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Partie IV. Quelle incidence des phages pendant l’élaboration du vin ?

1. L’élaboration du vin et le rôle d’Oenococcus oeni

1.1. Oenococcus et la fermentation malolactique des vins

• Le raisin utilisé pour la fabrication du vin à partir de son jus fermenté est le fruit de la vigne, Vitis

vinifera. Les sucres sont les constituants majeurs de la baie de raisin et leur concentration peut

atteindre à maturité une concentration de 200 à 300 g/l. La baie de raisin est riche en monosaccharides comme le glucose (~100 g/l) et le fructose (~100 g/l) et contient également de l’arabinose, du xylose et du ribose en plus faibles proportions (0,5 g/l). Les autres sources sont des polysaccharides. Ils peuvent être constitués d’unités osidiques identiques (holosides) comme l’amidon, la cellulose, ou multiples comme le saccharose et les pectines. D’autres sont liés avec des macromolécules non glucidiques, les aglycones constitués de composés phénoliques ou de

précurseurs d’arômes. Les acides organiques sont les seconds constituants du raisin et donnent au

vin son caractère acide. On y trouve l’acide tartrique (2 à 10 g/l) qui est l’acide caractéristique de la vigne. L’acide malique est produit par la baie et sa teneur diminue au cours de la maturation pour atteindre des valeurs à maturité de 2 à 7 g/l, variables selon les millésimes et les cépages. Enfin l’acide citrique est présent, mais en plus faible concentration (0,5 à 2 g/l) (Lasik, 2013). Enfin, les composés phénoliques sont également associés au raisin et au vin et ont une grande influence sur ses propriétés organoleptiques.

Les composés phénoliques sont des métabolites secondaires produits par les plantes. Leurs structures chimiques sont très diverses mais ils possèdent tous un cycle benzénique substitué par au moins un groupe hydroxyle, modifié ou non. Le nombre, la position et la nature des substituants (groupements hydroxyles libres, méthylés ou glycosylés) sur les cycles peuvent varier. Deux catégories principales peuvent être distinguées selon leur squelette carboné : les non-flavonoïdes (regroupant des acides hydroxycinnamiques et des acides benzoïques, des stilbènes ou encore des

Figure 12. Classification des composés phénoliques du vin

Les flavonoïdes sont caractérisés par un squelette de base constitué de deux cycles aromatiques en

C6 reliés par un chaînon à trois carbones (Figure 13). Ils se répartissent en sous-groupes dont les

flavones, les flavonols (dont la quercétine), les flavan-3-ols et les anthocyanes.

Acides hydroxybenzoïques Acides hydroxycinnamiques Flavonoïdes

Figure 13. Structures de base des acides phénoliques et des flavonoïdes (Khoddami et al., 2013)

Les non flavonoïdes peuvent être séparés en deux groupes : les acides phénoliques [acides hydroxybenzoïques (C6-C1) et hydroxycinnamiques (C6-C3)] et les stilbènes. Ces derniers présentent au minimum deux noyaux benzéniques reliés par une double liaison (C6-C2-C6). Le monomère de

base, chez la vigne, est le trans-3,5,4’-trihydroxystilbène ou trans-resvératrol (Figure 14a). Les

stilbènes sont présents dans toutes les parties de la vigne (Bavaresco & Fregoni, 2001; Wang et al.,

2010). A partir du trans-resvératrol, d’autres stilbènes peuvent être formés soit par isomérisation,

par glycosylation (ex. le picéide) ou par oligomérisation (ex. l’ɛ-viniférine) (Figure 14b).

trans-resvératrol trans-picéide

Figure 14. Structure de deux stilbènes (Vian et al., 2005)

COMPOSÉS PHÉNOLIQUES

Polyphénols Acides phénoliques Stilbènes

Tanins Flavonoïdes Acides

hydroxycinnamiques hydroxybenzoïquesAcides Hydrolysables

Non-hydrolysables

Flavonols Flavanols

(ou Flavan-3-ols) Flavones

La vigne, Vitis vinifera L., est riche en composés phénoliques tant au niveau des feuilles, des organes pérennes que dans les baies de raisin qu’elle produit. Dans le vin, les composés phénoliques proviennent essentiellement des parties solides de la baie (pellicule et pépins) et sont extraits au cours de la fermentation et de la macération. Ainsi leur contenu (type de composés, quantité) varie selon le cépage, les itinéraires techniques menés pour la culture de la vigne, les conditions climatiques, le sol ou encore le mode de vinification, avec éventuellement la présence de composés phénoliques d’origine des bois utilisés pour le stockage du vin pendant son élevage (Ribéreau-Gayon & Dubourdieu, 1998). Ainsi, les quantités en composés phénoliques vont varier considérablement selon le type de vin. Un exemple de quantités retrouvées par catégories de composés phénoliques

est proposé dans le Tableau IV.

