• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : ÉTUDE DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE

III) DISCUSSION

III.5) Rations

Nous avons constaté d’une manière générale qu’il y avait peu de différence dans les rations entre les différentes catégories que ce soit pour le rang, l’âge, le stade physiologique ou le devenir des petits. On constate également que la ration est uniforme d’une manière globale toutes catégories confondues. L’interprétation de cette constatation est à faire très prudemment. En effet, il a souvent été très difficile de déterminer quels aliments les femelles étaient en train de consommer, notamment lorsqu’elles mâchaient, les bajoues pleines, sans aliment dans les mains. Il est possible que cette apparente uniformité des rations soit en fait un artéfact lié aux observations.

Nous avons vu précédemment que dans la littérature les dominants ont généralement accès prioritairement aux meilleurs sites d’alimentation et à la nourriture favorite. Un régime alimentaire omnivore permet d’exploiter des sources de nourriture variées. La possibilité de consommer une nourriture "alternative" peut s’avérer avantageux pour les individus dominés, lorsque les individus dominants monopolisent les principales sources de nourriture (Hamilton

et al., 1978 cités par Post, 1982). Pourtant l’étude de Post (1982) montre que ce sont plutôt les

individus dominants qui exploitent des sources de nourriture "alternatives", et qui ont l’alimentation la plus variée.

Dans notre étude, l’enrichissement pourrait être assimilé à ces sources de nourriture "alternatives". On constate que les femelles dominées en mangent dans les mêmes proportions que les femelles dominantes. Les fruits frais représentent la nourriture la plus appréciée mais les croquettes pour singes, qui sont généralement moins appréciées (Gilleau et Pallaud, 1988) sont les aliments les plus équilibrés d’un point de vue nutritionnel. Il semble que les femelles dominantes consomment un peu plus de fruits que les femelles dominées qui consomment un peu plus de croquettes pour singes.

Post et al. (1980) ont montré que les individus de rangs proches ont des rations plus homogènes que celles d’individus de rangs éloignés et, de même, que des individus de même classe d’âge et de sexe ont des rations plus proches que des individus de classes différentes. Dans notre étude ces comparaisons "intra-catégories" n’ont pas été effectuées mais les différences de ration entre les catégories sont minimes.

En fonction du stade physiologique, ce sont les femelles allaitantes en général (en œstrus ou non) qui consomment la plus grande proportion de croquettes. On a vu que ce sont également elles qui présentent le moins de prises alimentaires. On peut supposer qu’elles compenseraient leurs besoins énergétiques élevés en privilégiant les aliments riches et équilibrés. De même les femelles dont les petits survivent consomment une proportion plus importante de croquettes pour singes que les femelles dont les petits meurent (morts-nés ou mauvais état général). On peut avancer très prudemment l’hypothèse selon laquelle la nourriture des femelles dont les petits meurent serait moins équilibrée que celle des femelles dont les petits survivent. De nombreuses études ont montré que la sélection nutritionnelle des babouins est corrélée positivement aux taux de protéines et de lipides et négativement aux taux de fibres, de phénols et d’alcaloïdes (Barton, 1988; Whiten et al., 1991; Barton et al., 1993; Barton et Whiten, 1994). Ces corrélations sont souvent accentuées pour les femelles gestantes. En effet, la gestation augmente les besoins protéiques des femelles (Riopelle et al., 1975; Kohrs et al., 1979; Barton, 1988). Pourtant nous avons constaté que les femelles gestantes consomment une proportion plus importante de fruits et de légumes frais, plutôt riches en fibres, et une proportion moins importante de croquettes que les femelles allaitantes. La gestation nécessite également l’évitement de certains composants, comme les alcaloïdes, du fait de la vulnérabilité du fœtus aux toxiques présents dans le sang de la mère (Barton, 1988).

Il serait très intéressant, mais extrêmement difficile, d’évaluer la composition biochimique des rations des femelles des différentes catégories. D’autant que les profils alimentaires différents observés lors du repas du soir peuvent laisser supposer que les aliments consommés lors de ce repas ne soient pas les mêmes. On pourrait par exemple supposer que les fruits frais, qui sont les aliments les plus appréciés, sont consommés en priorité par les individus mangeant en premier. Pourtant, l’analyse de la ration pour le repas du soir ne met pas en évidence de différence entre les femelles dominantes et les femelles dominées. En revanche, les femelles intermédiaires, qui présentent la plus petite moyenne de prises alimentaires, consomment plus de croquettes pour singes le soir. Cette tendance des femelles mangeant "le moins" à "privilégier" les croquettes se constate également pour les femelles A2, les femelles

allaitantes, en œstrus ou non, et les femelles dont les petits survivent. Deux hypothèses peuvent être émises : soit ces femelles consomment volontairement plus de croquettes, qui sont les aliments les plus riches et les plus équilibrés, pour compenser le fait qu’elles mangent moins, soit elles ont moins accès aux aliments frais et se "rabattent" sur les croquettes. La seconde hypothèse est renforcée par le fait que les femelles intermédiaires, les femelles A2 et les femelles allaitantes semblent manger plus pendant la seconde moitié des observations. En revanche ce n’est pas le cas des femelles en œstrus et allaitantes et des femelles dont les petits survivent. Pour celles-ci on s’orientera plus vers la première hypothèse. Cependant les deux interviennent probablement conjointement.

De plus, il est important de rappeler que nous n’avons pas distingué ni la nature exacte des aliments frais, ni la taille des morceaux ingérés. Il apparaît clair qu’un quartier d’orange n’est pas équivalent à un petit morceau de carotte abandonné par un autre individu et qu’une pleine poignée de croquettes puisée dans la mangeoire n’est pas équivalente à une croquette ramassée au sol. Pour les femelles semblant accéder plus tardivement à l’alimentation, il est possible qu’elles n’aient pas accès aux meilleurs aliments frais mais aux restes laissés par les individus accédant prioritairement à la nourriture. De même pour les croquettes, il est possible qu’elles n’aient accès qu’à celles abandonnées sur le sol. Toutefois l’évaluation systématique des restes à la fin des observations a permis de constater que les mangeoires sont rarement vides. Nous n’avons pas analysé la consommation chronologique des différents types d’aliments mais cela pourrait s’avérer intéressant. Les aliments consommés en fin de repas ne sont probablement pas les mêmes, ni en qualité ni en quantité, que ceux consommés au début du repas. Nous sommes ici confrontés aux limites de la méthode d’observation.

Pourtant, certaines femelles qui, d’après les observations, donnent l’impression de commencer à manger tardivement et/ou de ne consommer presque que des croquettes (par exemple Raya), sont des femelles très bien portantes et dont les petits survivent généralement. Il convient toutefois de rappeler que l’alimentation des animaux en captivité doit non seulement combler leurs besoins nutritionnels, mais aussi leur permettre d’exprimer au mieux leur répertoire comportemental originel. Aussi, même si les croquettes pour singes représentent un aliment complet et équilibré, elles n’apportent pas de stimulation comportementale suffisante pour le bien-être des animaux (Knapka et al., 1995).