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Le langage « Adamovien » et langage « Mouawadien » :

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 153-156)

B. L’importance du langage et des mots

1. Le langage « Adamovien » et langage « Mouawadien » :

Pour en revenir au langage « Adamovien », il faut préciser que celui-ci nous renvoie à un univers géré par une totale absence de communication entre les êtres qui pourtant croient pouvoir se parler. Par cette impossibilité de communiquer, il nous montre que le monde est désormais dépourvu de sens.

Wajdi Mouawad aussi aborde ce sujet du manque de communication par le biais de son langage. Pour ce faire, il inclut par exemple de nombreux silences qu’il note au sein des didascalies, mais aussi qu’il intègre sur scène dans Incendies en usant d’une bande-son qui diffuse du silence.

À travers la dénonciation d’un langage qui s’effondre progressivement, Adamov expose par le biais de ses personnages, l’image de l’homme privé de possibilité de communication. L'écrivain utilise la métaphore de la mort pour parler de cette impossibilité d’entrer en interaction verbale avec l'autre.

Cette manière de parler des hommes se retrouve chez Wajdi Mouawad, cependant contrairement à Adamov, il impose une fin plus positive. L’artiste québécois nous montre des personnages qui, au début ne parviennent pas à communiquer, à établir des relations avec l’autre et c’est au fil de l’histoire qu’ils parviennent enfin à établir des

relations humaines grâce à une redécouverte des mots.

Pour Adamov, loin d’être un outil de communication qui lui est digne, le langage ne cesse de véhiculer le sentiment de suspicion parmi les personnages devenus désormais étrangers même à leur propre langage, il met cette idée en scène en ayant recours à des procédés du « théâtre de l’Absurde ».

Jean Duvignaud présente la dramaturgie d'Adamov comme étant un théâtre de la littérarité qui selon lui présente les êtres humains d'une manière tout à fait particulière, c'est cette idée qu'il nous explique au sein de la citation suivante extraite de Sociologie

du Théâtre :

« […] le théâtre de la littérarité, qui présente la personne humaine dans sa nudité et recourt aux éléments les plus simples pour en démontrer la situation périlleuse, exerce une fonction salutaire et libératoire. Au lieu de consoler l'homme et de l'endormir par des paroles et des sentiments, il l'éveille et le provoque. Il cherche à exciter chez lui une énergie latente qui est une forme de la liberté collective. » 194

Chez Adamov, le langage simple nous montre comme le dit Jean Duvignaud « la personne humaine dans sa nudité ». Selon lui, le théâtre de la littéralité amène le spectateur à réfléchir « il l'éveille et le provoque ».

Chez Mouawad, le langage n'apporte pas une telle rupture (notamment dans la description des protagonistes). Par contre, il sert cette idée de rendre les personnages étrangers à leur propre langage, ainsi dans certaines de ses pièces les personnages usent de langues différentes, comme par exemple l’arabe, le québécois et le français. Ce basculement d’une langue à une autre sert à montrer la difficulté de ses personnages à se situer dans une société et dans une culture.

« Ainsi surgit la poésie. Elle est au cœur de tout, vécue et revendiquée comme une nécessité. Elle comme fauve. Elle qui peu à peu pénètre l'écriture, des oracles de Forêts aux poèmes de Ciels, en passant par le langage du Soleil ni la mort ne peuvent se regarder en

face, où la ligne continue est abandonnée vers le vers. La poésie est le lieu d'un

déplacement, d'une migration, d'une émigration, épousant le sens étymologique de la « métaphore » (…). » 195

Pour le dramaturge québécois, la poésie est au cœur de tout et principalement du théâtre. C'est grâce à elle que les personnages prennent vie et peuvent ainsi évoluer. La poésie est selon lui une ligne d'horizon, un but à atteindre, une perspective que chacun doit impérativement saisir.

Le questionnement incessant des deux artistes sur cette notion est très marqué, c'est même en quelque sorte de l'ordre de la nécessité absolue. Par le biais de ce questionnement sur le langage, Adamov nous renvoie à une réflexion sur le monde intérieur des êtres humains. Et, quoi de plus fascinant que l’exploration du monde intérieur devenant une source féconde d’inspiration pour un auteur qui s’est souvent penché sur des expériences oniriques, le monde de l’inconscient et du rêve par excellence. L’onirisme tient aussi une place essentielle dans l'œuvre de Mouawad. Nous verrons plus précisément cette idée au sein du troisième chapitre de cette thèse.

À cet égard, l’onirisme confère au spectacle « Adamovien » un caractère inhabituel, insolite, dans lequel toutes les formes d’expressions scéniques sont exploitées sur le plateau de théâtre dans le dessein de visualiser ses visions intérieures. Éclairages, bruitages, décors, accessoires, objets insolites, tous ces éléments scéniques deviennent essentiels et significatifs pour mettre à nu l’état de gêne constant dans lequel se trouve le dramaturge. L'objet représente symboliquement le mot manquant.

Mouawad use, lui aussi, d’un langage tout à fait particulier que l’on peut qualifier de « Mouawadien ».

À l’instar d’Adamov, le dramaturge québécois use plus de mots qui lui sont propres que d’un langage scénique tout à fait particulier. Une des formes typiques du langage « Mouawadien » est l'expression par les mathématiques, comme c'est par exemple le cas dans l'extrait suivant venant de la pièce intitulée Ciels :

196

Cet exemple d'expression par les mathématiques n'est pas propre à cette pièce de théâtre. En effet, ce recours est récurrent dans l'œuvre de Mouawad, nous verrons plus précisément ce point par la suite. Elles sont pour lui une forme de poésie à part entière qu'il intègre au texte de théâtre.

Dans le document Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? (Page 153-156)