Partie IV. Quelle incidence des phages pendant l’élaboration du vin ?
2. Paramètres physico-chimiques du vin influençant la physiologie des micro-organismes et la
Les facteurs à l’origine d’une FML réussie les mieux compris sont le SO2, le pH, l’alcool et la
température (Tableau V). Un niveau favorable de l’un de ces paramètres, quel qu’il soit, peut
compenser un niveau défavorable d’un ou plusieurs autres. Ces facteurs fonctionnent en effet en synergie, c’est-à-dire que leurs actions cumulées ont un effet total supérieur à la somme des actions individuelles.
Tableau V. Facteurs inflençant la FML (adapté de Betteridge et al., 2015).
Inhibiteur Commentaire Conditions
optimales Conditions retrouvées dans le vin
Mécanisme
d’inhibition Références
Ethanol Produit pendant la FA Jusqu’à 5 % :
stimule la croissance 12-15% (v/v) Altère la structure et la fluidité membranaire Da Silveira & Abee, 2009
pH Acidité apporté par les
baies de raisin et le viticulteur 4,8-5,5 2,5-3,5 Réduit la croissance et l’activité malolactique Tourdot-Maréchal et al., 1999 Température Les châteaux utilisent
souvent la température ambiante pour la FML 25°C 12-20°C Affecte le taux de croissance et augmente la phase de latence Fugelsang, 1997
SO2 Produit par les levures et
ajouté pour prévenir les altérations pendant la vinification 0 mg/l 10-70 mg/l Réduit l’activité ATPase et la viabilité cellulaire Carreté et al., 2002
Un certain nombre de facteurs moins connus, mais tout aussi importants, peuvent influencer le déroulement de la FML. Parmi eux, la concentration en composés phénoliques.
Chez les microorganismes non œnologiques, il a été rapporté que les polyphénols exercent une activité antimicrobienne et une action synergique avec les antibiotiques (Cushnie & Lamb, 2011). Les propriétés antimicrobiennes des flavonoïdes ont souvent été étudiées. La concentration minimale inhibitrice est généralement faible pour ces composés, et inférieure à 100 µg/ml, comme c’est le cas chez E. coli ou S. aureus (Janssen et al., 1987 ; Ríos & Recio, 2005). Parmi ces effets, un phénomène d’agrégation des cellules, causé par la présence de flavonoïdes, a été observé chez S. aureus (Cushnie et al., 2007). Il est donc difficile de confirmer un effet antimicrobien lorsque le nombre d’UFC mesuré
Figure 18. Deux mécanismes peuvent expliquer la réduction du nombre d’UFC mesurées : a. l’agrégation des cellules en présence de flavonoïdes, b. l’activité bactéricide de la molécule
(Cushnie et al., 2011).
Les effets des composés phénoliques ont également été étudiés chez les BL d’intérêt technologique
telles que L. plantarum ou O. oeni (Rodríguez et al., 2009). Des exemples des différents effets
entraînés par la présence de composés phénoliques sur les BL sont proposés Tableau VI.
Certains composés phénoliques, tels que les acides p-courmarique, férulique, caféique, gallique, ou la catéchine, peuvent avoir un effet positif et stimuler la croissance d’O. oeni à faible concentration (50
µg/ml) en présence de 6% d’éthanol (Rozès et al., 2003).
Tableau VI. Impact des composés phénoliques sur les BL
Groupe de composés
phénoliques Composé Nature de l’impact Référence
Acides phénoliques Acide gallique Stimulation de la croissance d’O. oeni et de l’activité malolactique Lombardi et al., 2012; Reguant et al., 2000; Vivas et al., 1997, Acides
hydroxycinnamiques Acide p-coumarique, caféique, ou férulique
Effet neutre ou inhibiteur sur L. hilgardii, P. pentosaceus, O. oeni. La croissance est plus affectée que l’acivité malolactique
Reguant et al., 2000, Campos et al., 2003
Flavonoïdes
Anthocyanines libres Activation de la croissance cellulaire et du taux de dégradation de l’acide
malique Vivas et al., 1997
Quercétine Inhibition ou stimulation de la croissance bactérienne et de la FML Agrégation des cellules de S. aureus
Cushnie & Lamb 2011, Reguant et al., 2000, Cushnie et al., 2007, Hirai et al., 2010 Kaempférol Fort effet inhibiteur dépendant de la dose sur la croissance bactérienne Cushnie & Lamb 2011 Catéchine + épicatéchine (dans
des concentrations normales de
10 à 200 mg/l de vin) Stimulation de la croissance d’O. oeni.
