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Partie II. Cycles de vie des Caudovirales

3. Le cycle lysogénique

Le génome phagique injecté dans la cellule va intégrer le chromosome bactérien. Le phage intégré

prend alors le nom de « prophage » (Figure 7). Le cycle lysogénique est caractéristique des phages

dits « tempérés ». Au contraire, les phages lytiques sont dépourvus de module d’intégration, contenant les gènes nécessaires à l’intégration et au maintien de la lysogénie. L’intégration est réalisée grâce à l’action d’une intégrase virale qui agit simultanément au niveau d’un site localisé sur le chromosome bactérien (attB) et sur le génome phagique (attP). La recombinaison est dite site

intégrases sont regroupées en deux familles selon le site catalytique utilisé, à tyrosine ou à sérine. Les intégrases à tyrosine peuvent reconnaître de longues séquences d’ADN et requièrent l’action d’autres facteurs phagiques ou bactériens. Au contraire, les intégrases à sérine reconnaissent des séquences attB plus courtes, et sont capables de fonctionner seules.

Une fois intégré, le prophage va ensuite être répliqué avec le génome de son hôte.

Figure 8. Intégration et excision du prophage pendant la RSS (d’après Menouni et al., 2015). Le phage produit des facteurs (en vert) qui sont l’intégrase (Int) qui catalyse la réaction de RSS dans les deux directions, et le facteur Xis impliqué uniquement dans l’excision. Les facteurs de l’hôte (en gris) sont par exemple des protéines chaperones. Le rapport de concentration Int/Xis va guider le sens de la réaction.

3.1. Mise en évidence de la lysogénie

Utilisation d’agents inducteurs

L’étude de la lysogénie et des prophages s’appuie largement sur l’utilisation d’agents inducteurs. Les plus utilisés sont la mitomycine C (MC), le traitement aux rayons UV, et le choc thermique (Nanda et

al., 2015, Ho et al., 2016). Le stress oxydatif via l’ajout de peroxyde d’hydrogène (H2O2), ainsi que

l’exposition à des antibiotiques (particulièrement les fluoroquinolones) sont également connus pour leur action inductrice (Bearson & Brunelle, 2015, Ho et al., 2016). L’induction de phages de L. lactis est obtenue en mettant des cultures en phase exponentielle de croissance en contact avec différentes concentrations de MC (dont un témoin négatif sans le composé). La densité optique

(DO600nm) est suivie pendant 8h. L’induction d’un prophage en présence de MC entraîne la lyse

bactérienne et la chute de DO600nm. Les phages induits peuvent ensuite être isolés et purifiés grâce à

la technique de la double-couche.

Les limites de l’utilisation d’agents inducteurs sont surtout liées à l’étape d’isolement. Pour cela, une

souche sensible doit être identifiée et disponible. Ainsi Oliveira et al. (2017) propose de coupler la

technique de la double-couche à la détection des particules virales par cytométrie en flux. La MET permet également de visualiser voire d’identifier les phages mais requiert des étapes de propagation

sur une souche sensible, des étapes plus longues de préparation de l’échantillon à observer, ainsi qu’un équipement coûteux.

Enfin, tous les prophages ne sont pas inductibles. Il existe des prophages, désignés comme « cryptiques », qui sont défectifs. Cette domestication des phages a été largement documentée chez E. coli par exemple (Bobay et al., 2014).

Approches moléculaires

L’essor du séquençage de génomes bactériens a permis de découvrir un nombre considérable de prophages et de décrire leur site d’insertion. Par exemple, l’outil PHASTER disponible en ligne (http://phaster.ca/) permet d’identifier et d’annoter rapidement les séquences prophagiques complètes et incomplètes dans un génome bactérien. Les études de génomique comparative de ces prophages ont conduit à une meilleure connaissance de l'ensemble des gènes présents et de leur organisation, ainsi qu’au développement d’approches PCR pour les détecter. De plus, le

développement d’approches « omiques » (métagénomique, métatranscriptomique ou

métaprotéomique) accroît également les connaissances liées aux prophages (Howard-Varona et al., 2017).

3.2. Le choix lyse/lysogénie

Lorsqu'un bactériophage tempéré infecte une bactérie, il a le choix entre deux cycles de développement : le cycle lytique ou le cycle lysogénique. Ce choix est appelé commutation lyse-lysogénie.

Le paradigme du commutateur génétique phagique lyse-lysogénie a été particulièrement décrit chez le bactériophage lambda (λ) d'Escherichia coli, qui sert de référence. Chez λ, le destin du phage dans

la cellule va dépendre de la compétition entre les protéines Cro et CI, codés par les gènes cro et cI

respectivement.

Le choix lyse/lysogénie peut être influencé par des paramètres de l’environnement, comme la

température (Bednarz et al., 2014; Shan et al., 2014) ou l’exposition aux ultra-violets (UV). Les UV,

comme les agents mutagènes chimiques, vont induire l’excision du prophage. Les dommages provoqués à l’ADN vont provoquer l’activation du système de réparation SOS de l’hôte et activer la protéine RecA. Cette protéine va cliver le répresseur CI du prophage, ce qui va ensuite initer le cycle lytique (Casjens & Hendrix, 2015).

phénotypes (motilité, formation biofilm, production de toxines…). Les acyl-homosérine lactones (AHL) sont des molécules signal produites par de nombreuses bactéries à Gram négatif. Ghosh et al. (2009) ont montré que l’ajout d’AHL provoque l’induction de prophages de bactéries isolées

d’échantillons de sol. L’espèce Pseudomonas aeruginosa produit de l’AHL, qui induit le prophage

PAO1, mais également le phage λ lorsque E. coli est présent en co-culture. L’action de l’AHL chez λ

n’impliquerait pas la réponse SOS mais s’exercerait plutôt via le récepteur de l’AHL (sdiA), et un

régulateur transcriptionnel de la synthèse d’exopolysaccharides (rcsA) (Ghosh et al., 2009). Le

mécanisme est également décrit chez E. faecalis et influence la dissémination des biofilms

(Rossmann et al., 2015).

