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Comment aborder les problématiques environnementales actuelles : la géographie sociale environnementale comme science ancrée

Contexte socio-politique et positionnement théorique : les représentations sociales et l’ontologie naturaliste

2. Comment aborder les problématiques environnementales actuelles : la géographie sociale environnementale comme science ancrée

Les recherches en sciences sociales s’efforcent de théoriser cette « crise environnementale » et la manière dont les sociétés la considèrent, la « gèrent » … ou l’ignorent. Plusieurs cadres permettent de penser ou repenser les rapports des sociétés occidentales à ce qu’elles nomment leurs environnements, je m’efforce ici de me positionner vis-à-vis de certains : l’anthropocène, les humanités environnementales, la political

ecology, le pluralisme ontologique. Cela me permet in fine de me situer, dans ma discipline, dans une

géographie sociale environnementale, conçue comme une approche ancrée et sensible.

a. La notion d’anthropocène : se dessiller les yeux ?

Elle crut que ce qu'elle voyait était un rêve de la nuit et elle frotta ses yeux pour les dessiller.

Anatole France

Balthasar

1889

« Tout s’apparente à l’environnement à l’ère de ce que Paul Crutzen (2002) a appelé l’anthropocène, soit

une biosphère façonnée par l’action humaine » (Hamman, 2017). L’idée n’est pas nouvelle, si l’on

considère que Kalaora et Larrère l’énonçaient déjà en 1989 : « Nous savons, en premier lieu, que la nature

n’existe pas. Nous savons que depuis l’origine incertaine des sciences humaines, elle est anthropisée, de part en part façonnée, produite par la mise en valeur des générations successives (quoique à des degrés divers). Nous savons que l’homme est dans la nature, tant pour l’avoir transformée que pour demeurer soumis à ses lois. Nous savons enfin l’artificialisation incomplète. S’il a bâti des villes et des usines, l’homme a moins artificialisé le milieu naturel qu’il n’a manipulé des écosystèmes, contrôlé des conditions de production, sans maîtriser l’ensemble des effets de ses interventions » (In Mathieu et Jollivet, 1989, p. 81,

cité par Hamman, 2017).

Est-ce que la notion d’anthropocène vient nommer ce qui était sous nos yeux depuis longtemps déjà ? Dans la conception de Crutzen, ce sont les présupposés de l’anthropocène qui permettent de concevoir la complexité de la notion : « Se dégage une vision de puissance de l’homme, devenu facteur géologique ;

en fait d’anthropocentrisme, on peut également y voir une double naturalisation : en tant que force géologique, l’humanité fait partie de la nature, et l’humanité est naturalisée en tant qu’espèce (Larrère et Larrère, 2015, p. 247) » (Hamman, 2017).

Pour le géographe, la notion d’anthropocène peut surprendre, tant il est reconnu dans la discipline qu’il n’existe pas de partie du globe qui ne soit anthropisée. Ce qui est souligné dans l’idée de l’anthropocène,

ce n’est pas tant la présence de l’humain que sa prégnance inégalée dans le passé, et ce faisant, le fait que le système terrestre ait atteint un « seuil critique » d’anthropisation. Descola fait le constat après Crutzen que cette ère est celle où les humains sont la plus grande force évolutionnaire. Il souligne que ce n’est « le fait que d’une petite partie de l’humanité, qui a des modes d’existence spécifiques, (…) ceux

du capitalisme ». Dans la lecture que propose Descola, les modes d’existence des occidentaux résident

sur une conception de la nature comme étant à la disposition de l’humain, conception ontologique qu’il nomme « naturalisme » (Descola, 2015). En cela, l’anthropocène se distingue du monde anthropisé des géographes par l’intensité des modifications apportées par l’humain. Le paradigme lui, me semble relativement comparable.

b. Fonder la réflexion sur l’environnement du point de vue académique, politique ou social

La limite entre contexte scientifique et politique n’est pas franche, et l’enjeu environnemental tel qu’il est considéré dans les sociétés actuelles imprègnent le cadre académique et politique des recherches.

Les humanités environnementales pour répondre à un besoin sociétal et académique ?

