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5 Mouvement oculaire

5.3 Recherches

C’est en 1967 que le physiologiste russe Alfred Yarbus constate que le mouvement oculaire est à même de donner des informations de grande valeur sur les stratégies utilisées lors de l’inspection d’une scène visuelle. D’après les résultats de sa recherche sur le mouvement des yeux, l’observation d’objets ou d’images reflète une suite de saccades et des fixations qui donnent des informations sur le déplacement du regard entre les éléments de l’image qui retiennent le plus l’attention. Il en a conclu que les mouvements oculaires reflètent les processus de la pensée humaine. Ainsi, selon lui, les personnes qui pensent de manière différente, dans une certaine mesure, voient différemment.

Depuis plus de 30 ans, des chercheurs se sont intéressés à l’étude du mouvement oculaire et au rôle des données sur la fixation dans le but d’approfondir l’investigation sur les opérations mentales et le traitement de l’information dans divers domaines. Cela s’explique par de récentes améliorations technologiques des systèmes d’enregistrement qui donnent une grande quantité des données plus précises, fiables et faciles à analyser (Rayner, 1998). De plus, il a été démontré que la mesure et l’analyse des schémas du mouvement oculaire reflètent les processus cognitifs (p. ex. Dillon, 1985; Rayner, 1978) et les caractéristiques procédurales (p.

ex. Bethge, Carlson & Wiedl, 1982) que l’individu emploie pendant la résolution d’une tâche particulière. La fixation donne des informations plus précises concernant les processus de résolution des problèmes que celles obtenues par les scores d’un test. C’est aussi le cas pour les informations concernant le système oculomoteur et attentionnel, que d’autres sources ne sont pas en mesure de fournir (Van der Stigchel, et al., 2006).

Comme mentionné auparavant, les mouvements oculaires ont été utilisés à des fins différentes dans l’étude des processus cognitifs et perceptuels, telles que la lecture et la compréhension de texte, la recherche visuelle, la perception d’une scène, les mathématiques, ou encore les analogies. Ces études démontrent que l’analyse du mouvement oculaire fournit des informations de grande valeur. Nous allons décrire quelques unes de ces recherches.

La lecture représente un des domaines les plus étudiés avec l’aide des données sur le mouvement oculaire. Les chercheurs ont constaté que grâce à ces données ils étaient en mesure d’étudier non seulement les aspects oculomoteurs liés à l’activité de lecture mais aussi les processus mis en jeu. Rayner (1995) souligne que les donnés sur la fixation peuvent être utilisées afin d’étudier la compréhension et les effets du traitement du langage. Rayner (1997) affirme que la compréhension du mouvement oculaire a une importance capitale afin d’expliquer les processus utilisés lors de la lecture. Liversedge et Findlay (2000) affirment également que le mouvement des yeux est une excellente mesure «on-line» des processus cognitifs sous-jacents à la lecture. Par exemple, Rayner et McConkie, (1976) et Rayner et Pollatsek (1981), montrent que la durée de la fixation d’un mot est affectée par ses propriétés lexicales comme le sont sa fréquence et sa longueur. Ainsi, des mots peu fréquents sont fixés plus de temps que les mots plus fréquents. En effet, les mouvements oculaires lors de la lecture sont affectés par diverses variables. Dans le cas des variables textuelles, lorsqu’un texte devient plus difficile conceptuellement, le temps de fixation augmente, la longueur de la saccade diminue et le retour en arrière augmente. Concernant les variables typographiques,

des facteurs tels que la qualité d’impression, la longueur de la ligne, l’espace entre les mots ainsi que les différents types d’écriture influencent aussi les mouvements oculaires (Jacobson

& Dodwell, 1979; Rayner & Pollatsek, 1981). Une autre variable est la lecture silencieuse versus la lecture à haute voix. Lors d’une lecture à haute voix, la moyenne des fixations sont plus longues. En effet, Lévy-Schoen (1981) constate que les yeux ont tendance à prendre de l’avance sur la voix, ainsi les fixations montrent que les yeux semblent rester fixés sur place de manière à ne pas trop s’éloigner de la voix.

Concernant le traitement de l’information lors de la résolution d’analogies, peu de recherches ont été effectuées en se basant sur le mouvement des yeux. Etant donné qu’il s’agit du sujet de notre recherche, nous allons présenter les recherches effectuées dans ce domaine plus en détail.

Dans leur recherche sur le processus de «mapping» lors de la résolution des problèmes d’analogie (lecture d’histoires), Salvucci et Anderson (2001), montrent que les mouvements oculaires indiquent les informations que l’individu utilise pendant la résolution de la tâche et à quel moment il les utilise. En effet, les fixations décrivent combien de fois l’individu regarde les diverses cibles du problème et les transitions de cette fixation décrivent l’aspect séquentiel de leur comportement.

Gordon et Moser (2007), dans leur recherche sur le mouvement oculaire au cours de la résolution des analogies scéniques présentées sous forme de dessins, montrent que la mesure du mouvement oculaire est une méthode très efficace pour l’exploration des processus adjacents. Pour leur recherche, les schémas des saccades donnent des informations pertinentes sur la manière dont les individus explorent le problème et cela d’après leur difficulté.

