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CHAPITRE II. LA VISION TRADITIONNELLE DES FEMMES DE L’AGE DU FER ET DE LEURS ROLES SOCIAUX 35

I.II. 1.4 Des rapports sociaux hommes/femmes qui n’ont rien de naturel

Le développement de thèmes d’études et de schémas interprétatifs traditionnels amène, de

ce fait, à estimer les hommes et les femmes comme étant deux entités ou catégories sociales

clairement définies et uniformes (Gilchrist 1999, p. 52 ; Scott 2012). Mais si ces deux

catégories de classement sont légitimes du point de vue de l’anthropologie biologique, elles

ne le sont cependant pas du point de vue de l’archéologie qui se fonde d’abord sur l’analyse

de faits sociaux. Ainsi, dans les interprétations généralement données des ensembles

sépulcraux, peu d’hommes de l’âge du Fer sont considérés comme ayant exercé une autre

fonction que celle de la guerre. A l’opposé, les femmes de l’âge du Fer auraient donc été, pour

la majorité d’entre elles, des « femmes au foyer », voire pour certaines des « prêtresses ».

Cela est aussi particulièrement visible à travers les images modernes données des femmes de

l’âge du Fer (cf. infra).

La notion de genre permet en fait de ne plus assumer ce type d’interprétation empreinte

d’un caractère universel et intemporel. En effet, comme le constate J. Scott, il faut « qu’on se

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débarrasse de l’idée qu’il y a quelque chose de fixe, de connu d’avance concernant les

« hommes » et les « femmes » et les rapports entre eux. […] les termes « hommes » et

« femmes » correspondent à des idéaux destinés à réglementer et à canaliser les

comportements […]. Ce qui signifie qu’il faut rechercher des significations spécifiques plutôt

que présupposer une uniformité recouvrant toutes les sphères et tous les aspects de la vie

sociale. (Scott 2012, p. 99-100).

En réalité, ces rôles sociaux attribués traditionnellement aux hommes et aux femmes

relèvent avant tout d’une « construction sociale naturalisée » (Bourdieu 1998, p. 14). P.

Bourdieu explique également que « ces schèmes de pensée d’application universelle

enregistrent comme des différences de nature, inscrites dans l’objectivité, des écarts et des

traits distinctifs (en matière corporelle par exemple) qu’ils contribuent à faire exister en même

temps qu’ils les « naturalisent » en les inscrivant dans un système de différences, toutes

également naturelles en apparence » (ibid., p. 20-21).

L’approche traditionnelle des ensembles funéraires qui oppose systématiquement les

hommes et les femmes, sans que cela soit justifié archéologiquement, ne peut plus être encore

assumée et reproduite. Surtout qu’aujourd’hui, ses fondements commencent à être totalement

remis en cause non seulement dans les études en sciences humaines, mais aussi dans celles

des sciences dites « dures », notamment en neurobiologie et en neurosciences.

En effet, ces dernières années, les neurobiologistes ont constaté que « sur plus d’un millier

d’études [d’imagerie cérébrale], quelques dizaines seulement ont montré des différences entre

les sexes. Cela s’explique principalement par l’importance de la variabilité individuelle dans

le fonctionnement du cerveau. […] La variabilité entre les individus d’un même sexe est telle

qu’elle l’emporte le plus souvent sur la variabilité entre les sexes. Le petit homme vient au

monde avec un cerveau largement inachevé : il possède un bon stock de neurones – cent

milliards ! – mais les voies nerveuses par lesquelles ils se connectent entre eux sont encore

peu nombreuses : on estime que 10 % seulement de ces connexions, appelées « synapses »,

sont présentes à la naissance, les 90 % restantes devant se mettre en place progressivement

tout au long de la vie. Ainsi, au cours de son développement, le cerveau intègre les influences

de son environnement, de la famille, de la société, de la culture. Même si les gènes et

hormones orientent le développement embryonnaire, influencent l’évolution des organes, y

compris du cerveau, les circuits neuronaux sont essentiellement construits au gré de notre

histoire personnelle. Hommes et femmes peuvent certes montrer des spécificités de

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fonctionnement cérébral, mais au même titre que les différences que l’on peut trouver entre

les cerveaux d’un avocat et d’un rugbyman ou entre ceux d’une violoniste et d’une

championne de natation. » (Vidal 2010, p. 72-73).

Ainsi, aucun critère biologique ne permet de justifier une différence de capacités

intellectuelles ou de comportements entre les hommes et les femmes, à part ceux concernant

les fonctions reproductrices (Sender 2012). Les rôles généralement attribués aux hommes et

aux femmes sont avant tout construits par l’environnement social. Et celui-ci est soumis à une

évolution constante qui n’est pas figée par la nature ou par la tradition.

En outre, la tentative de légitimer ces rôles par l’archéologie ne se justifie pas à partir des

vestiges funéraires. Il est absolument impossible de mettre en évidence la fonction sociale

précise de chaque individu en se fondant sur les ensembles sépulcraux. En effet, quels

éléments archéologiques peuvent amener à penser que les femmes de l’âge du Fer occupaient

de manière privilégiée la sphère domestique, à part peut-être les quelques objets de filage et

de tissage retrouvés dans un nombre très restreint de tombes ? Et encore, dans le corpus établi

pour ce travail, des aiguilles à chas ont apparemment été déposées auprès d’hommes

(sépultures BLH 59 de Bucy-le-Long « La Héronnière » et 8 de Quilly « Le Fichot »)…

De plus, lorsque les vestiges funéraires sont observés sans appliquer préalablement des

schémas d’interprétation construits par l’approche traditionnelle, les tombes d’hommes, mais

également celles de femmes, sont extrêmement diverses dans leur mise en place. De

nombreux chercheurs actuels ont d’ailleurs démontré, à partir des ensembles sépulcraux

uniquement, que la place et l’importance prise par les femmes dans l’espace funéraire

évoluaient aussi bien dans le temps et que dans l’espace (cf. supra). Les rôles sociaux des

individus dans toute société ne sont pas figés en fonction de leur appartenance à une catégorie

sociale de genre. Ils doivent donc être justifiés et non assumés au nom d’une tradition, dans le

but de « réinsérer dans l’histoire, donc rendre à l’action historique, la relation entre les sexes

que la vision naturaliste et essentialiste leur arrache » (Bourdieu 1998, p. 8).

Les images données des femmes de l’âge du Fer doivent donc maintenant être examinées

dans le but d’observer d’abord le lien existant entre les images récentes, ainsi que les

messages qu’elles véhiculent, et les figures plus anciennes du monde méditerranéen. Et pour

ensuite s’intéresser aux images des femmes produites par les sociétés de l’âge du Fer

elles-mêmes, car elles semblent être construites à partir d’une conception idéologique tout à fait

différente.

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