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Recherche participative : implication du chercheur et prégnance des enjeux environnementaux

Des dispositifs méthodologiques mixtes et participatifs pour décrypter les relations des sociétés

C- D E LA DIFFUSION À LA PARTICIPATION : UNE DÉMARCHE INTÉGRÉE

2. Recherche participative : implication du chercheur et prégnance des enjeux environnementaux

Les recherches participatives que j’ai développées ont principalement vu le jour du fait de rencontres106 : avec les collègues qui pratiquaient la modélisation multi-agents, sans doute notamment parce que l’exercice de modélisation posait la question du pourquoi et de l’utilité de la recherche (je pense au Réseau MAPS en particulier), avec ceux qui maîtrisaient les démarches de modélisation d’accompagnement, conçues pour suivre des processus de prise de décision, avec ceux qui travaillaient en santé publique, au plus proche de populations exposées à des situations sanitaires défavorables, ainsi qu’avec des collègues intéressés pour explorer des postures de recherches moins conventionnelles sur des thématiques environnementales, avec le souci d’apporter des éclairages sur ce que nous considérons comme des « problèmes » sociétaux et sociaux (problème climat, risque technologique, risques dit naturels,…)

a. « L’important, c’est de participer » ? Les formes de la participation

Affirmer que mes recherches sont « participatives » nécessite de préciser ce qu’on entend par « participation » en général et la manière dont je l’applique à ma démarche scientifique.

Politiques, sciences et démarches participatives

Le champ de la participation s’est beaucoup élargi dans les perspectives de la recherche en sciences sociales, en particulier depuis que la participation est devenue une injonction dans la mise en œuvre des politiques publiques (Le Floch, 2011). Il faut distinguer trois acceptions de la participation. D’une part les « politiques de participation » qui ne sont pas mon objet ici, mais dont les présupposés peuvent avoir des influences sur mon objet (qui renvoient nettement au champ de la démocratie participative) (Chlous et al., 2017 ; Barnaud, 2013, Barbier, 2005). D’autre part, les « sciences participatives » (aussi traduit de l’anglais citizen sciences par « sciences citoyennes ») qui reposent sur le principe de la participation de bénévoles à la récolte des données, jusqu’au niveau national ou international (crowdsourcing) (Chlous et al, 2017 ; Salles et al., 2014 ; Charvolin et al., 2007). Les sciences citoyennes, qui ne sont pas non plus mon objet, peuvent aller de la collecte de données à des formes de militantisme, pour la défense de l’environnement, contre les modèles de développement établis par exemple

106 Je ne résiste pas au bonheur d’en citer quelques-uns, tant je leur dois : Arnaud Banos, Frederic Rousseaux, David Sheeren, Frederic Amblard, Nathalie Corson, Nicolas Becu, François Bousquet, Emmanuel Bonnet, Aude Nikiema, Emmanuel Elliot, François Bertrand, Élise Beck, Claudia Cirelli, Morgane Chevé…

(Gonzales-Laporte, 2014) ou viser la prise de contrôle politique sur la production scientifique107 (Jaeger, 2017 ; Salles et al., 2014). Enfin, les démarches de recherches participatives – l’approche qui retient mon attention - qui associent les individus concernés et les parties prenantes du territoire et intègrent leurs intérêts et leurs connaissances dans le processus de conception et de développement d’une recherche. Ces démarches répondent à « la volonté d’améliorer les capacités des territoires à faire face

aux changements environnementaux actuels » et « se veulent plus intégratives et basées sur des connaissances plurielles » (Chlous et al, 2017). Elles nécessitent une collaboration des scientifiques avec

d’autres « acteurs » (qui peuvent être les habitants, les usagers mais aussi élus ou agents des collectivités, associations… voir aussi ci-dessous) et aboutissent à une plus grande prise en compte des savoirs qui ne sont pas « experts », que l’on qualifie de « locaux » ou de « profanes » (on trouve les termes de

community based research en anglais) (Kumar et Chambers, 2002) (je reviens sur ces termes par la suite).

