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CHAPITRE II. LA VISION TRADITIONNELLE DES FEMMES DE L’AGE DU FER ET DE LEURS ROLES SOCIAUX 35

I.II. 2.4 Les femmes dans l’art de l’âge du Fer ouest et centre européen

Lorsque l’on s’intéresse aux représentations de femmes dans l’iconographie de l’âge du

Fer des zones occidentales et centrales de l’Europe, un premier constat apparaît : leur nombre

est assez faible. Ceci est d’ailleurs valable, comme l’observe S. Verger, pour l’ensemble du

répertoire figuratif qui occupe une place restreinte dans l’art celtique (Verger 1991, p. 3). La

représentation anthropomorphe et zoomorphe concrète ne constitue donc pas une finalité

primordiale dans les images datables de l’âge du Fer.

Néanmoins, l’ensemble des figurations de femmes de l’âge du Fer ne sera pas présentée ici

de manière exhaustive. Plusieurs exemples spécifiques seront plutôt étudiés, afin de dégager

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les principales caractéristiques des représentations féminines appartenant à l’âge du Fer centre

et ouest européen.

Le premier aspect pouvant être retenu dans la caractérisation iconographique des femmes,

à l’âge du Fer, est la rareté de la figuration de leur sexe anatomique. Les femmes peuvent

seulement être identifiées grâce à la présence de leurs seins. La situation est d’ailleurs presque

identique pour les hommes, car les personnages pouvant être véritablement déterminés

comme étant des hommes sont ceux pour lesquels une moustache et/ou d’une barbe a été

représentée (L’Archéologue, hors-série n°3, juin-juillet 2012, p. 38).

L’intérêt ne semble donc pas se porter véritablement sur la représentation du sexe

anatomique, contrairement aux images d’hommes de la culture gréco-romaine. La sexuation

des personnages est en fait soit totalement indéterminable, dans la majorité des cas, soit assez

allusive et seulement suggérée par la figuration d’attributs morphologiques « secondaires » :

la pilosité pour les hommes et la poitrine pour les femmes.

Les objets sur lesquels apparaissent des figurations de femmes sont, en outre, de diverses

natures. Le char miniature de Strettweg (fig. 8) serait datable, d’après P.-P. Bonenfant et J.-P.

Guillaumet, de 600 environ av. J.-C., soit du début du Hallstatt D1 (Bonenfant, Guillaumet

1998, p. 59). Le personnage principal de la scène représentée, par sa dimension et sa position,

est une femme (fig. 8, n° 1a). Sa poitrine, ainsi que son sexe, sont figurés. Elle porte à chaque

oreille un grand anneau et une large ceinture à la taille. Deux autres femmes sont également

présentes parmi les figurines de la base du char (fig. 8, n° 1b et 1c). Elles ne portent par contre

chacune que deux boucles d’oreille et seuls leurs seins sont figurés. Par ailleurs, seuls deux

personnages sur ce char sont clairement des hommes, puisque leur sexe est représenté. Il

s’agit des deux personnages qui tiennent une hache dans leur main droite (fig. 8, n° 1c).

En fait, le sexe de la majorité des figurines n’est pas réellement déterminable, car elles ne

comportent aucun attribut anatomique rattachable à un sexe plutôt qu’à l’autre. Certaines

d’entre elles comportent, toutefois, deux petits cercles incisés au niveau de la poitrine. Mais

ils ne peuvent pas être véritablement identifiés comme une poitrine, du fait de sa

représentation très explicite sur les personnages mentionnés ci-dessus.

En réalité, le sexe semble avoir été représenté ou signifié pour les figures qui se distinguent

des autres avant tout par leur statut vraisemblablement particulier. Ceci concerne le

personnage féminin principal, les deux personnages féminins de la base qui portent également

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des boucles d’oreille et les personnages masculins tenant une hache. En revanche, le sexe des

cavaliers n’est pas représenté, ce qui doit amener à s’interroger sur la place de ces

personnages dans la scène. En outre, le char miniature de Strettweg montre qu’il n’y a pas de

volonté de représenter, de manière duale, des femmes qui porteraient toutes des éléments de

parure et des hommes qui seraient tous armés.

Figure 8

:

Le char miniature de Strettweg (Judenburg, Styrie ; 600 env. av. J.-C.). Cinq personnages seulement peuvent être clairement sexués soit par la représentation du sexe anatomique en lui-même, soit par celle d’attributs « secondaires », qui sont la poitrine pour les femmes. Le sexe de la majorité des figurines est en fait indéterminable, ce qui permet de supposer que sa représentation est importante seulement pour les personnages qui bénéficient d’un statut particulier. C’est le cas de la femme en position centrale, des deux autres femmes portant des boucles d’oreille et des hommes qui tiennent une hache.