Cushnie & Lamb 2011, Lombardi et al., 2012 Tanins, en particulier tétramères
et pentamères
Affectent fortement la viabilité cellulaire. Toxiques à faibles concentrations (inférieures aux concentrations courantes de 0,5 mg/l de vin)
Figueiredo et al., 2008, Vivas et al., 2000.
Les mécanismes d’action des composés phénoliques sur la physiologie d’O. oeni sont cependant mal
connus (Chasseriaud et al., 2015). Il a été montré qu’O. oeni, par l’action de glycosidases,
β-glucosidases, estérases, décarboxylases, est capable de métaboliser les anthocyanes et autres
composés phénoliques importants pour la production d’arômes (Cappello et al., 2017). Il existe
cependant une grande variabilité dans l’activité de ces enzymes selon les souches étudiées (Grimaldi et al., 2005)
3. Les échecs de FML et le développement de levains FML
Les FML peuvent être réalisées de façon spontanée grâce au microbiote indigène du raisin et du chai. Cette étape du processus de vinification est toutefois souvent perçue comme capricieuse par les professionnels. Le non déclenchement, le ralentissement voire l’arrêt de la FML sont redoutés, entraînant un risque accru de développement de flores autochtones productrices d’éventuelles molécules indésirables, dépréciatrices de la qualité du produit final. L’explication majeure de ces échecs réside dans l’insuffisance de la biomasse bactérienne indigène, provoquée par les conditions physico-chimiques difficiles du milieu. Des solutions visant à assurer rapidement la FML ont été développées en conséquence.
Un levain malolactique est une souche bactérienne isolée d’un vin en cours de FML spontanée, sélectionnée en laboratoire pour ses propriétés technologiques et sa résistance aux conditions
extrêmes rencontrées dans le vin (Tableau VII). Elle est ensuite produite et utilisée en quantité
suffisante pour assurer le déclenchement et la dégradation rapide de l’acide L-malique présent dans le vin.
Tableau VII. Critères de sélections de levains FML (d’après Torriani et al., 2011)
Catégories Propriétés
Résistance aux stress Résistance aux forts taux d’éthanol (14% v/v)
Tolérance à pH 3,0
Résistance aux fortes concentrations de SO2 et aux basses températures
Résistance aux bactériophages Performances technologiques Haute activité malolactique
Capacité à mener la FML dans différents types de vins Croissance en milieu synthétique
Production de composés recherchés ou augmentant l’arôme fruité Faible production d’acide acétique au pH du moût et du vin Absence de production de polysaccharides filants Absence de production de composés indésirables Compatibilité avec la levure utilisée en FA Capacité à être lyophilisée et congelée
Sécurité Absence de production d’amines biogènes et de carbamate d’éthyle
Des stratégies de sélections complémentaires sont aujourd’hui proposées. L’identification de voies métaboliques de synthèse de certains composés indésirables (amines biogènes, polysaccharides filants) a permis le développement d’outils PCR ciblant les gènes impliqués et permettent d’écarter rapidement les souches porteuses lors de la sélection (Coton et al., 2010).
Aujourd’hui, plus de 40 levains malolactiques sont commercialisés. La grande majorité contient une
unique souche d’O. oeni, parfois un Lactobacille ou un mélange de souches (Torriani et al., 2010,
Toit et al., 2011). Les levains malolactiques sont proposés principalement sous forme lyophilisée,
parfois sous forme congelée et sont préconisés pour une inoculation directe dans le vin ou après une phase d’acclimatation. Ils peuvent être utilisés en co-inoculation avec les levures au cours de la FA ou
en inoculation séquentielle, après la FA. Le taux d’inoculation correspond généralement à 106-107
cellules/ml de vin.
La maîtrise des fermentations peut également mettre en œuvre dessouches indigènes sélectionnées (Garofalo et al., 2015), ainsi que l’inoculation de pied-de-cuves. De nouveaux levains FML à base de
souches de Lb. plantarum sont aujourd’hui commercialisés (Lallemand, CHR Hansen). L’espèce est
homofermentaire, et présente des propriétés technologiques intéressantes en limitant l’apport d’acidité volatile (Sun et al., 2016, Berbegal et al., 2016).