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CHAPITRE I. COMPOSITION DES ASSEMBLAGES D’OBJETS DE PARURE

III.I. 1.2 Caractéristiques morphologiques spécifiques des objets de parure

III.I.1.2.1 Des parures hétérogènes et amovibles

Il est tout d’abord important de noter que les véritables cas de parure dans le sens

« joaillier » du terme, c’est-à-dire un ensemble « de bijoux à la fonction différente conçus

d’après un même modèle » (Challet 1997, p. 112), sont très rares dans les assemblages

comprenant au moins deux catégories d’objets. En effet, pour le Hallstatt D2/3, seuls trois

assemblages peuvent être considérés comme tels. Ils sont onze pour La Tène A-B1, et deux

autres ensembles contiennent chacun deux bracelets torsadés et un torque dont le décor imite

l’effet de la torsade (sépultures MT 27 de Manre « Le Mont Troté » et 24 de

Villeneuve-Renneville « Le Mont Gravet »). En revanche, les paires de bracelets associent plutôt des

bracelets de même type. Dix-sept assemblages comportent deux bracelets différents et sont

datables de l’ensemble de la phase de La Tène A-B1.

La phase de La Tène B2-C1 est particulière pour cette question, puisqu’une modification

importante intervient dans l’association même des types des éléments de parure annulaires.

Aucune véritable « parure » n’a pu être identifiée. Les paires de bracelets associent aussi

majoritairement des exemplaires de types différents. Seules trois tombes paraissent comporter

deux bracelets identiques.

Ainsi, l’homogénéité visuelle des ensembles de parure ne semble pas avoir été l’intention

première recherchée par les populations de l’âge du Fer en Champagne (fig. 22, n°1-2). Si les

deux bracelets d’une même paire sont en majorité identiques au Hallstatt D2/3 et à La Tène

A-B1, ils ne sont pas assortis au torque le plus souvent. L’hétérogénéité entre les types de

bracelets d’un même assemblage est encore renforcée à La Tène B2-C1. Par conséquent,

d’autres raisons doivent être envisagées pour expliquer l’association choisie de ces éléments

dans les sépultures.

En outre, les torques de l’âge du Fer en Champagne sont très généralement des parures

amovibles qui peuvent être rajoutées ou ôtées par les individus. En effet, la majorité des

torques sont des types ouverts ou à système de fermeture. De plus, d’après C. Breton, la

limite fonctionnelle pour pouvoir porter l’objet autour du cou, sans recourir à un système

d’ouverture/fermeture, est un diamètre externe légèrement supérieur à 190 mm (Desenne et al.

2010, p. 272). Dans ce corpus, seuls huit torques, dont cinq ont un diamètre déterminable

d’après les planches d’objets, sont des exemplaires fermés de section circulaire. Ils sont

datables du Hallstatt D2/3. Un torque possède un diamètre externe supérieur à 190 mm. Deux

autres torques ont été découverts dans des sépultures d’enfants. Ils peuvent donc sans doute

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être considérés comme des éléments amovibles, malgré leur taille réduite comprise entre 130

et 157 mm environ pour le diamètre extérieur. En revanche, les deux derniers torques, qui ont

été retrouvés dans les sépultures 139 et 203 de la nécropole de Chouilly « Les Jogasses », ont

un diamètre extérieur respectif de 176 mm et 168 mm environ. Ces deux pièces ont été

découvertes autour du cou des défunts. Malgré la relative imprécision de ces mesures,

calculées à partir des planches d’objets, il est possible de se demander si ces torques n’étaient

pas des objets fixes et inamovibles.

Figure 22 : Exemples d’assemblage de parure stylistiquement hétérogènes ou homogènes. Le cas n°2 présente un torque et deux bracelets tous torsadés mais dissemblables. Le cas n°3 est le seul assemblage homogène en fer de ce corpus (en excluant le brassard d’armilles).

1 : Villeneuve-Renneville « Le Mont-Gravet » (Marne), sép. 25 (Bretz-Mahler, Brisson 1958a, pl. 10) ; 2 : Beine

« L’Argentelle » (Marne), sép. 1 inf. (Morgen, Roualet 1975, pl. 1) ; 3 : Chouilly « Les Jogasses » (Marne), sép. 138 (Hatt, Roualet 1976, pl. 43).

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Un travail similaire devrait être mené pour les bracelets, afin de déterminer la dimension

limite qui permet le retrait de ces objets. Le docteur L. Mougin signale, dans la nécropole de

Heiltz-l’Evêque « Charvais », que les armilles et une paire de bracelets à jonc fermé ont un

diamètre interne compris entre 5 et 5,7 cm. Pour lui, ces objets sont « trop étroits pour laisser

passer des mains d’adultes [et ils ont] dû être placés comme ornement sur des bras encore

jeunes qui avaient grandi et ne permettaient plus de retirer le bijou. » (Mougin 1877, p.

253-254). Le diamètre intérieur des armilles de la nécropole de Chouilly « Les Jogasses » est

compris également dans cet intervalle de mesure. Dès lors, si cette dimension limite est

vérifiée, certains bracelets, dont les brassards d’armilles, et quelques torques devaient être

inamovibles. Cette caractéristique est donc observable uniquement dans des contextes

sépulcraux rattachables à la phase du Hallstatt D2/3.

Mais en tout cas, la plupart des éléments de parure sont des objets qui peuvent être ajoutés

ou retirés par l’individu. Par conséquent, la symbolique dont ils sont porteurs est aussi

« amovible » et peut être mobilisée uniquement dans certains contextes particuliers. Cette

symbolique ne fait pas partie intrinsèquement de l’individu et peut évoluer tout au long de sa

vie.

