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Les rapports de Mouawad au théâtre d'Adamov: « politisation » du texte.

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 137-141)

D. L'exil et ses influences sur l'écriture

III. Les rapports de Mouawad au théâtre d'Adamov: « politisation » du texte.

Arthur Adamov (Adamian), est un auteur dramatique et écrivain français d'origine russo-arménienne. Il est né le 23 août 1908 à Kislovodsk166 et meurt d'une overdose de médicaments en 1970 à Paris.

Il est issu d'une famille arménienne plutôt aisée. Durant son enfance, il sera le témoin de nombreux massacres, ce qui va profondément marquer (et inspirer) son écriture par la suite. En 1914, il part en Allemagne avec sa famille, mais quelques mois après, lui et sa famille partent en direction de la Suisse où règne un vif climat de xénophobie (notamment envers les Arméniens). Toute sa vie va être bercée par une succession d'exils (France, Irlande, Suisse, Portugal...) qu'ils soient politiques ou d'ordre personnel.

Politiquement, il va tout d'abord s'orienter vers les mouvements anarchistes en écrivant des articles dans divers journaux anarchistes. Il va aussi manifester son soutien envers Sacco et Vanzetti et c'est à partir de ce moment-là que la police va commencer à « sérieusement » le surveiller.

En 1936, Franco va lui aussi, s'en prendre à Adamov, mais l'artiste va être défendu par des brigades internationales. Il décide alors de s'engager dans la lutte communiste et anarchiste, mais la mauvaise santé psychique de sa femme va le freiner et remettre cet engagement à plus tard.

À partir de 1940, les ennuis d'Arthur Adamov ne cessent de croître. En 1941, il

est arrêté pour avoir tenu des propos « hostiles » envers le régime de Vichy, il est conduit au camp de concentration d'Argelès et quelques mois après, il est libéré, mais cette douloureuse expérience va laisser des traces profondes chez l'auteur : « Son

expérience personnelle se limite, pour ainsi dire, à la vie dans un camp de concentration, vie placée sous le signe de la séparation et du rêve. » 167

C'est précisément l'expérience des camps qui fera basculer définitivement le travail d'Adamov, il s'agit pour lui de réfléchir désormais et de se pencher sur la notion de dégradation et de savoir s'il est possible de garder ou du moins de « tirer » du positif de cette expérience. Par la suite, il devient de plus en plus passif face aux mouvements de luttes et de résistances, il hésite à s'engager au Parti communiste, cependant il ne le fera jamais, il se revendique malgré tout anti-gaulliste. Il signe le « manifeste des 121 »168 (en 1960), en conséquence il perd le droit de travailler à la radio et à la télévision.

« Adamov fut le plus engagé des écrivains de sa génération. Il assuma pleinement l'Histoire de son temps, non en adhérant à un parti dont il épousa, pourtant, l'idéologie, mais en faisant de l'Histoire la matière même de son œuvre. » 169

Son théâtre est dans un premier temps inspiré par le courant surréaliste, c'est ensuite qu'il va être rattaché au théâtre de l'absurde. Influencé ensuite par Brecht, son œuvre s’oriente en direction d'un théâtre politique.

La vraie force du théâtre d'Adamov (au niveau de la politique) était de « politiser » le texte, afin d'éveiller la conscience du spectateur ou du moins de le « provoquer » dans le moindre de ses retranchements : « Il me semble aujourd’hui qu’un

théâtre qui ne tiendrait pas compte de l’état politique des choses est un théâtre amputé (…) » 170, dit-il lors d’un entretien en 1969.

167 ADAMOV Arthur, in SAMIA Assad Chahine, Regard sur le théâtre d'Arthur Adamov, A.G Nizet, Paris, 1981, p.2.

168 Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie.

169 ADAMOV Arthur, in AMIA Assad Chahine, Regard sur le théâtre d'Arthur Adamov, Op.cit., p.23. 170 Entretien d’Arthur Adamov avec DELCAMPS Armand, in Cahier Théâtre Louvain, n°9, en septembre 1969, p.68.

Arthur Adamov considère dans un premier temps que son théâtre est « métaphysique », c'est-à-dire un art qui traite avant toute autre chose de la condition humaine. C'est indéniablement son expérience des camps de concentration, de l'exil et de la guerre qui va définitivement orienter son théâtre vers une dimension politique et historique.

