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Les rapports de Mouawad à l’œuvre de Piscator : une « renaissance » du

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 55-60)

Les rapports entre Erwin Piscator et Wajdi Mouawad sont multiples, c'est ce que nous verrons au sein de cette section. Avant de commencer cette étude, nous allons parcourir en quelques points les particularités biographiques du dramaturge et scénographe allemand.

« Les principaux éléments d'une doctrine d'un théâtre révolutionnaire se trouvent formulés par l'Allemand Erwin Piscator (1893-1966), metteur en scène à la Volksbühne de Berlin. La mission de ce théâtre, précise-t-il, « consiste à prendre la réalité comme point de départ, à intensifier le désaccord, pour en faire un élément d'accusation, et à préparer ainsi la révolution et l'ordre nouveau ». » 59

Piscator est né près de Wetzlar60 en Allemagne dans une famille protestante. Très tôt, son goût pour l'art de la scène s'éveille et plus particulièrement concernant le travail d'acteur et aussi de metteur en scène. Pour parvenir à ses fins, il étudie à Munich et devient dans un premier temps acteur.

Ensuite à partir de 1917, il est de plus en plus actif dans le monde de l'art dramatique et prend la direction d'un théâtre aux armées61. C'est à cette même époque qu'il prend conscience des antagonismes sociaux qui peuvent exister et plus particulièrement il s'éveille à la notion de lutte des classes.

Juste avant la fin de la guerre, il est mobilisé au front et c'est à partir de ce moment qu'il devient antimilitariste. C'est bien cette idée qu'il confesse en 1929 dans son ouvrage intitulé Le théâtre politique, la guerre « scelle de façon indissociable » son

59 VEINSTEIN André in DUVIGNAUD Jean et VEINSTEIN André, Le Théâtre, Éditions Larousse, Collection Encyclopoche, Paris, 1976, p.59.

60 Ville située dans le Land de Hesse.

« engagement politique » ainsi que sa « vocation théâtrale ».

En 1918, il continue activement son travail artistique, il évolue notamment parmi les Dadaïstes Berlinois62. C'est à partir de cette période qu'il adhère officiellement au Parti communiste et qu'il fait le choix de militer par le biais du théâtre et de l'art. Il souhaite désormais mettre la scène au service de l'action révolutionnaire en faisant usage d'un répertoire composé uniquement de drames collectifs. Il désire faire partager des œuvres qui sont reliées à l'histoire immédiate et interprétées par des non- professionnels pour donner une impression plus réaliste. Piscator fait désormais le choix de s'adresser exclusivement à un public composé de prolétaires dont il prétend pouvoir éclairer la conscience (politique principalement). À son avis, le théâtre doit être un outil de libération culturelle des masses prolétariennes. Cet art doit impérativement être conforme aux exigences du socialisme révolutionnaire.

Selon Piscator, un projet d'une telle dimension demande des moyens, comme par exemple la mise en œuvre de nouveaux moyens de communications cinématographiques, mais aussi architecturaux. Le but est de renouveler l'espace scénique traditionnel. Sa notoriété s'affirme rapidement, il travaille aussi avec les mouvements d'Agit'prop. Plus il avance, plus il œuvre en étroite collaboration avec le Parti Communiste.

Après la Première Guerre mondiale, il crée son propre théâtre Proletarisches63, expérience qui dure de 1919 à 1922, puis il continue cette même expérience dans diverses salles de spectacle. En 1929, il publie Das politische Theater (Le théâtre

politique) qui est encore aujourd'hui un ouvrage de référence dans le domaine de l'art et

plus particulièrement du théâtre politique.

Durant sa vie, il va beaucoup voyager, ainsi il va vivre durant quelques années en Union soviétique, puis en France et ensuite à New-York où il fonde le Dramatic

62 Les principaux membres de cette branche berlinoise sont : Raoul Hausmann, George Grosz, Richard Huelsenbeck.

Workshop64. Finalement, il fuit le Maccarthysme en 1951 et rentre en Allemagne de l'Ouest.

En 1962, il est nommé directeur du Freie Volksbühne65 à Berlin-Ouest. Erwin Piscator a présenté, comme premier spectacle, la pièce très controversée qui a pour titre

Le Vicaire (par Rolf Hochhuth66). Ce texte traite du Pape Pie XII et de la délivrance prétendument négligée des Juifs italiens des chambres à gaz nazies.

Erwin Piscator est le père de la formule même de « Théâtre Politique », bien que dans son cas, il faut plus précisément parler de « théâtre prolétarien ». Cette forme d'art peut aussi exiger un bouleversement des formes théâtrales d'un point de vue scénique (interventions de projections d'images, du cinéma, de jeux de lumière, d'ombres, importance de l'architecture de la scène...). C'est à ce titre qu'il prend place dans l'évolution de la mise en scène et c’est justement en ce sens que Piscator élabore les principes mêmes de son théâtre politique.

À partir de 1920, dans le contexte d'une Allemagne rongée par le chômage et l'inflation, il tente de faire un théâtre dont les multiples effets (notamment techniques) déboucheraient sur une prise de conscience de la vie sociale et politique. Pour aboutir à une prise de conscience du public, il multiplie le recours à de tels procédés « techniques » (ou nouvelles technologies) tels que les haut-parleurs, les ombres chinoises, les scènes tournantes (nouvelles architectures scéniques), les projections sur scène (de slogans, de photographies, de documents divers…), mais aussi les séquences cinématographiques. Ainsi, par l'usage de ces divers procédés, le scénographe tend à représenter au plus juste la réalité contemporaine qui à son époque est celle des masses populaires.

