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2.4 Des hommes et des femmes inclus dans les mêmes catégories hiérarchiques

CHAPITRE III. ÉTABLIR UNE NOUVELLE METHODE D’ETUDE EN S’INTERESSANT A L’ENSEMBLE DES DEFUNTS

II.III. 2.4 Des hommes et des femmes inclus dans les mêmes catégories hiérarchiques

hiérarchiques funéraires

II.III.2.4.1Une attribution de genre archéologique réservée à certains défunts…

La matérialisation de la distinction sociale entre les hommes et les femmes n’a donc qu’un

impact limité sur la formation des pratiques funéraires de l’âge du Fer en Champagne. En

effet, pour les critères funéraires liés au traitement corporel et à la structure de la tombe,

aucune différence entre les femmes et les hommes n’a pu être constatée.

En revanche, l’âge des individus paraît être une variable plus impliquée dans la

différenciation matérielle entre les défunts. Plusieurs critères funéraires relevant du traitement

corporel et des assemblages mobiliers semblent exclure la majorité, voire la totalité des

défunts immatures. L’accès à la nécropole a été possible pour une minorité d’enfants. Les

classes d’âges des 0-1 an, 1-3 ans et 3-5 ans sont particulièrement sous-représentées au regard

du taux de mortalité estimé pour les populations pré-jennériennes. Les traitements corporels

particuliers, tels que le prélèvement d’un ossement, par exemple, n’ont pas été identifiés sur

des squelettes d’immatures, pour le moment. De plus, plusieurs catégories d’objets sont

présentes dans un nombre très réduit de tombes d’enfants. Il s’agit des boucles d’oreille -

réservées aux défunts adultes au Hallstatt D2/3 -, des éléments de ceinture métalliques et de

l’armement. Les armes peuvent en effet faire partie des assemblages mobiliers des immatures,

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mais elles sont toujours non fonctionnelles. Les instruments de toilette (scalptoriums, pinces à

épiler et rasoirs) sont réservés par contre aux sépultures d’adultes.

En fait, la différenciation entre les individus physiquement et socialement matures et ceux

considérés comme immatures est matérialisée de manière plus évidente dans les pratiques

funéraires conservées jusqu’à aujourd’hui, alors que la concrétisation de la distinction

hommes/femmes est réduite.

Aussi, les différences entre les tombes de femmes et d’hommes ne se situent qu’au niveau

de la présence de certains types d’objets dans les sépultures. Mais, là encore, ces différences

doivent être nuancées. Tout d’abord, aucun critère mobilier ne s’est révélé être discriminant,

c’est-à-dire présent dans la totalité des tombes de femmes et absent de l’ensemble des

sépultures d’hommes, et inversement. Seuls douze critères indicatifs des deux genres

sexuellement connotés, retrouvés donc dans une majorité soit de tombes d’hommes, soit de

sépultures de femmes, ont pu être déterminés sur un total de trente-huit critères funéraires

examinés. Ces critères concernent seulement certaines catégories d’objets relevant

uniquement de la « panoplie personnelle » des défunts. Elles ne sont déposées que dans un

nombre variable de tombes de femmes ou d’hommes.

En outre, l’étude de l’association des catégories d’objets indicatives des deux genres

sexuellement connotés dans les ensembles mobiliers, à l’aide des analyses factorielles de

correspondance, a permis de démontrer que ces catégories d’objets ne se répartissent pas

selon une opposition stricte genre féminin/genre masculin. En effet, pour chacune des phases

chronologiques prises en compte, à l’exception de La Tène B1, trois groupes de critères

mobiliers indicatifs du genre des défunts apparaissent. Il s’agit, pour le Hallstatt D2/3, de

deux groupes de types d’objets indicatifs du genre féminin et d’un groupe de types d’objets

indicatifs du genre masculin. Pour La Tène A et La Tène B2-C1, il existe deux groupements

de critères indicatifs du genre masculin et d’un groupement de critères indicatifs du genre

féminin. De plus, six tombes contenant des catégories d’objets indicatives des deux genres

sexuellement connotés ont été mises en évidence. Elles peuvent appartenir

chronologiquement à chacune des trois phases du Hallstatt D2/3, de La Tène A ou de La Tène

B2-C1.