On peut voir dans la montée en puissance8 des humanités environnementales, une réponse institutionnelle à un besoin sociétal – auquel l’invention de l’anthropocène n’est pas étrangère (Rudolf, 2018). Là, encore, pour le géographe, il paraît évident de placer les sciences de l’environnement dans le champ des humanités et du social, et pas seulement dans celui des sciences de la vie et de la terre. Peut-être l’est-ce moins pour d’autres disciplines qui ont besoin d’un tel cadre pour défendre cette approche : la littérature, l’histoire, et dans une moindre mesure, l’anthropologie et la philosophie9. Peut-être s’agit-il de se défaire du joug des sciences naturelles10

, auquel les sciences humaines et sociales peuvent se sentir soumises ? Autre hypothèse, les sciences « naturelles » éprouvent éventuellement le besoin de recourir aux sciences humaines, sociales, aux sciences « de l’action », pour répondre à certaines de leurs interrogations ? À mes yeux, la structuration d’un champ des humanités environnementales offre l’intérêt d’une plus grande visibilité (Choné, Hajek, Hamman, 2016 ; portail des humanités environnementales par exemple). Il propose l’élargissement du champ d’investigation de l’environnement en SHS, permet des éclairages disciplinaires variés sur les rapports sociétés-environnement (vision de la nature dans la littérature ou au travers d’une approche historique). J’y vois également le signe de l’écologisation de l’action publique, qui place l’environnement dans les champs d’intérêt des scientifiques. Pour autant, je n’en retiens pas l’occasion de défendre une posture militante,

8 Sensible dans les appels à projets scientifiques par exemple

9 La philosophie n’a pas attendu les « humanités environnementales » pour penser les rapports des sociétés avec la nature, toutefois, Descola souligne lui-même qu’il y avait une certaine provocation de sa part à intituler sa chaire du Collège de France, chaire d’anthropologie de la nature (2015).

qui chercherait à mettre en avant les droits ou les valeurs des « non-humains » par opposition à ceux des humains.

Political ecology ou engagement ancré, posture critique ou politique ?

Comme géographe, la seule défense que j’ai eu à prendre, est celle de l’intérêt de considérer ensemble les milieux et les humains, face aux collègues de « géographie urbaine », pour qui la géographie de l’environnement était parfois une affaire « de petites bêtes11

». Aussi, j’adopte une posture que je conçois comme engagée12, justifiant dans mes travaux de la pertinence de s’interroger sur « la terre en tant qu’elle

est habitée par l’humanité » et « l’humanité en tant qu’elle habite la Terre » (Berque, 1996), tant bien du

point de vue des actions humaines (des intentions, des actions, des discours) que de celui des dynamiques naturelles, parce que le tout constitue un système. Je ne m’inscris pas, pour autant, dans l’approche résolument critique de la political ecology. Cette posture se fonde « sur une analyse politique

des enjeux d’environnement, et notamment de la tendance à naturaliser les processus de dégradation des milieux » (Chartier et Rodary, 1996). Pour les political egologists anglophones puis francophones, « il s’agit d’étudier les « interactions environnement-sociétés » au travers de trois composantes majeures plus ou moins explorées en fonction des positionnements des chercheurs : les « intérêts économiques, les changements écologiques et les luttes politiques ». L’approche est associée à une vision éco-socio-systémique des objets qui sont appréhendés comme des « socio-natures » (Swyngedouw, 2004) » (Blot,

Besteiro, 2017).

Je suis sans doute restée éloignée de la political ecology en raison de la difficulté « à [me] situer dans un

paysage académique français (…) où les questions environnementales n’ont longtemps intéressé qu’une petite partie des chercheurs en sciences sociales, tant en géographie (Bertrand, 1989 ; Mathieu, 1989 ; Orain, 2006 ; Hautdidier, 2016) qu’en science politique (Villalba, 2006) » (Bouleau, 2017). Bien que

fortement intéressés par les problématiques environnementales, les géographes qui m’ont inspirée ne revendiquaient pas une géographie engagée, ni activiste. Aussi ai-je moi-même conçu une géographie pratique, pour penser le monde (les modes d’existence, les modes de gouvernance, les inégalités…), « politique », mais au sens large, c’est à dire intégrée dans la vie de la cité.

C’est pour cette raison que ma réflexion s’inspire également d’autres « propositions théoriques qui vont

plus loin que la political ecology dans la volonté de relativiser le grand partage entre naturalisme et constructivisme » (Bouleau, 2017), tel que le pluralisme ontologique (Descola, 2005). J’y trouve, comme

G. Bouleau le formule, la possibilité d’une « lecture de la modernité occidentale qui permet la critique » (Bouleau, 2017). En effet, même si certains aspects historiques ou sociologiques ne sont pas considérés à leur juste place dans ces approches (Ingold, 2011), elles me semblent offrir comme point de départ de la réflexion, le postulat extrêmement fertile de la remise en question de l’opposition nature-sociétés.