Environ 1260-2927 mg/l de polyphénols sont présents dans les vins rouges (Granato et al., 2010)

dont 85% sont des flavonoïdes.

Tableau IV. Liste de composés phénoliques quantifiés par HPLC dans un vin rouge italien (mg/L)

(Ghiselli et al., 1998).

Ces composés phénoliques jouent des rôles essentiels dans les mécanismes physiologiques vitaux de la plante, comme la croissance, la reproduction ou la pigmentation, et ils participent à l’équilibre de la plante avec son environnement en ayant un rôle de protection contre les stress biotiques et abiotiques. Pour exemple, la principale fonction des stilbènes serait de protéger la plante contre les agresseurs, ce sont les phytoalexines de la vigne. Les stilbènes sont connus depuis longtemps pour

leurs propriétés antifongiques (Seppänen et al., 2004). Le resvératrol est l’unité de base dont

dérivent tous les autres stilbènes. Il réduit la croissance de champignons pathogéniques de la vigne,

comme Botrytis cinerea (Adrian et al., 1997) et Phomopsis viticola (Hoos & Blaich, 1990). Les

flavonoïdes, quant à eux, participent notamment à la coloration des feuilles et des baies, ainsi qu’à leur protection aux UV et au stress oxydant. De plus, ces composés sont connus pour contribuer aux caractéristiques et à la qualité du vin, notamment à sa couleur, son astringence, son amertume, et ses arômes (McRae et al., 2013).

Certains auteurs ont émis l’hypothèse que la consommation modérée de vin, dans le cadre d’un régime équilibré et un mode de vie sain, serait associée à des effets protecteurs vis à vis de plusieurs maladies chroniques, notamment les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies neurodégénératives (Artero et al., 2015; Mulero et al., 2015). De tels effets pourraient être attribués aux propriétés biologiques des polyphénols, notamment à leurs activités antioxydantes et anti-inflammatoires (Hussain et al., 2016).

• Les méthodes de vinification varient en fonction des régions et des acteurs. Les itinéraires

schématiques de vinification des vins rouges et blancs sont représentés sur la Figure 15.

La transformation contrôlée des moûts du raisin au cours de la production de vin résulte de deux fermentations successives. La première est la fermentation alcoolique (FA) réalisée par les levures

(essentiellement Saccharomyces cerevisiae) et peut être suivie par la fermentation malolactique

(FML) qui est assurée par la bactérie lactique Oenonococcus oeni (O. oeni). L’impact de la FML

correspond tout d’abord en une désacidification, donnant un vin plus équilibré avec une meilleure stabilité microbiologique. Le métabolisme des BL dans le vin a également une influence marquée sur le profil organoleptique du vin. L’impact se manifeste au travers de différents mécanismes : une élimination de composés aromatiques existants par le métabolisme et l’adsorption par les parois

cellulaires; la production de nouvelles molécules via le métabolisme des sucres, acides aminés,

polyols, lipides, et autres macro-molécules; le métabolisme et la modification des métabolites secondaires dérivés du raisin et des levures en produits finaux (Bartowsky & Henschke, 1995). Un exemple de contribution est la production de diacétyle par les bactéries œnologiques. La molécule caractérisée par un goût de beurre et de noisette est un intermédiaire dans le métabolisme de l’acide

citrique chez O. oeni. Elle est produite avec l’α-acétolactate par décarboxylation du composé

intermédiaire, le pyruvate. Pour ces raisons, la FML est considérée comme étant bénéfique à la qualité des vins élaborés dans les régions vinicoles froides, où le raisin contient naturellement des taux élevés d’acides organiques. La maîtrise de la réaction est recherchée dans presque tous les vins rouges et dans certains vins blancs. Elle est aussi appliquée pour certains cidres et champagnes (Lonvaud-Funel, 1999).

Figure 15. Schéma simplifié du procédé de vinification en vins blancs (A) et rouges (B). La fermentation alcoolique est commune aux deux types de vinifications, et peut être réalisée grâce à l’inoculation de souches commerciales sélectionnées ou de pied-de-cuve (moût sélectionné par le viticulteur pour multiplier les levures). Dans la région bordelaise, les vins blancs ne réalisent pas de FML.

