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Drames documentaires : le prolétariat en image

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 91-94)

À l'époque de Piscator, le « drame documentaire » désignait un spectacle où le document politique « réel » constituait la base même du texte et de la représentation. Aujourd'hui, cette forme particulière de théâtre est désignée par le terme « théâtre reportage ».

Dans ses réalisations scéniques, Erwin Piscator n'hésite pas à diffuser des documentaires et des photographies qui pour lui ajoutent une information, une illustration supplémentaire au texte. En fait, pour lui l'important n'est pas l'œuvre en

elle-même (c'est-à-dire le texte ou « l'esthétique »), mais le résultat informatif qu'elle produit sur le spectateur.

La pièce documentaire construit son texte dramatique à même le langage enregistré (comme par exemple : un reportage) dans la « vraie » vie. Erwin Piscator est l'un des premiers à mêler les matériaux documentaires et la fiction, à utiliser le jeu des acteurs, mais aussi les projections, la musique et les chansons pour dénoncer les injustices présentes dans la société. Pour ce metteur en scène, chaque élément est important à partir du moment où il aide à faire passer (comprendre) le message voulu.

Dans son travail artistique, Wajdi Mouawad a lui aussi usé du drame documentaire, principalement une fois dans sa carrière avec le spectacle intitulé Silence

d'usine : paroles d'ouvriers en 2004. En effet, à son initiative, il a fait témoigner quinze

anciens travailleurs de Philips108(dans la Creuse) afin qu'ils décrivent leur vie lorsqu’ils travaillaient à l’usine, donc de leur vie d’avant et aussi de celle d’après.

Son spectacle parle de l’annonce de la fermeture de l’usine Philips à Aubusson le 9 juin 1987, au moment où la consternation et l’incompréhension s’abattent sur deux cent quatre-vingt-dix-huit employés. Pour un grand nombre de salariés de cette usine, Philips est le seul endroit où ils avaient travaillé et ils ne pensaient en partir qu’une fois l’âge de la retraite arrivée.

Mouawad questionne les anciens ouvriers de cette usine : comment peut-on décider la cessation d’activité alors que le travail ne manque pas et que l’entreprise est rentable ?

Le spectacle Silence d'usine : paroles d'ouvriers, est pour Wajdi Mouawad, l’occasion d’aborder le thème du prolétariat et de se questionner sur les abus et les incohérences de la classe dominante. Pour créer ce spectacle, il s'est appuyé sur les

108 Usine de matériel électrique située à Aubusson, dans le département de la Creuse et qui en 1988 cesse son activité.

témoignages des anciens ouvriers, en les questionnant il amène surtout le public à se questionner lui-même sur l'absurdité de la fermeture « arbitraire » de cette usine qui faisait vivre une région entière. Au sein de son spectacle, le dramaturge québécois utilise de nombreuses images filmées d'époque afin d'illustrer le propos de son œuvre. Ainsi, il mêle image d'époque et entretiens de ces mêmes ouvriers au temps présent avec le spectacle de théâtre.

Ainsi, par cette création unique, il se rapproche très clairement du drame documentaire de Piscator par la forme, mais aussi par le choix du thème, c’est-à-dire la condition du « prolétariat » et plus particulièrement l’injustice que cette classe peut rencontrer au sein de la société. À travers ce spectacle, Mouawad a en quelque sorte fait renaître les drames documentaires affectionnés par Erwin Piscator. Le dramaturge Québécois se confronte à nouveau à ce type de spectacle en 2009 avec une création intitulée Communistes et compagnons de route malakoffiots, nous reviendrons sur cette œuvre dans le deuxième chapitre de cette thèse.

1. L'importance du théâtre au sein de la société :

À l'époque de Piscator, le théâtre tenait un rôle tout à fait particulier au sein de la société. En effet, il faisait intégralement partie de la propagande au même titre que la presse :

« (...)aux yeux du mouvement prolétarien, le théâtre avait conquis une place parmi les moyens de propagande. Il s'installait enfin parmi les formes d'expressions du mouvement révolutionnaire, au même titre que la presse et le Parlement. En même temps, la fonction du théâtre, en tant qu'institution artistique, se trouvait modifiée. Il retrouvait sa finalité dans la vie sociale. Après avoir été longtemps figé et séparé des forces de son temps, il redevenait un facteur vivant d'évolution. » 109

Au sein de cette citation, Erwin Piscator souligne la place importante tenue par

le théâtre à son époque. Selon lui, il participe même à l'évolution de la société tant il y tient une place majeure.

Aujourd'hui pour Wajdi Mouawad, l'art dramatique ne tient plus vraiment cette place. En effet, il n'est actuellement plus (du moins en Occident) un outil de propagande et c'est un aspect qu'il ne semble pas rechercher, car son art n'est pas au service d'un parti politique ou d'une idéologie précise.

Même si le théâtre des deux artistes comporte beaucoup de similarités, il faut néanmoins souligner qu'aujourd'hui la place de cet art au sein de notre société a considérablement changé depuis l'époque de Piscator. Actuellement, l'art dramatique (en salle) est désormais le plus souvent réservé ou du moins regardé par une population « d'initiés ».

Donc, sur ce point, il reste difficile de faire des parallèles (du point de vue de la société) entre les deux artistes tant leurs époques sont différentes.

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 91-94)