1a

1b

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La figure n° 9 comporte plusieurs personnages présents sur différents objets datables de la

seconde moitié du VI

e

au I

er

siècle av. J.-C. Leur sexuation n’est possible que par la figuration

de la poitrine, pour les femmes, et de la barbe, pour les hommes (fig. 9, n° 5a).

Les statuettes du « trône multiple » de Hochdorf (Verger 2006, p. 22 ; fig. 9, n° 1a-b) sont

généralement qualifiées de « cariatides ». Par leur position, elles sont souvent rapprochées de

la figurine centrale du char miniature de Strettweg (ibid., p. 23). Cependant, leur sexe n’a pas

été signifié et la représentation de leurs seins est plutôt sommaire comparativement à cette

dernière. D’ailleurs, la figuration des seins paraît avoir été traitée de manière différente en

fonction des statuettes, certaines ayant leurs deux seins représentés par des petites billes

rivetées (fig. 9, 1a), alors que d’autres en ont été dépourvues (fig. 9, 1b).

Un des bracelets de la tombe de Reinheim (Sarre) comporte un décor où figure une

représentation féminine (fig. 9, n° 2). En effet, d’après S. Verger, « il s’agit d’un personnage

féminin aux bras repliés sur la poitrine et avec des ailes d’oiseau ; la partie inférieure du corps

est remplacée par un motif végétal ; la tête est surmontée d’un chapeau en forme d’oiseau à

bec crochu. La même séquence iconographique se trouve sur l’anse de l’hydrie grecque de

Grächwill (Suisse), datée de la première moitié du VI

e

siècle et découverte dans un tumulus

hallstattien. » (Verger 1991, p. 10). La position de ce personnage est donc assez particulière et

sa poitrine n’est en fait pas explicitement représentée.

Le sexe féminin du personnage représenté sur une plaque ornementale, découverte dans la

tombe à char de Waldalgesheim (Rhénanie-Palatinat), ne peut être déterminé qu’à partir des

deux trous de rivets situés chacun à l’emplacement d’un sein (fig. 9, n° 3). Le seul élément de

parure réellement identifiable sur cette image est un torque qui est porté au cou par le

personnage. Le contexte de cette image permet de la dater vers le milieu du IV

e

siècle av.

J.-C. Il est intéressant de noter que, comme sur les figurines du trône multiple de Hochdorf, les

seins de ce personnage ont été représentés et soulignés par un élément plastique rajouté à la

pièce de base.

L’image n° 4 de la figure 9 est la photographie d’un statère retrouvé dans la région des

Riedones, dans l’est de l’actuelle Bretagne. Le personnage qui chevauche un cheval est

vraisemblablement une femme, étant donné la représentation de sa poitrine. Aucun autre

attribut n’a été représenté. De plus, cette femme ne porte aucun élément de parure. Cette pièce

serait datable de la fin du III

e

– début II

e

siècle av. J.-C.

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Figure 9 : Différentes figurations humaines datables de l’âge du Fer. Leur sexuation n’est possible que par la présence d’attributs morphologiques « secondaires », la poitrine pour les femmes et la barbe pour l’homme. Aucune ne comporte la figuration de leur sexe.

5d 5c

5b 4 : Statère des Riedones

Fin IIIe – déb. IIe siècle av. J.-C. 5 : Personnages du chaudron de Gundestrup (Danemark) IIe – Ier s. av. J.-C. 3 : Plaque ornementale, tombe de Waldalgesheim (Rhénanie-Palatinat) Milieu IVe s. av. J.-C. 5a

1 : « Cariatides » du trône multiple de Hochdorf (Bade-Wurtemberg) ; 2nde moitié du VIe s. av. J.-C.)

1a 1b

2 : Détail d’un des bracelets de la tombe de Reinheim

(Sarre) Début IVe s. av. J.-C.

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Enfin, la détermination des hommes et des femmes, sur le chaudron de Gundestrup, ne

peut se faire aussi que par la présence de la barbe et/ou de la moustache pour les hommes (fig.

9, n° 5a) et des seins pour les femmes (fig. 9, n° 5b). De plus, le torque n’est pas un attribut

réservé aux personnages féminins sur ce chaudron, puisque certaines figures masculines le

portent également.

Aussi, comme l’a remarqué E. Mitsakis, une figure, se situant sur le fond de l’objet, est

assez particulière (fig. 9, n° 5c). Sa position, ainsi que sa coiffure et son vêtement, sont très

similaires à ceux de deux autres individus (fig. 9, n° 5d), placés chacun au-dessus de l’épaule

gauche d’un personnage féminin pour l’un et masculin pour l’autre, d’après leur attributs

anatomiques. Cependant, cette figure est manifestement une femme, du fait de la

représentation de sa poitrine, contrairement aux autres personnages analogues. De plus, elle

tient dans sa main gauche un objet qui pourrait être une épée, ce qui n’est pas le cas pour les

deux autres individus.

