irréversible Munsch-Alatossava and Alatossava (2013)

Lactobacillus

plantarum B1 B2 Saccharide Saccharide Galactose (des polysaccharides de paroi) Glucose (AT) Douglas & Wolin, (1971) Douglas & Wolin (1971) Streptococcus

thermophilus OBJ CYM Saccharide Saccharide Glucosamine/Ribose Glucosamine/Rhamnose Quiberoni et al.,(2000) Quiberoni et al.,(2000) AT : Acide téichoïque

ALT : acide lipotéichoïque

Les analyses de génomique comparative ont facilité l’identification des gènes codant pour les composants phagiques permettant d’établir l’interaction spécifique avec le récepteur de l’hôte. Le composant majeur est la protéine RBP (receptor-binding protein). Les RBP des phages de Lactocoques s’organisent en cinq groupes et les membres des groupes reconnaissent des structures de paroi distinctes. D’autres composants structuraux entrent en jeu dans le processus d’adhésion, comme les protéines de la plaque basale (ou baseplate), qui constituent une structure en « trépied ». La région génétique codant pour ces éléments comprend le gène de la TMP (tail tape measure

protein), la distal tail protein (Dit), et la tail-associated lysin (Tal) (Figure 5A). Des différences de

structure sont néanmoins visibles parmi les phages de Lactocoques (Figure 5B). La plaque basale du

phage p2 subit une modification de conformation avant l’attachment. Elle serait déclenchée ou

stabilisée grâce aux ions Ca2+ ce qui correspondrait à un mécanisme d’activation de la plaque basale

durant l’adhésion du phage à son hôte (Sciara et al., 2010; Veesler et al., 2012). Ce mécanisme

oriente le RBP en direction de l’hôte (la rotation est de 200°) et n’est pas observée chez le phage TP901-1 par exemple qui est de façon permanente dans une orientation « prête à adhérer » (Spinelli

et al., 2014). Selon Mahony et al. (2017), une telle dichotomie (avec/sans activation) serait répandue chez les phages de BL et au-delà.

A)

B)

Figure 5. Schéma de l’organisation génomique du module de morphogénèse de la queue chez les Siphoviridae infectant les lactocoques (A) et structures des RBPs de cinq phages de Lactocoques pour lesquels les structures ont été résolues : 1358; p2; bIL170, TP901-1 et Tuc2009 avec la tête, le cou (lorsque présent) et les domaines

dits en épaule (Mahony et al., 2016).

La protéine Dit de la plaque basale possède un domaine lui permettant de dégrader la paroi

cellulaire, ce qui va faciliter l’injection de l’ADN phagique. Dieterle et al. (2017) observent sur le

prophage PLE3 et les phages J-1 et PL-1 de Lb. casei l’insertion de domaines de fixation aux

carbohydrates (CBM) (Dieterle et al., 2014, 2017) (Figure 6), et introduisent le concept de Dit

Figure 6. Schéma des protéines de la plaque basale des prophages de Lb. casei (Dieterle et al., 2017).