Dans le projet LittoSIM, par exemple, la démarche participative est déployée sous la forme d’une modélisation participative, où la participation des parties prenantes est couplée avec un modèle physique de submersion marine. On est donc bien dans un processus d’intégration des savoirs des parties prenantes (sur le fonctionnement de l’aménagement du territoire) avec ceux des scientifiques (sur la courantologie par exemple).

Dans la simulation participative, les joueurs – qui peuvent être les acteurs des territoires – sont mis en situation de manière à prendre des décisions en fonction de leurs propres objectifs individuels et de leurs expériences dans le jeu, mais également dans la réalité (Daré, 2005). Ils vivent durant le temps de la simulation une expérience d’apprentissage au travers d’une succession de retours réflexifs – fournis par le jeu et par les autres joueurs – de l’effet de leurs actions (Kolb, 1984). Ces apprentissages individuels peuvent être observés et évalués. De même, les joueurs co-construisent une expérience collective qui sera sujette à discussion et au travers de laquelle on peut explorer les mécanismes de dynamique de groupe. Ainsi, ce type de jeu basé sur la simulation, peut être utilisé pour étayer et transmettre un message dont l’efficacité de l'apprentissage est assurée par le fort engagement des participants dans le jeu (Klabber, 2009). Il s’agit en d’autres termes d’une méthodologie d'enquête permettant le partage de connaissances individuelles et collectives.

(Amalric et al., 2017)

Questionnements épistémologiques et éthiques sur les « démarches participatives »

La démarche participative a généré pour moi un changement de posture, quant à mes objectifs, mes manières de faire et l’arsenal conceptuel que je mobilise. Je fais miennes les questions pointées dans

107 Prise de contrôle et posture militante qui interrogent, lorsque le CNRS encourage le crowdsourcing en le définissant comme une des missions de l’enseignement supérieur et de la recherche (Jaeger, 2017 ; Le Page, 2017).

l’introduction du numéro spécial de la revue NSS sur les démarches participatives (Chlous, et al. 2017) et tente dans ce volume d’y apporter des réponses.

Les premières concernent les pratiques de recherche :

« Comment sont associées les populations et à quelles étapes du processus ? Existe-t-il une appropriation

au cours du processus, une restitution, une co-construction ? Ce processus fait-il, ou non, l’objet d’une narration ? Plus spécifiquement, qu’en est-il dans des systèmes peu ou non démocratiques ? »

Les secondes portent davantage sur le statut des connaissances produites :

« Quels sont les statuts (notamment juridiques) des savoirs produits ? Ces partenariats obligent à réfléchir

au statut des données, c’est-à-dire à la propriété et à la diffusion des connaissances produites ».

Enfin, une troisième série de questions traite des effets de ces dispositifs dans les sociétés :

« Quels sont les apports dans les processus de décision collective ? S’agit-il d’un simple échange

d’informations, de consultation ou de concertation, voire de négociation ? »

Ces questionnements apparaissent dès lors que le chercheur est engagé dans une recherche participative. Dans mes expériences, la question s’est posée vis-à-vis de la posture du jeu sérieux LittoSIM qui encourage les participants à explorer les divers modes de gestion du risque et les incite plus spécifiquement à envisager la défense douce plutôt que la défense dure ou à mettre en place une stratégie de recul stratégique (Amalric et al., 2017, Becu et al., 2017). Dans le cadre du projet ADEME-PCET, elle s’est d’autant plus posée que le projet consistait à suivre la mise en œuvre d’une politique publique (le plan climat).