Deux caractéristiques principales peuvent donc être retenues à partir des représentations

humaines de ce chaudron. Tout d’abord, les hommes ne sont pas figurés en armes, mais ils

portent, en revanche, le même torque que les femmes. Les femmes ne sont d’ailleurs pas plus

parées que les hommes. De plus, un personnage féminin a été représenté avec une « épée ».

Aussi, l’opposition traditionnellement assumée entre des femmes portant des éléments de

parure et des hommes armés ne se retrouve pas non plus dans l’art « celtique » de l’âge du

Fer.

Les trois dernières représentations de femmes de la figure 10 appartiennent au domaine de

la statuaire. Le buste de la « Dame de Beaupréau » (fig. 10, n° 1) est identifiable à celui d’une

femme grâce à la représentation de la poitrine. Elle porte manifestement un torque et deux

bracelets, un porté à son poignet gauche et l’autre au-dessus de son coude droit. Elle serait

datable du IIe siècle av. J.-C.

La statuette de Neuvy-en-Sullias (fig. 10, n° 2) est encore une des rares représentations de

femme où le sexe est figuré de manière explicite. Elle représente donc une femme nue qui ne

porte aucun élément de parure. Sa datation est située entre le I

er

siècle av. et le I

er

siècle ap.

J.-C.

La dernière représentation de femme qui est la « divinité » de Caerwent (fig. 10, n° 3)

appartient à un contexte plus tardif que les autres, puisqu’elle daterait de l’époque romaine.

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Le seul élément qui permette de l’identifier comme une femme est, encore une fois,

uniquement sa poitrine.

Figure 10 : Statues de femmes datant de l’âge du Fer ou de l’époque romaine. Comme cela a été mentionné plus haut, l’identification du sexe des ces figures peut être réalisée, le plus souvent, seulement par la figuration de la poitrine, à part pour la statuette de Neuvy-en-Sullias. Le buste de la « Dame de Beaupréau » est le seul à comporter des éléments de parure.

Ainsi, la représentation des femmes, et plus généralement d’individus sexuellement

identifiables à partir d’attributs anatomiques, ne semble pas être un critère prédominant dans

les productions artistiques de l’âge du Fer en Europe occidentale et centrale. Autrement dit, la

désignation du sexe des personnages n’est vraisemblablement pas primordiale dans le

discours que veut signifier ces images. Preuve en est le nombre important de figures dont il

n’est pas possible d’attribuer une sexuation. Et lorsque le caractère sexué d’un personnage est

donné, il est le plus souvent représenté sous la forme d’attributs anatomiques « secondaires ».

La représentation du sexe en lui-même paraît en fait être réservée aux personnages de statut

particulier, comme cela semble être le cas sur le char miniature de Strettweg, par exemple.

En outre, lorsque plusieurs individus sont figurés sur un même objet, il n’apparaît pas une

réelle dualité hommes/femmes. Ils peuvent en plus être parfois affublés d’un même élément,

comme le torque sur le chaudron de Gundestrup. Il n’existe pas d’opposition armes/éléments

de parure sur les figures. La représentation de la parure semble intervenir surtout dans des

contextes où le statut des femmes est singulier, comme par exemple sur le char de Strettweg

2 : Statuette en bronze de Neuvy-en-Sullias (Loiret) Ier s. av. –Ier s. ap. J.-C.

3 : « Divinité » en pierre de Caerwent, Pays de Galles

Epoque romaine 1 : Buste de la Dame de Beaupréau

(Maine-et-Loire) IIe s. av. J.-C.

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ou sur la plaque ornementale de la tombe de Waldalgesheim – le contexte du buste de la

Dame de Beaupréau ne pouvant pas être, malheureusement, précisé.

Enfin, rien ne permet, à partir de ces représentations, d’associer les femmes aux rôles et

aux fonctions sociales qui leur sont traditionnellement assignés. C’est le cas notamment pour

l’attribution de la fonction domestique aux femmes. En effet, aucun élément, que ce soit dans

les pratiques funéraires ou dans les images de l’âge du Fer, ne vient étayer cette hypothèse.

L’imagerie moderne donnée habituellement des femmes de l’âge du Fer ne paraît donc pas

correspondre à ce qu’il est possible de déduire des figures produites par ces sociétés

elles-mêmes. En fait, l’approche traditionnelle des représentations figurées, comme des ensembles

funéraires, est totalement injustifiée au regard de la réalité archéologique de ces vestiges.