11 Il se reconnaîtra : sans rancune !

12 Posture engagée que j’ai eu à défendre dans les formations de géographie, face aux collègues de géographie physique, qui considèrent l’étude des phénomènes « physiques », comme seule approche indispensable : j’ai une pensée pour cette grande dame de la géomorphologie de Lille qui m’avait rabrouée alors que je lui faisais part de mes démarches d’enquête, en me disant « Moi, c’est avec la marée que j’ai rendez-vous ! »

Cela rejoint, comme Chouquer le fait remarquer, la position de Berque dans la conception qu’il « pose du

rapport ontologique que l’homme entretient avec son environnement », à savoir la médiance (Berque,

1994 ; Chouquer, 2001). Dans sa réflexion, Berque propose de considérer la médiance comme « une

co-suscitation où, indéfiniment, le sujet produit le milieu, qui produit le sujet » (Berque, 2014). Son ambition

est ainsi de « renaturer la culture, reculturer la nature » (Berque, 2000) et ainsi de dépasser le dualisme nature/culture.

c. L’arbre, le maire et… la géographe13 : quelle posture disciplinaire ?

Sans vouloir revendiquer à tout prix un rattachement disciplinaire14, ces différentes postures m’ont amenée à concevoir une certaine définition de ma discipline, pour laquelle il me paraît utile de me situer.

La géographie sociale et l’environnement

Si la « géographie sociale » est défendue dans sa spécificité et dans son appellation (Séchet & Veschambre, 2006), force est de constater que la question de l’environnement en reste le parent pauvre. Seul un chapitre de l’ouvrage publié sur la géographie sociale et l’action15, qui se présente comme une synthèse épistémologique, aborde l’environnement sous l’angle du « risque naturel ». Ses auteurs précisent d’emblée que le texte « résulte moins d’une réflexion proprement géographique que du travail

collectif et pluridisciplinaire16 réalisé au sein [de l’équipe Risques urbains du laboratoire RIVES], très marqué par l’ethnologie et, dans une moindre mesure, la sociologie » (Martinais et al., 2006). Mon

parti-pris pour une géographie sociale m’a cependant toujours paru nécessaire, en particulier pour me positionner par rapport à ce qui était la « géographie physique » au début de mes études, et qui s’est ensuite dénommée une « géographie de l’environnement » (Lévy & Lussault, 2003).

Comme l’analysent D. Chartier et E. Rodary, la « géographie de l’environnement », qui s’est structurée à partir des années 1970, s’est principalement (re)constituée autour d’une science des relations entre les sociétés et la nature, sans prendre le recul – à quelques exceptions près - que le tournant « écologiste », au sens scientifique du terme, nécessitait à la fin du XXème et au début du XXIème (contrairement aux anglo-saxons, notamment aux États-Unis) (Chartier et Rodary, 2016). En ce sens, je rejoins l’analyse proposée dans leur Manifeste, qui remarque que certains géographes prennent leurs distances avec la connotation politique dont sont porteurs les pouvoirs publics vis-à-vis de la gestion de l’espace et de

13 Clin d’oeil au film L'Arbre, le maire et la médiathèque d’Éric Rohmer (1993)

14 En effet, le cloisonnement entre les géographies m’a toujours apporté davantage de contraintes que de repères, mais il reste que les postes d’enseignants-chercheurs et de chercheurs continuent de proposer des étiquettes thématiques et que les section CNU et CNRS renvoient également à une catégorisation disciplinaire.

15 « Espaces et sociétés aujourd’hui. La géographie sociale dans les sciences sociales et dans l’action », publié à la suite du colloque de Rennes organisé en 2004 par l’UMR ESO.

l’environnement dans les sociétés occidentales (ils citent C. Blanc-Pamard, O. Soubeyran et V. Berdoulay, N. Blanc, N. Mathieu et Y. Guermond, mais aussi R. Mathevet). À contrario, le Manifeste critique ceux des auteurs qui se laissent emporter par le passage à une « géographie de l’environnement », qualifiée de « lifting scientifique peu convaincant », en cela qu’il tient « à une démarche de modernisation écologique

du capitalisme qui s’affiche autrement pour que rien ne bouge » (Chartier et Rodary, 2016). Ce propos,

résolument inscrit dans une géographie critique, rejoint en un sens, celui de Descola mentionné précédemment, qui souligne que la crise environnementale du début de ce 21ème siècle, est le fait d’une petite partie des humains, ceux qui ont basé leur mode de vie sur une exploitation des ressources qu’ils considéraient comme étant à leur disposition (Descola, 2015).