Globalement, nous pouvons dire qu'Arthur Adamov a entrepris un renouvellement du genre dramatique et développé une réflexion originale sur les limites de la vie, de l’existence, ainsi que sur celles du langage, autrement dit sur les différentes possibilités du discours dramatique, mais ceci sur des pistes qui sont restées proprement siennes et qui font de son œuvre l'une des références en matière de théâtre politique.

On trouve dans ses pièces un subtil mélange entre la psychologie humaine et le politique, comme il le souligne au sein de la citation suivante :

« Mes visées, ce serait, d'arriver dans une pièce à une assimilation étrange, insolite pour nous, du monde onirique et du monde social, politique enfin. Et d'arriver à faire coïncider ces éléments, c'est très difficile... C'est très difficile de trouver la ligne juste pour pouvoir dépeindre les tourments bizarres, embrouillés de l'homme et les lois bien simple de l'offre et de la demande selon la théorie Marxiste. Et pourtant je ne veux sacrifier ni l'un ni l'autre. »

171

Ainsi, Adamov souligne l'importance de parvenir à faire un théâtre porteur à la fois d'idées sociales et politiques, mais aussi de psychologie et d'onirisme. Selon lui, c'est indéniablement la meilleure manière pour décrire la complexité humaine.

Aujourd’hui, Wajdi Mouawad entreprend lui aussi un renouvellement du genre dramatique et notamment par le choix de ses thèmes (souvent assez provocants, ou du moins souvent à même de provoquer le débat ou le questionnement personnel ou collectif), mais c'est aussi et surtout dans sa façon de traiter le langage (le plus souvent très poétique) et de faire attention au moindre mot qu’il emploie. La forme même du théâtre en matière de langage tient une place primordiale dans le travail du dramaturge

canadien.

Dans le cas d’Arthur Adamov, c’est seulement à partir de sa pièce intitulée Ping-

Pong172 qu’il propose un théâtre beaucoup plus engagé. Comparé à ses œuvres

antérieures, au sein de cette pièce, il fonde un véritable discours sur son engagement « politico-social », il traite de situations ancrées dans un temps et un lieu bien défini.

De plus, à partir de Paolo Paoli173il tâche de situer son action dans des époques

précises de l’Histoire, et pour ce faire, il passe des mois entiers dans les bibliothèques parisiennes afin de restituer dans leur propre logique et langage les événements qui le préoccupent. Cette « maniaquerie » dans la façon de composer une pièce, est elle aussi visible chez Mouawad qui n’hésite pas à faire des recherches historiques précises pour affiner au mieux son discours. Cependant, sauf exception, le dramaturge québécois n’ancre pas ses pièces dans des époques et dans des lieux précis, il reste systématiquement et volontairement très évasif, donc de ce point de vue le parti-pris des deux écrivains est diamétralement opposé.

Pour Adamov, l’idéal est de parvenir à faire fusionner cette précision politique et historique avec la poésie (ou du moins un art du langage très « maîtrisé »), c’est-à-dire de trouver une manière d’écrire spécifique pour amener ces éléments « politiques ». Adamov travaille indéniablement sur une fusion entre le politique et le poétique que nous pouvons définir aujourd'hui par le terme « poélitique ». Adamov est conscient que la fusion des deux (du « concret » et du poétique) est complexe et c’est cette difficulté qu’il cherche à dépasser par le biais de l'écriture théâtrale. Chez Wajdi Mouawad, on semble aussi percevoir cet idéal, mais il n’en parle jamais clairement, car il place son théâtre dans la poésie et non dans le politique.

Au sein de cette troisième partie, nous allons voir en quoi la « politisation » du texte chez Adamov rejoint le travail de l’artiste québécois. Nous constaterons en quoi leurs thèmes initiaux se rapprochent considérablement. Nous soulignerons aussi les

172 Œuvre qui date de mars 1955. 173 Œuvre qui date de mai 1957.

points communs qui existent entre les deux hommes concernant leur manière de concrétiser le texte au fil des répétitions. De plus, nous nous concentrerons aussi sur les rapprochements qui peuvent être faits entre les deux artistes en ce qui concerne l'importance du langage.

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 137-141)