Ainsi, la détermination archéologique du genre des individus ne peut pas être réalisée pour

la totalité des ensembles sépulcraux, car le dépôt des catégories d’objets utilisées dans la

représentation funéraire du genre a été réservé à une partie seulement des défunts. Et ce choix

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est soumis à la reconnaissance collective du défunt en tant qu’homme ou femme d’un certain

âge et appartenant à une certaine classe sociale. Les catégories d’objets conservées ne peuvent

donc transmettre qu’une vision tronquée de la seule distinction sociale hommes/femmes

matérialisée dans les pratiques funéraires. Et de ce fait, si cette variable est uniquement en

compte dans une analyse, seuls certains individus peuvent y être intégrés.

II.III.2.4.2… Du fait de l’importance de la catégorie hiérarchique funéraire des défunts dans

la constitution des ensembles sépulcraux

En réalité, les ensembles sépulcraux peuvent être considérés dans leur totalité si un point

de vue hiérarchique est adopté pour les étudier. Et seule la prise en compte de tous les défunts

d’un ensemble donné permet d’obtenir une vision générale cohérente du domaine funéraire

étudié. C’est pourquoi un nouvel outil d’analyse a été développé. La représentation graphique

semi-logarithmique établie dans ce travail se fonde sur les critères quantitatifs directement

observables dans les ensembles mobiliers, à savoir le nombre d’objets lissé, de catégories

d’objets et de matières non périssables. Cette base de travail permet donc d’inclure tous les

défunts des nécropoles. Bien entendu, cette méthode donne des résultats encore très généraux

et elle gagnerait en précision si d’autres critères étaient pris en compte, comme la masse de

matière(s) dévolue à chaque objet, ou encore le nombre de techniques employées à la

fabrication d’un objet, par exemple.

Néanmoins, cette approche permet d’abord de comparer la totalité des ensembles mobiliers

entre eux, quelle que soit leur composition et les catégories d’objets présentes. Elle permet

également de déterminer, pour chaque phase chronologique, un nombre différent de

catégories hiérarchiques funéraires qui sont constituées par des types d’objets indicatifs et/ou

indépendants des deux genres sexuellement connotés. Ainsi, tous ces objets peuvent être

considérés comme des éléments signifiant des niveaux hiérarchiques funéraires plus ou moins

élevés.

Un résultat principal ressort de cette nouvelle méthode d’analyse : les catégories d’objets

indicatives des deux genres sexuellement connotés occupent des niveaux hiérarchiques

funéraires équivalents. Evidemment, ces niveaux varient en fonction de chaque phase

chronologique et tous les types d’objets examinés ne possèdent pas une signification

hiérarchique fixe tout au long de la période étudiée. Les éléments de parure font l’objet d’une

étude précise dans la partie suivante.

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En ce qui concerne les éléments d’armement indicatifs du genre masculin, leur symbolique

hiérarchique paraît changer considérablement d’une phase à l’autre. Ce constat ne sera pas

développé rigoureusement ici, mais il est déjà possible donner quelques indications. Ainsi, à

La Tène A-B1, les différentes catégories d’armement sont retrouvées dans un nombre

proportionnellement moins important de tombes par rapport au Hallstatt D2/3 – à part les

éléments d’archerie qui disparaissent –, en même temps que leur niveau hiérarchique

augmente. En revanche, à partir de La Tène B2-C1, ces éléments d’armement fonctionnent

comme une véritable panoplie et ils appartiennent tous au niveau hiérarchique le plus haut. De

ce fait, le concept de « guerrier » utilisé de manière habituelle paraît être en fait beaucoup plus

complexe que ne laisse penser l’utilisation commune de ce terme pour qualifier les individus

inhumés avec des armes. Les tombes à armement devraient donc être reconsidérées plus

précisément et le statut funéraire du « guerrier » gagnerait aussi à être observé d’une manière

plus diverse.

En outre, les catégories d’objets indicatives des deux genres sont contenues dans une

proportion relativement analogue de tombes lorsqu’elles appartiennent au même niveau

hiérarchique. Cependant, il existe plus de sépultures possédant un ou plusieurs critères

mobiliers indicatifs du genre féminin en comparaison de celles détenant des catégories

d’objets indicatives du genre masculin. Ce rapport est d’environ deux tiers/un tiers à chaque

phase chronologique. Pour B. Arnold, ceci provient du fait que les types d’objets indiquant le

genre masculin sont liés également à la variable de l’âge, contrairement à la majorité des

catégories d’objets indicatives du genre féminin qui peuvent être déposées dans des sépultures

d’individus immatures. Ainsi, le système de représentation funéraire du genre féminin serait

fondé sur des règles plus « souples », car les fonctions sociales symbolisées par les objets

indicatifs du genre féminin sont différentes de celles matérialisées à travers les types d’objets

indicatifs du genre masculin (Arnold 2012, p. 226).