B) A)

L’origine bactérienne de la FML a été reconnue par les premiers microbiologistes du vin à la fin du

19ème siècle. L’une des premières descriptions est réalisée par Freiherr von Babo en 1837 qui décrit

dans un ouvrage intitulé « Short education on suitable treatments of vinified juices » une seconde fermentation dans des vins jeunes, en corrélation avec la hausse des températures de fin de printemps. Pasteur en 1866 isole les premières bactéries œnologiques et entreprend des études sur le vin. Ses travaux présentent la FML comme une maladie du vin, et les bactéries du vin sont globalement associées à des flores d’altération. La baisse de l’acidité est à l’époque attribuée à la précipitation de l’acide tartrique. L’importance de la FML dans le procédé de vinification a ensuite été reconnue dans les principales régions françaises et à l’étranger, et il convient de citer les travaux pionniers de Müller-Thurgau (en 1891), Koch (1901), Müller-Thurgau et Osterwalder (en 1913) (Muñoz et al., 2011). L’agent responsable de la FML est décrit et caractérisé en 1967, comme étant la

bactérie lactique Leuconostoc oenos. L’espèce a ensuite été reclassifiée dans le nouveau genre

Oenococcus, créant l’espèce Oenococcus oeni (Dicks et al., 1995). La description fine des réactions

biochimiques a été obtenue à partir des années 1970 grâce aux contributions de différents chercheurs dont notamment Kunkee (1997); Lonvaud-Funel et Saad (1982); Morenzoni (1974); et

Salou et al. (1994). Leurs travaux ont démontré que la FML est liée à l’activité d’une seule enzyme,

appelée enzyme malo-lactique, qui assure la conversion directe (décarboxylation) de l’acide

L-malique dicarboxylique en acide L-L-malique monocarboxylique, et nécessite le NAD et l’ion Mn2+

comme co-facteur. Dans sa globalité, la réaction s’effectue en trois temps (Figure 16). L’acide

malique entre dans la cellule bactérienne. A un pH faible, la molécule non chargée pénètre par diffusion passive à travers la membrane. Un phénomène d’’ionisation se produit lorsque le pH augmente. Dans le cytoplasme a alors lieu la réaction de décarboxylation, entrainant la formation de

l’acide L-lactique et du CO2, ce qui provoque une légère augmentation du pH intra-cellulaire. Les

molécules d’acide L-lactique et de CO2 sont ensuite expulsées de la cellule. Pour chaque molécule

d’acide L-lactique exportée, un proton est également transporté. Il se créée ainsi un gradient de protons de part et d’autre de la membrane cellulaire. Le gradient, combiné à une ATPase fixée à la membrane, facilite la production d’ATP (la synthèse d’une molécule nécessite l’entrée de trois protons dans la cellule).

Figure 16. Transports de l’acide L-malique dans la cellule de O. oeni et rôle de la FML dans le maintien du pH interne (Bastard, 2015).

Oenococcus oeni fait partie de la microflore variée associée à la surface des baies de raisin. Le consortium est constitué de bactéries, de levures et de moisissures. Un continuum existe entre les communautés bactériennes telluriques et les bactéries épiphytes présentes sur la baie et les autres parties de la plante Vitis vinifera (Martins et al., 2012).

Les flores présentes sont bénéfiques pour la plupart, et la participation de certaines flores indigènes aux fermentations améliore la complexité aromatique des vins.

Outre la présence d’O. oeni, d’autres BL sont également présentes sur la baie. Leurs niveaux de

populations sont faibles lorsque les mesures sont réalisées par approches culturales (Lonvaud-Funel, 1999), et il existe une dynamique de ces populations au cours des étapes de vinification. Lorsque les

baies sont écrasées et transvasées dans les cuves de fermentation, la population de BL augmente, et

atteint des concentrations qui varient entre 102 à 104 UFC/ml. A ce stade, la flore est complexe, et est

constituée de huit à neuf espèces majeures, regroupées essentiellement dans quatre genres : Lactobacillus, Pediococcus, Leuconostoc et Oenococcus. Le moût est acide, peu oxygéné et riche en sucres (> 210 g/l). Les levures sont mieux adaptées dans ce milieu que les BL, et vont donc fermenter très rapidement les sucres présents, et modifier significativement la composition du milieu. L’initiation de la FA par les levures entraîne une augmentation de la teneur en éthanol, et la libération de différents produits issus de leur métabolisme. Ces composés inhibent la croissance des BL (King & Beelman, 1986; Lonvaud-Funel et al., 1988; Spano & Massa, 2006). La concentration des

BL n’excèdera pas 104 UFC/ml à ce stade. Cependant, on note des modifications dans la composition

de cette flore lactique, avec une réduction de la diversité et une sélection de l’espèce O. oeni, qui

devient l’espèce dominante en fin de FA. L’espèce est notamment capable de maintenir un pH plus basique dans son cytoplasme (proche de 6) que dans le milieu extérieur (proche de 4). En fin de FA, la population de levures diminue et la FML démarre. Elle est classiquement observée lorsque la

population bactérienne atteint le seuil de 106 UFC/ml.