Dans ma définition de la géographie, j’ai toujours cherché à prendre du recul, en abordant par les discours, les intentions et les actions, les apparentes contradictions et distorsions qui apparaissent dans le champ de l’action environnementale. La question du verdissement des politiques, la marchandisation de la biodiversité, l’instrumentalisation de la notion de services écosystémiques sont autant de questionnements qui traversent mes travaux, sans avoir été affichés comme tels a priori17. Pour autant, je ne fais pas miennes toutes les analyses du Manifeste pour une géographie environnementale : d’une part parce qu’il me semble que sont passés sous silence des travaux de géographes qui répondent à ce que les auteurs appellent de leurs vœux (A. Sgard sur le paysage (2011), F. Vinet sur l’inondation (2007), B. Trouillet sur les outils géo-technologiques de pêche en mer (2018)). D’autre part, du fait de la mise en avant de la conservation de la biodiversité comme enjeu écologique majeur, qui ne recouvre qu’une partie infime de la géographie sociale environnementale qui m’intéresse.

Une géographie sociale et environnementale : ancrée et sensible

Ma géographie sociale est également environnementale. Elle emprunte par conséquent à d’autres postures géographiques qui mettent au centre la question relationnelle des sociétés et de l’environnement, à la manière dont C. Raffestin la conceptualise. Comme le font remarquer Blot et Besteiro (2017), ses travaux novateurs dans les années 1980 ne sont pas éloignées du courant de la

political ecology. En effet, il « assigne à la géographie l’étude des relations entre sociétés et « espaces », sociétés et « matières » (ces dernières devenant « ressources » dès lors qu’elles sont « sémantisées » et appropriées) » (Blot et Besteiro, 2017). Ce qui m’intéresse dans ce cadre de pensée, c’est l’attention

portée « aux « intentions » et « finalités » des acteurs, à leurs « stratégies » et aux « résistances » qui

expriment le « caractère dissymétrique qui caractérise presque toujours les relations » (Blot et Besteiro,

2017, citant Raffestin 1980, p. 46). Dès mes travaux de thèse, je retiens dans l’analyse des territoires, ces composants matériels et idéels, qui font système.

17 Ces questions me sont plus fortement apparues au cours du programme de recherche que j’ai dirigé sur l’installation par des exploitants industriels de zones humides artificielles à la sortie de stations d’épuration, au titre d’une ingénierie écologique qui visait à améliorer la qualité des cours d’eau au nom de la biodiversité, sans aucune réflexivité sur les implications territoriales de tels dispositifs techniques. Elles m’apparaissent aussi au contact de collègues scientifiques qui ne comprennent pas le regard critique que je porte sur les services éco-systémiques.

La notion d’espace a été très largement abordée par tout le courant de la géographie humaine (Auriac, Brunet, 1986). Son étude a permis de montrer que l'espace n'est pas seulement un lieu, mais qu’il est une étendue de terre (mais pourquoi pas de mer) que l'homme s'approprie. C'est en cela que l'espace a ses bases épistémologiques dans la géographie « humaniste ». Cette dernière intègre le social au spatial et autorise ainsi l'introduction de nouvelles tendances dans la géographie telles que la prise en compte des représentations (Auriac, Brunet, 1986). L'appropriation d'un « lieu » par l'homme en fait un espace dans la mesure où il lui donne du sens en l'habitant et en l'occupant. Il lui reconnaît des ressources, des contraintes, lui attribue des pouvoirs, le hiérarchise. On en arrive donc à ne plus pouvoir dissocier les composantes physiques et sociales de l'espace et c'est précisément ce en quoi consiste la géographie : considérer le binôme société/milieu comme un « même système » (Chamussy, 1986). La preuve de l'appropriation de l'espace par l'homme est sa « sémiotisation » (Raffestin, 1986) qui le transforme, finalement, pour Raffestin, en territoire. (Amalric, 2005)