Par le biais de ce que l'on nomme aujourd'hui les « nouvelles technologies », il souhaite captiver le public (ou du moins à retenir un maximum son attention). Il désire

64 École d'art dramatique.

65 Traduction : Théâtre Libre du Peuple.

donner à la scène un pouvoir quasi-hypnotique pour « instruire » le spectateur, afin de l'amener à plus s'intéresser au propos du spectacle. Mais surtout, en tant que membre du Parti communiste, il doit mettre son théâtre au service de la révolution, l'art doit avoir pour mission « d'agiter » l'esprit des spectateurs dans une même direction qui est celle d'un monde nouveau régi par le socialisme révolutionnaire.

Par l’utilisation de divers moyens techniques, Erwin Piscator cherchait à traduire sur scène le destin des masses opprimées. Selon lui, le sujet de la nouvelle dramaturgie qu'il élabore ne doit plus se concentrer sur l'individu et son destin personnel (et particulier), mais plutôt viser l'individu au sein d'un espace, d'une société. C'est par le biais des nouvelles technologies que l'artiste comptait représenter cette société en constante évolution.

Ainsi, il est l'un des pères fondateurs du « Théâtre Prolétarien », c'est-à-dire d'un théâtre qui est fait pour les prolétaires et qui n'est ni plus ni moins qu'un instrument d'agitation et de propagande. Piscator voulait aussi faire de ses créations un miroir de l'actualité et ainsi une sorte de journal quotidien qui au fil de l'actualité devait se renouveler en permanence.

Ce metteur en scène allemand est l’un des premiers à vouloir « dévouer » (réellement) son théâtre au service des mouvements révolutionnaires67 de l'époque. Il est souvent accusé à tort d'être « un maniaque de la technique », cependant il a ouvert à la mise en scène des voies nouvelles, largement empruntées depuis, mais il a aussi fortement contribué, à sa façon, au renouvellement de l'écriture dramatique par le biais du « scénique ».

Le rôle principal du théâtre politique est selon lui, de garder mobilisés tant les soldats du front que ceux restés derrière, c'est cette image dont il se sert dans son ouvrage théorique intitulé Le théâtre politique. Cet art doit donc servir à garder tous les esprits mobilisés (actifs) afin que les masses ne tombent pas dans l’attentisme, c'est-à-

dire dans l'attente passive de nouvelles opportunités. Il faut donc que l'art dramatique endosse l’engagement politique qui lui est attaché. Il doit servir à captiver les spectateurs sur les problèmes de la société et dans le cas de Piscator, sur les vices qui sont le propre de la bourgeoisie du début du XXème siècle. D'un point de vue scénique, il

est l'un des plus grands réformateurs du théâtre de son époque et même de son siècle. Jusqu'à sa mort en 1966, il demeure un homme de théâtre important d'un point de vue international.

À sa manière, Wajdi Mouawad participe lui aussi activement à une renaissance du théâtre, mais surtout au niveau de la conception de l'écriture, bien que le dramaturge canadien tende de plus en plus vers un renouvellement de la scène par le biais de l'utilisation des nouvelles technologies (avec par exemple des projections d'images, des films, des sons...).

Son objectif principal est de créer un théâtre ouvert qui tienne compte du spectateur. Il souhaite aussi que sa dramaturgie offre à son public un témoignage authentique de l’existence humaine tant par les mots que par les images. Wajdi Mouawad apporte par sa dramaturgie une poésie « personnelle » du langage. La structure très narrative de ses pièces, contient aussi une grande abondance de possibilités dramatiques. De plus, l'usage de la musique, de la danse contemporaine, mais aussi aux divers moyens techniques qu'il a à sa disposition ouvre son théâtre vers d’autres domaines comme Erwin Piscator l’avait fait auparavant avec l’utilisation de diverses techniques.

C'est surtout à travers des spectacles tels que Ciels et Seuls que l'émergence des nouvelles technologies au sein du travail du metteur en scène canadien se fait le plus sentir.

Dans Ciels, l'utilisation de ces nouvelles techniques est même incluse au sein du texte, plus particulièrement dans les didascalies. Dans Seuls, l'utilisation de tels procédés est omniprésente dans la mise en scène, mais non dans le texte. Par exemple, il

y a un important jeu de projection de l'image du personnage principal participant à montrer la division du corps et de l'esprit. L'usage de ces divers procédés ajoute et précise le message contenu dans le texte.

Le théâtre de Wajdi Mouawad participe à une renaissance de celui-ci, aussi bien au niveau de la forme que du fond. Au cours de ces dernières années, cet artiste québécois s’est fait remarquer à de nombreuses reprises par le caractère unique de son esthétique théâtrale qu'il renouvelle constamment. Son travail de création et de mise en scène, s'oriente de plus en plus vers l'utilisation des nouvelles technologies, ce qui commence à effacer peu à peu l'acteur du spectacle. Le comédien ne devient plus le seul point d'ancrage, tant les « innovations » de mise en scène prennent parfois le dessus.

Concrètement, à des époques bien distinctes, Wajdi Mouawad et Erwin Piscator amènent par leurs propres conceptions du théâtre, une « renaissance » de celui-ci et ils ouvrent tous deux de nouvelles pistes au monde de l'art théâtral.

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 55-60)