Récemment, l’équipe de Rotem Sorek de l’institut Weizmann (Israël) a décrit un système de « communication virale » qui assure la coordination de la « décision » lyse/lysogénie chez les phages

du groupe SPbeta de Bacillus subtilis (Erez et al., 2017).L’objectif initial des auteurs était d’évaluer si

les bactéries ayant été infectées par un phage produisaient des molécules pour « alerter » les autres

bactéries d’une infection phagique. Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont infecté B. subtilis

avec 4 phages différents et ont analysé le milieu de culture 3 heures après l’infection afin de rechercher des molécules pouvant inhiber l’infection. De façon surprenante, au lieu d’identifier une molécule produite par la bactérie, les auteurs ont trouvé une molécule synthétisée par un des phages, phi3T. Dans la cellule infectée, le phage produit cette molécule identifiée comme un peptide de communication de 6 acides aminés, relargué ensuite dans le milieu. Lors des vagues d’infection suivantes, les phages « mesurent » la concentration de ce peptide et entrent en lysogénie si la

concentration est suffisamment élevée (Figure 9). Les différents phages produisent différentes

versions de ce peptide, montrant le caractère phage-spécifique de ce mode de communication guidant le « choix » lyse/lysogénie. Cette communication est appelée le système « arbitrium ».

Figure 9. Le système arbitrium (Erez et al., 2017). A. Lors de la première infection par un phage, les gènes aimR

et aimP sont immédiatement exprimés. Le dimère AimR active l’expression de AimX qui est un inhibiteur de la

lysogénie. Parallèlement, AimP est sécrété à l’extérieur de la cellule et devient le peptide mature appelé

arbitrium. B. Au fil des infections, le peptide s’accumule dans le milieu et est internalisé par la bactérie. Le récepteur AimR se lie à l’arbitirum et ne peut plus activer AimX, ce qui mène à l’entrée des phages en lysogénie.

3.3. Avantages et inconvénients liés à la lysogénie

Les prophages ont longtemps été décrits comme des entités « dormantes ». Pourtant, ils peuvent affecter l’hôte, aussi bien au niveau de sa physiologie qu’au niveau de sa population (Howard-Varona et al., 2017).

Avantages pour la bactérie

Certains prophages portent des gènes codant pour des protéines qui vont augmenter le fitness de

l’hôte (Nanda et al., 2015). Ce phénomène est appelé « conversion lysogénique ». Ils peuvent

notamment conférer une résistance envers d’autres phages semblables (grâce au répresseur, qui confère l’immunité à la surinfection), ) ou à la présence de gènes de type Sie (Ali et al., 2014; Bondy-Denomy et al., 2016). Chez S. aureus, le phage TEM123 véhicule la résistance aux β-lactamines (Lee & Park, 2016). Les prophages peuvent également porter des gènes codant pour des facteurs de

virulence ou d’adhésion (Feiner et al., 2015). Ces derniers cas ont été détaillés par Davies et al.

(2016). Les exemples les plus connus sont la toxine diphtérique, acquise via le phage β chez

Corynebacterium diphtheriae (Holmes & Barksdale, 1969) ou encore la toxine cholérique, acquise via le phage CTX chez Vibrio cholerae (Faruque et al., 1998). Les phages Gifsy 1 et 2 portent des fonctions qui aident S. typhimurium à se défendre des macrophages lors d’une infection en modèle souris (Figueroa-Bossi & Bossi, 1999). Les gènes de virulence sont souvent portés par les « morons » des prophages. Ces morons peuvent être identifiés par génomique comparative, car il s’agit de gènes « ajoutés » qui viennent rompre la continuité d’une région d’ADN associée à une même fonction (Fortier & Sekulovic, 2013). Ils présentent généralement un pourcentage en G+C différent de celui du prophage, ce qui marque un transfert horizontal récent. Des systèmes de résistance aux phages, tels que les systèmes Sie, ont également été mis en évidence sur les morons (Cumby et al., 2012).

Parfois c’est la capacité des prophages à s’exciser dans certaines conditions qui peut être un facteur de fitness. Les populations de souches lysogènes peuvent connaître un évènement contrôlé de lyse de quelques bactéries. Ceci provoque la mort des cellules et la libération de phages qui peuvent à

leur tour tuer d’autres souches compétitrices dans la niche. Chez S. pneumoniae, l’induction

spontanée d’une partie de la population apporte une source conséquente d’ADN qui consolide la

matrice du biofilm et la survie du reste de la population (Carrolo et al., 2010). Chez Listeria

monocytogenes, le prophage A118-like est inséré dans le gène comK, régulateur de la compétence.

L’intégration/excision du prophage en lysogénie active va fonctionner comme un « interrupteur moléculaire » dans la régulation des gènes et aura donc de larges répercussions. Il en est de même

chez certaines cyanobactéries où des prophages sont insérés dans des gènes impliqués dans la fixation d’azote (Feiner et al., 2015).

Le fait que les prophages puissent conférer l’immunité aux phages homologues (Bondy-Denomy et

al., 2016), lyser les bactéries compétitrices (Gama et al., 2013), et introduire des facteurs positifs

pour l’hôte (Wang et al., 2010), peut avoir des conséquences importantes sur la population

bactérienne.