Je n’ai jamais explicitement placé au cœur de mes interrogations l’analyse de Raffestin des rapports de pouvoirs, des « relations en termes de « symétrie » ou « dissymétrie » […] qui permettent de mettre en

évidence les rapports de pouvoir à l’œuvre tant entre composantes sociales qu’entre composantes sociales et matérielles » (Blot et Besteiro, 2017). Pour autant, mon intérêt pour l’explicitation de la gestion des

écosystèmes et des choix d’aménagement (notamment les « systèmes de représentations dominants » ; Bertrand et Bertrand, 2002) interroge indirectement ces questions de rapports de pouvoir dans l’action environnementale. En cherchant à prendre en compte « la dimension culturelle de la nature avec les

notions de paysages, territoire, ressource, fertilité, patrimoine, le vécu et le perçu, symboliques et tabous »

(Bertrand, 1989) l’approche de Bertrand propose également une vision systémique qui caractérise la géographie sociale et environnementale telle que je la conçois : comme une discipline étudiant l’action et ses conséquences, les modes d’agir et leur manifestation dans l’espace. Par conséquent, une discipline ancrée dans son temps et dans les enjeux des sociétés étudiées.

Ma conception d’une géographie sociale environnementale renvoie également à la dimension sensible de la géographie que les géographes « humanistes » défendent. J’y revendique une plus grande place faite à l’empathie, à l’émotion, à l’intuition.

Certains géographes évoquent de manière pionnière la dimension sensible et symbolique qui constitue le rapport des humains à l’espace, leur « géographicité » (Dardel, 1952). Berque s’appuie par la suite sur le terme d’écoumène pour désigner « à la fois la terre et l'humanité, mais ce n'est pas la terre plus

l'humanité, ni l'inverse, c'est la terre en tant qu'elle est habitée par l'humanité et c'est aussi l'humanité en tant qu'elle habite la terre. (…) L'écoumène c'est la relation de l'humanité à l'étendue terrestre » (Berque,

d’Armand Frémont18 qui propose une lecture sensible de la construction des territoires et donne au mental et à l’imaginaire une place importante parmi les facteurs explicatifs des comportements humains (Frémont, 1990). Prolongeant la notion de la « géographicité » (Besse, 1990), Besse (un philosophe parmi les géographes) réaffirme également l’importance de la dimension sensible (qui prend en compte le sensoriel, mais aussi l’ambiance), comme étant constitutive du paysage, en tant que mode d’action et de penser le monde (Besse, 2018). L’appel à cette géographie sensible, qui concerne également la géographie environnementale, se propose de ne pas être une « approche uniquement rationnelle et objective », pour se conjuguer « avec notre capacité à nous émouvoir, à faire preuve d’empathie et à nous rendre perméable

à des énergies « primordiales » (Chartier, Rodary, 2016). Pour ce faire, il s’agit de concevoir « des changements de paradigmes et de pratiques scientifiques, une plus grande ouverture à ce qui est de l’ordre du non-rationnel, de l’intuitif, du sensible, du poétique, impliquant un dialogue des savoirs (qu’ils soient académiques ou non) et un intérêt pour d’autres récits » (Chartier et Roday, 2016). Cela fait sens avec les

travaux que j’ai pu mener en cherchant à percer les raisons de l’attachement aux lieux du quotidien ou à certains milieux (les zones humides, les bords de Loire), de même que les travaux où j’ai opéré des rapprochements qui paraissaient « irrationnels » (les paysages vécus des zones industrielles et leur lien avec les représentations des risques19). Mon approche est également sensible lorsque j’ai recours à des méthodes exploratoires, qui révèlent à l’occasion des émotions (sur un plateau de théâtre, en simulant une alerte « inondation » par exemple).

Qu’est-ce que la géographie sociale environnementale ?

S’il faut préciser de quelle géographie je me revendique, c’est le terme de géographie sociale environnementale qui convient le mieux car les dimensions sociale et environnementale constituent toutes deux les racines de mon approche scientifique et aucune des deux n’est seulement un objet. La géographie sociale environnementale a pour spécificité d’être ancrée socialement et politiquement ainsi que profondément inscrite dans une démarche de terrain.

C’est une discipline profitable à la société, pratique, « libérée et décomplexée » (Banos, 2013). J’assume une forme « d’engagement » vis à vis des problématiques environnementales, qui n’est pas du

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