Mais ce constat ne signifie pas que les fonctions symbolisées par les objets utilisés dans la

représentation du genre féminin sont moins importantes d’un point de vue hiérarchique que

celles portées par les objets du genre masculin, comme le souligne toujours B. Arnold (ibid.).

Et au regard des résultats obtenus dans cette étude, cette remarque est tout à fait justifiée

puisque tous ces objets appartiennent à des catégories hiérarchiques funéraires équivalentes.

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Quant aux types d’objets indépendants du genre, ils présentent une variabilité hiérarchique

tout aussi remarquable que celle des objets indicatifs des deux genres sexuellement connotés.

Ils peuvent en effet appartenir à des niveaux hiérarchiques élevés. Et ce phénomène est

particulièrement marqué durant la phase de La Tène A-B1 qui est la seule où des critères

indépendants du genre, nouvellement introduits dans les sépultures (comme les scalptoriums

et les pinces à épiler), occupent le niveau hiérarchique le plus haut. Dès lors, cette donnée

permet d’insister sur le fait que les objets impliqués dans la distinction sociale

hommes/femmes ne sont pas les seuls à signifier un niveau hiérarchique élevé durant cette

phase chronologique. Les tombes dites « indéterminées » peuvent donc appartenir à des

catégories hiérarchiques funéraires tout aussi élevées que celles qui contiennent des objets

indicatifs du genre sexuellement connoté du défunt.

De plus, le niveau hiérarchique funéraire le plus élevé de la phase de La Tène A-B1 n’est

constitué majoritairement que de types d’objets qui ne semblent pas avoir été déposés dans les

tombes du Hallstatt D2/3. Il s’agit des boucliers, des casques, du dépôt de trois fibules ou

plus, des scalptoriums, des pinces à épiler, des aiguilles et des fusaïoles, auxquels il faut

ajouter les boucles d’oreille en or. Et ces catégories d’objets sont réservées aux sépultures de

défunts matures. Il est donc possible d’envisager, pour cette phase de La Tène A-B1, un

phénomène de hiérarchisation des ensembles sépulcraux plus complexe qu’au Hallstatt D2/3.

En revanche, il semble être complètement modifié à partir de La Tène B2, où tous ces

éléments disparaissent des sépultures et où il n’existe plus réellement de catégories d’objets

utilisées spécifiquement pour symboliser le haut niveau hiérarchique funéraire d’un défunt.

Par conséquent, les différentes catégories d’objets déposées dans les sépultures signifient

dans un premier temps la catégorie hiérarchique funéraire d’un défunt. Et celle-ci peut ensuite

être matérialisée dans la sépulture grâce à des objets impliqués, ou non, dans la distinction des

individus sur la base de leur catégorie de genre sexuellement connoté. C’est pourquoi tous les

hommes ne sont pas inhumés avec des armes et toutes les femmes avec des éléments de

parure. Ces types d’objets symbolisent des rôles ou des fonctions sociales plus couramment

attribués aux hommes ou aux femmes. Mais ils signalent avant tout un niveau hiérarchique

funéraire. De plus, la présence de ces objets n’est pas nécessairement corrélée strictement

avec le sexe anatomique du défunt, comme le prouve les cas particuliers mis en évidence.

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De ce fait, s’intéresser à la hiérarchisation funéraire des ensembles sépulcraux permet de

considérer diverses catégories de défunts appartenant à des niveaux hiérarchiques différents.

Et ces niveaux admettent de la même manière des hommes et des femmes. C’est donc bien la

diversité des représentations funéraires des hommes et des femmes qui apparaît lorsqu’un

point de vue hiérarchique est adopté. Il n’existe pas archéologiquement d’entités « hommes »

ou « femmes » uniformes, car ces individus ont d’abord été inhumés en fonction de leur

catégorie hiérarchique transposée dans la sphère funéraire.

Aussi, c’est avec ce constat mettant en avant la variété des représentations funéraires des

défunts que vont être étudiés les assemblages à éléments de parure. Et ceci dans le but

d’observer leur composition et leur usage dans le domaine funéraire et de tenter d’approcher

les rôles et les significations symboliques de ces objets dans les ensembles sépulcraux.

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