[Il convient de souligner] l’intérêt de travailler sur les formes de médiations et les passeurs ou médiateurs, qui font ce travail de médiation, traduction, diffusion des constats scientifiques. On a vu dans les recherches précédentes que cette question est particulièrement prégnante et centrale pour le « problème climat » qui a un régime d’existence indissociable de l’expertise scientifique et de l’infrastructure d’expertise inédite qui a pu déboucher sur l’énonciation d’un constat étayé et donc faire exister matériellement le problème. Le changement climatique illustre à l’extrême cette indissociabilité entre science et politique, le discours politique sur le changement climatique ne pouvant exister sans s’appuyer sur l’expertise scientifique. De plus, le problème climat n’a pas de matérialité, de consistance concrète, aux yeux de tous, dans le quotidien, le vécu des habitants dans les territoires.

(Bertrand et Amalric, 2014)

Enfin, une dernière question éthique se pose, qui concerne la posture scientifique :

« Comment se positionne le chercheur dans le processus participatif : en expert du sujet ou de la

participation, en arbitre, en médiateur ou en observateur ? Adopte-t-il la posture de la « neutralité », d’une « impartialité exclusive », d’une « impartialité engagée » ? (Chlous, et al. 2017).

À ce sujet, C. Larrue et R. Barbier (reprenant Barbier et al. 2010), soulignent qu’il importe « de penser et

d’organiser les rapports entre [les] producteurs d’états du monde d’une part [activité de science réglementaire], et leurs utilisateurs potentiels que peuvent être les protagonistes de la scène participative d’autre part. Un des enjeux de ce réglage consiste à éviter deux écueils : celui de la « tentation de la boîte noire » – sur le mode « c’est de la science, il n’y a rien à négocier » ; et celui de la disqualification ironique : « c’est arbitrairement tiré du chapeau » » (Barbier & Larrue, 2011).

b. Selon quels critères classifier les démarches participatives : questions pour une géographe

Pour répondre aux questions que soulève la participation dans ma pratique de géographe et pour présenter mes démarches, je ressens le besoin de les situer parmi les différentes classifications, dont le nombre important s’explique par la diversité des critères retenus.

Le degré d’investissement comme critère de classification de la participation

Un premier critère est celui du degré d’investissement des parties prenantes. De ce point de vue, les dispositifs de participation font l’objet de nombreuses catégorisations (Blondiaux, 2004 par exemple) qui ont été abondamment reconfigurées. Chelzen et Jegou distinguent quatre paliers : information, consultation, diagnostic partagé, co-décision, qui sont appliqués à l’intensité d’implication des habitants et usagers dans les dispositifs de prise de décision (Chelzen et Jegou, 2015, reprenant Arnstein, 1969 et Beuret at al, 2006). Ce critère de classification des dispositifs participatifs est davantage opérant pour l’analyse de l’action publique (Barbier et Larrue, 2011 ; Bacqué et Sintomer, 2011 ; Wagenaar, 2014) que pour les démarches de recherche participative. Il interroge spécifiquement la prise en compte de la catégorie des habitants ou des citoyens dans l’action. Or, dans mes travaux « participatifs », il s’agit de démarches conçues pour être « intégrées », et donc d’une participation a priori « invitée », voulue en amont comme telle, et basée sur le volontariat de divers acteurs (Wagenaar, 2014). Le critère du concernement, qu’il m’intéresse d’interroger du point de vue de son incidence territoriale108, n’est pas déterminant pour qualifier mes recherches de « participatives » (sans doute parce que je n’analyse pas l’action publique pour elle-même, mais en tant que géographe pour son impact sur le territoire).

108 Voir les développements précédents sur le concernement, le sentiment d’appartenance, d’attachement ou de rejet, ainsi que sur la « culture du risque » et les développements suivants concernant « sur qui et avec qui » mettre en œuvre des démarches participatives.