III.I.1.2.2 Usure et réemploi de certains objets de parure

Plusieurs objets de parure du corpus ont aussi été décrits comme étant usés. Il s’agit en

grande majorité de torques et de bracelets en bronze, rattachables chronologiquement à

chacune des phases prises en compte. La question de l’usure des éléments de parure a été

abordée par C. Breton, dans son étude des objets de la nécropole de Bucy-le-Long. Elle écrit :

« L’absence de corrélation entre l’usure des torques et l’âge des individus est surprenante. On

ne peut pas réellement parler de corrélation stricte entre l’âge des individus et l’état d’usure

des objets. […] la plupart de ces objets ont été utilisés. En ce qui concerne la parure annulaire

(torques et bracelets) le cas des enfants est particulièrement intéressant. Les caractéristiques

des objets (dimensions, réajustements et récupération) et leur état d’usure laisse supposer

qu’ils ne disposaient d’une parure définitive qu’à partir d’un certain âge. » (Desenne et al.

2010, p. 299-300).

Ce constat sur l’usure des éléments de parures permet de s’interroger sur la transmission de

ces objets à un défunt. En effet, un nombre important d’objets enterrés avec des défunts

immatures sont en fait des objets usés. Ces enfants n’en ont donc pas été les destinataires

premiers, puisque les traces d’usure n’ont pas pu être produites durant l’existence seule d’un

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enfant. Et sans doute faudrait-il aussi se poser la question quand ce cas de figure est identifié

dans une sépulture d’adulte.

Ainsi, certains de ces objets peuvent-ils avoir été transmis à un individu lors d’un héritage,

par exemple ? Ces remarques méritent d’être soulevées, malgré le fait que la durée nécessaire

de port des objets de parure, pour produire les effets d’usure, ne soit pas réellement

déterminable avec précision. La variabilité des facteurs engagés (qualité du métal employé,

port des objets journalier ou lors d’occasions spécifiques, etc.) est en effet trop importante.

Plusieurs objets de parure ont également été réalisés à partir de pièces de réemploi qui ne

présentent pas nécessairement des traces d’usure. Ce sont surtout des bracelets et des

pendentifs. Les bracelets comportant des extrémités se chevauchant (fig. 23 n°1) se

rencontrent plus particulièrement dans les tombes de défunts immatures. Le diamètre de

l’objet a donc visiblement été adapté dans un

second temps au poignet de l’enfant.

Les pendentifs fabriqués à partir d’éléments

réemployés ne sont pas véritablement

fréquents dans ce corpus. Le cas de deux

bouterolles, retrouvées réutilisées en

pendentifs dans les tombes 89b d’Aure « Les

Rouliers » et 185 de Chouilly « Les

Jogasses », doit être mentionné. Seule la

pendeloque de la tombe d’Aure a été

reproduite (fig. 23 n°2). Un autre pendentif est

tout à fait particulier. Il a été retrouvé dans la

tombe 119 de Vert-la-Gravelle « Le Moulin ».

Il est constitué de deux fragments de bracelets

et d’un petit disque perforé et orné d’une frise

de chevrons continue (fig. 23 n°3).

Enfin, la tombe 5 bis de Dravegny « La Muette » (Aisne) contenait un torque tout à fait

original. Il a été découvert dans une tombe d’enfant dont l’âge n’a pas été déterminé et il est

composé de ce qui semble être deux bracelets torsadés à agrafe, rassemblés par un simple fil

de bronze (fig. 23 n°4).

1 2 3

4

Figure 23 : Objets de parure réalisés à partir d’éléments réutilisés.

1 : sép. 89 milieu de Chouilly « Les Jogasses » (Hatt,

Roualet 1976, pl. 27) ; 2 : sép. 89b d’Aure « Les Rouliers » ((Rozoy 1987, pl. 115) ; 3 : sép. 119 de Vert-la-Gravelle « Le Moulin » (Charpy 1986, l. 5) ; 4 : sép. 5bis de Dravegny « La Muette » (Massy, Thirion 1980, pl. 6)

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Les résultats principaux de l’étude stylistique permettent donc de soulever différents axes

de recherches. En effet, même si l’analyse ne peut pas être menée de manière totalement

satisfaisante dans le cadre de ce travail, l’intérêt porté aux phénomènes d’usure et de réemploi

permet d’abord de s’interroger sur la nature de la transmission des objets de parure et sur la

réelle possession de ces biens par les défunts auprès desquels ils ont été enterrés.

De même, le caractère amovible de la majorité des bracelets et des torques, avec quelques

nuances pour certains objets du Hallstatt D2/3, indique un port modifiable et même peut-être

provisoire de ces parures. La symbolique qu’elles représentent n’est donc pas liée de manière

définitive à l’individu.

En outre, le fait notamment que certaines matières soient employées seulement sur des

catégories d’objets particulières, durant des phases chronologiques précises, doit être pris en

compte dans l’étude de l’évolution des assemblages de parure. C’est le cas, par exemple, des

incrustations de corail sur les torques, ou encore des boucles d’oreille en or, qui apparaissent

dans les sépultures uniquement à partir de La Tène A2. Aussi, ces quelques remarques

doivent être associées à l’analyse de la composition des assemblages d’éléments de parure,

afin de tenter de déterminer les principales règles qui régissent l’association des éléments de

parure dans un même ensemble.