Des recherches portant sur la résolution d’analogies géométriques ont aussi été réalisées. Par exemple, Bethge et al. (1982) se sont intéressés à l’impact de l’utilisation d’une procédure dynamique dans les performances des enfants d’âge moyen de 8.7 ans au CPM de Raven (Matrices Progressives Colorées). Pour cela, ils divisent leur échantillon en trois groupes qui recevront une des trois procédures d’administration. Dans la première procédure, instructions standard, les enfants résolvent un item d’introduction suivi du test. Le deuxième groupe reçoit un feedback élaboré après chaque réponse. L’examinateur dit à l’enfant si sa réponse est correcte ou pas et explique la raison. Lors de la troisième procédure utilisée, verbalisation,

l’enfant doit décrire la matrice avant de donner une réponse. Après avoir donnée la solution, l’élève doit expliquer les raisons de son choix. Il en ressort que les comportements de recherche visuelle varient en fonction de la procédure utilisée. L’analyse du mouvement oculaire montre que le temps et le nombre de fixations de l’ensemble de l’item augmentent grâce à une procédure dynamique et, ainsi, la performance au test augmente. Ceci est corroboré par le fait que les mouvements oculaires des enfants diffèrent selon les conditions.

En effet, les mesures du mouvement oculaire révèlent que tant la verbalisation comme le feedback affectent les caractéristiques procédurales utilisées afin de résoudre les tâches. Ainsi, ils constatent une augmentation dans le temps de fixation et dans le nombre de fixations de la matrice et des alternatives. Plus de comparaisons entre la matrice et les alternatives et entre les alternatives entre elles sont aussi remarquées. Les données suggèrent aussi que des stratégies plus systématiques et planifiées sont utilisées avec cette procédure.

En 1985, Dillon se sert des Matrices Progressives Avancées de Raven (APM) afin de réaliser une recherche sur le traitement de l’information. Elle reprend les mêmes conditions de passation que celles utilisées par Bethge et al. (1982) avec des étudiants âgés de 18 à 35 ans.

La mesure du pourcentage de fixations consacré au processus d’application de la règle indique que le pourcentage diffère en fonction de la méthode d’administration utilisée. Ces résultats sont partagés par Bethge et al. (1982), Les auteurs concluent que l’utilisation d’une procédure dynamique (verbalisation et/ou feedback) a un impact positif sur la régulation de la pensée et cela amène donc à l’utilisation de différentes stratégies. Les résultats de ces recherches présentent des informations d’une valeur considérable sur les effets qu’ont les diverses procédures d’administration d’un test sur le traitement de l’information.

Toujours dans le domaine des analogies géométriques, Vigneau, Caissie et Bors (2006) explorent les différences quantitatives et qualitatives de la performance des universitaires en utilisant 14 items des APM de Raven. Ils mettent en évidence deux aspects qui peuvent expliquer ces différences lors de la réalisation des tâches d’analogie: la vitesse et les stratégies utilisées. En effet, ils constatent que les individus les plus performants sont ceux qui consacrent un temps relatif plus élevé dans l’inspection de la matrice, qui font une analyse complète de celle-ci et dont le temps de réaction dès l’apparition de l’item à la première saccade à la zone des alternatives est plus élevé. En effet, ils dépensent plus de temps dans le processus d’encodage, comme souligné par Sternberg (1977). Ces résultats corroborent ceux de Bethell-Fox et al. (1984) en révélant que la manière dont l’individu approche la matrice et

les alternatives est un aspect important de la performance. Ces deux études confirment que les personnes utilisant une stratégie de «response elimination», c'est-à-dire, qui procèdent par une comparaison entre les éléments de la matrice et ceux des alternatives sont ceux qui ont une faible capacité. Par contre, l’utilisation d’une stratégie de «constructive matching», qui implique la construction de la réponse idéale pour être ensuite comparé aux alternatives, est liée à une meilleure performance. En effet, Vigneau et al. (2006) constatent que les personnes qui passent un temps proportionnel plus élevé dans la matrice reflètent leur préférence dans l’utilisation des informations de la matrice pendant l’inspection d’un item, ce qui se traduit par des meilleures performances. En ce qui concerne le facteur vitesse, Vigneau et al. (2006) identifient une corrélation significative entre le temps passé dans les items plus faciles et le score. De ce fait, un temps d’inspection supérieur dans le processus d’encodage ainsi qu’une moindre inspection des items jugés faciles amènent à une meilleure performance.

L’analyse des fixations oculaires dans l’étude de Carpenter et al. (1990) montre comment les personnes gèrent la complexité d’une tâche. Pour cela, ils utilisent les Matrices Progressives de Raven (SPM) avec des adolescents ainsi qu’avec des adultes et enregistrent leurs mouvements oculaires en même temps que leurs verbalisations. L’analyse de ces deux informations montre que la découverte des règles dans une matrice a un caractère incrémentiel. Ils constatent alors que tous les individus segmentent le problème en sous problèmes et résolvent chaque sous problème de manière successive. Ainsi, l’inférence des règles est effectuée une par une, en analysant deux éléments consécutifs, avec un temps long entre chaque inférence. Cette décomposition est faite afin que le traitement de l’information dans la mémoire de travail se fasse de manière plus efficace. Ils concluent que les différences entre les sujets se trouvent dans leur capacité à induire des relations abstraites et dans la capacité de leur mémoire de travail.

Comme nous venons de le voir, les informations recueillies à travers l’enregistrement des mouvements oculaires sont à même de fournir des indications considérables sur le processus de traitement de l’information et cela dans divers domaines.