Classification en fonction des objectifs

Les « démarches participatives » sont également classées par d’autres auteurs sur un gradient allant de l’approche « instrumentale » à « transformative » (Rao et Woolcock, 2003). Dans la première approche, elles visent à recueillir des données auprès des populations qui ont le moins souvent la parole (habitants, usagers, associations) et ce pour permettre au chercheur de mieux comprendre sa thématique ou son terrain (donc pour produire des connaissances). Dans la seconde, elles ont pour but de faire prendre conscience aux populations enquêtées des connaissances qu’elles possèdent et de l’usage qu’elles peuvent en avoir pour changer la situation présente (soit une situation d’empowerment qui est fréquemment le cadre de réflexions sur les populations les plus pauvres ; Rao et Woolcock, 2003). Christophe Le Page propose une voie intermédiaire, le principe « KILT » (Keep It a Learning Tool !) qu’il applique à la modélisation, qui consiste à permettre aux parties prenantes (gestionnaires, agents, habitants ou usagers… et donc pas seulement aux « populations ») de co-construire la démarche et ce faisant, d’apprendre et de penser eux-mêmes les modes de gestion des problématiques environnementales (j’y reviens ci-dessous) (Le Page, 2017).

Savoir si les recherches participatives que je mène sont instrumentales ou performatives pourrait me permettre de me situer dans cette seconde catégorisation, mais cette division ne me satisfait pas complètement. En effet, le processus de la recherche en train de se faire mène à des résultats qui n’étaient pas attendus (ou souhaités ou espérés). Aussi la classification en fonction des objectifs fixés à la recherche ne s’avère-t-elle pas entièrement opérante sur le long cours de la recherche (du fait de ces effets inattendus produits). Par ailleurs, si l’on considère les trois grands objectifs proposés par Houllier, Joly et Merilhou-Goudard pour classer les démarches (à savoir « (i) Produire des connaissances et des

indicateurs, éduquer les citoyens aux méthodes scientifiques ; (ii) Produire des connaissances actionnables, renforcer les compétences (favoriser la capacitation [empowerment]) ; (iii) Produire des connaissances actionnables dans une perspective d’ innovation et de transformation sociale » (Houllier et al., 2017)), il

me semble que les objectifs se recoupent de manière importante et ne permettent pas un positionnement clair. En outre, la limite entre connaissances actionnables ou pas, dans une perspective d’innovation ou pas, ne me permet pas de situer mes travaux.

Classification en fonction du phasage

Une troisième façon de penser la classification peut consister à considérer les étapes de la recherche partagées avec les parties prenantes et leur contenu. Pour ce faire, on peut reprendre avantageusement les différents stades de modélisation participative qui ont été distingués pour qualifier le degré de participation d’une démarche :

- définition du problème, - conceptualisation,

- extraction des connaissances et abstraction, - formalisation,

- définition d’un scénario ou calibration du modèle,

- implémentation (Barreteau et al., 2011 ; Le Page et al., 2010 ; Voinov et Bousquet, 2010). On peut y ajouter :

- prise de décision, - participation à l’action,

- retour sur la démarche de recherche avec les parties prenantes (qui peut aussi s’apparenter à une étape de débriefing).

La Figure 37 synthétise ces étapes, en montrant leur dimension cyclique (Voinov et al., 2016).

Figure 37 : Les étapes d'un projet de recherche participative, qui concernent aussi bien les scientifiques que les décideurs (Voinov, et al, 2016)

Si les étapes sont nombreuses et leurs limites ténues, elles offrent l’avantage de présenter une dimension temporelle de la recherche-action, que je retiendrai pour la coupler avec les objectifs de la recherche.

Une double classification entre phasage de la recherche et objectifs fixés

Je propose une double grille de présentation des recherches participatives que j’ai menées. Je prends d’une part en compte, la dimension temporelle qui interroge les étapes où sont investies les parties prenantes dans la recherche. La phase « avant », recouvre les étapes d’élaboration du projet de recherche (identification d’un problème ; conceptualisation de la problématique) et de montage du projet (méthodes, public concerné). La phase « pendant » concerne les multiples phases du déroulement du projet en lui-même (types de modalités, rythme, terrains). La phase « après » est la partie de restitution du projet et des suites données après la fin officielle de la démarche (suites données, activation des résultats du projet, actions attendues/imprévues…). D’autre part, je considère la gradation des objectifs de la recherche (que je modifie d’après Salles et al., 2014) : s’agit-il d’une démarche de recherche sur les

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