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Le Rapport Carayon 2006 et la mise en avant des dimensions financières de l’IE . 50

Chapitre 2. Développement de l’IE en France et enjeux actuels

2.2 Les rapports Carayon et l’émergence d’une volonté forte de changement

2.2.3 Le Rapport Carayon 2006 et la mise en avant des dimensions financières de l’IE . 50

Ce rapport, rendu prés de trois ans après celui de 2003, a moins vocation de passer en revue les progrès faits que de proposer des lignes d’analyses et des solutions sur quelques sujets ciblés. « L’ensemble de ce rapport traite en filigrane de la volonté politique nécessaire pour donner à l'économie française, et notamment aux PME-PMI, les moyens de saisir les opportunités liées à la mondialisation» (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 95). Cette orientation semble logique face au manque de recul par rapport aux actions menées depuis la

remise du rapport précédent.« Les outils mis en place par les gouvernements depuis 2005 –

Agence pour l'Innovation Industrielle, Agence Nationale pour la Recherche, OSEO, pôles de compétitivité... - sont prometteurs mais encore trop récents pour que leur efficacité soit mesurée.”

Le rapport est structuré en quatre grandes parties. Tout d’abord Carayon recadre le contexte dans lequel évoluent les entreprises et la société française : la mondialisation, les évolutions technologiques et les « para pouvoirs » (ONG, fonds d’investissements) continuent à se renforcer. Dès cette première partie l’accent sur les problématiques financières apparaît. La

première proposition vise d’ailleurs à limiter les actions spéculatives de certains fonds

d’investissement qualifiés de « fonds vautours ». Les discussions s’orientent sur un nombre de sujets économiques et financiers : problèmes liés aux OPA, aux modes de rémunération des top managers, manque de dynamisme économique européen, etc…Plus frappant est le changement de ton face à la présence de capitaux étrangers au sein des entreprises françaises. Là ou le rapport 2003 semblait se focaliser sur les risques liés à cette présence forte des actionnaires étrangers, le rapport 2006 interprète cette présence comme un signe de l’ouverture de l’économie

française: "La Place de Paris est la plus ouverte de tous les grands marchés financiers, un

paradoxe pour un pays présenté si souvent comme protectionniste." "Le taux de détention par les investisseurs non-résidents (…) atteignait 44,6 % du CAC40 en 2004. Il est en progression régulière (33,4 % en 1997)." (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 25)

Cette analyse vient répondre aux critiques internationales qui ont suivi certaines décisions françaises (notamment après le Décret de décembre 2005).Suit la deuxième proposition de cette première partie concernant la publication annuelle des comptes des PME-PMI. Carayon suggère de supprimer cette obligation qui n’est imposée par aucun autre pays. Certes le désir de

réciprocité est légitime et les risques de l’exploitation de ces informations par des concurrents sont réels cependant il nous paraît contradictoire de vouloir supprimer une telle source

d’information alors que l’une des orientations principales de l’intelligence économique est de permettre une meilleure circulation de l’information utile. Dans cette partie du rapport les aspects défensifs de l’IE semblent bien primer sur les fonctions de recherche et de traitement stratégique de l’information

Nous passerons ici rapidement sur les propositions du rapport visant à renforcer d’un côté la présence des questions européennes en France et de l’autre la présence française au sein des centres de réflexion et de décision européens (voir l'analyse de la Caisse des Dépôts dans notre

section 2.3.2.1 pour un exemple de réalisation de ces objectifs), afin de diriger notre analyse sur

la deuxième partie du rapport.

Cette deuxième partie est consacrée aux problèmes de normalisation. Parmi les sujets présentés nous retrouvons une problématique fondamentale de la finance: l'harmonisation des normes comptables internationales. Depuis 2005 les normes IFRS ("International Financial Reporting

Standards") ont été substituées en Europe aux normes comptables nationales.Comme le

remarque très bien Bernard Carayon l'élaboration de ces normes s'est faite pour donner une cohérence aux principes comptables internationaux. Pour mieux comprendre l'importance de ces orientations il faut garder à l'esprit que l'information comptable sert de base de travail aux

analystes financiers. Harmoniser les règles comptables internationales permet donc aux analystes de pouvoir comparer rationnellement les compagnies de différent pays et de disposer d'une information calibrée reflétant les réalités économiques sous-jacentes aux entreprises. Cependant, malgré leurs encouragements pour que cette réforme voie le jour en Europe, les autorités américaines n'ont pas jugé bon de changer leurs propres règles comptables (US GAAP). Cette décision américaine a aboutie à une situation contraire à tout principe de réciprocité: les entreprises européennes voulant être cotées aux USA doivent ainsi maintenir une double comptabilité, l'une conforme aux normes US GAAP et l'autre conforme aux normes

internationales IFRS alors que les entreprises américaines voulant être cotées en Europe sont dispensées de cette double comptabilité. Bien entendu l'élaboration de rapports de résultats trimestriels et annuels représente un investissement en temps significatif et les coûts associés au maintien de cette double comptabilité ne sont pas négligeables Selon le rapport l'application de ces règles "constitue pour l'entreprise une charge initiale très élevée (plusieurs millions d'euros) et une charge annuelle récurrente (au minimum égale à un million d’Euros)" (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 51).

De fait, cette position américaine donne aux groupes multinationaux ayant leur siège aux USA un avantage compétitif certain sur leurs concurrents implantés à l'étranger.

Il nous paraît cependant judicieux de souligner les orientations et les ajustements de stratégie des groupes européens concernés depuis l'établissement de ces règles. En effet nous assistons à un phénomène mal anticipé par les autorités américaines: les effets combinés de cette obligation de double comptabilité et l'application de la loi Sarbanes-Oxley de 2002 sur la réforme de la

comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs. Cette dernière loi est appliquée à toutes les compagnies cotées aux États-Unis d'Amérique et concerne donc les groupes français

et européens qui y sont implantés. Or une étude de 2006 par le cabinet d'audit Mazars (Mazars, 2006) souligne que 17% des entreprises françaises déclarent une sortie de la cote américaine envisageable et 8% la considère comme probable. Les résultats de cette étude semblent validés par l'actualité récente; Prenons à titre d'exemple Adecco, l'un des groupes français qui s'était appliqué à implémenter le plus rapidement les demandes américaines vient d'entrer dans un processus de sortie de cote du New York Stock Exchange.

Dans le cadre de notre travail nous terminons notre analyse du rapport Carayon 2006 par sa troisième partie et les problématiques liées au financement des entreprises.

Le rapport estime que l'effort de financement des PME-PMI innovante est toujours insuffisant et parfois mal orienté. La phase d'amorçage, période critique pour la survie des jeunes compagnies est mis en avant. Lors de cette phase, les applications des technologies ont été développées mais pas leur commercialisation ni leur production. La trésorerie est souvent faible et le recours à un financement nécessaire. Cette phase représente aussi l'une des plus risquées pour les

investisseurs, limitant les financements dirigés vers les entreprises traversant cette phase. Cependant le déficit de financement des PME ne se limite pas aux entreprises en phase

d'amorçage. Le rapport souligne les faiblesses de l'implication des acteurs privés, notamment des banques et des assureurs, dans le financement de l'ensemble des PME (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 60). Cette analyse rejoint les conclusions de nombreux économistes qui considèrent que la faiblesse du tissu économique des PME ainsi que l'incapacité pour les petites entreprises de se développer, par manque de moyens financiers, représentent des faiblesses de l'économie française. Citons Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques

et financières du Crédit Agricole, dans une audition du 1er février 2006 dans le cadre des travaux

de la commission des finances du sénat. (Betbèze, 2006)

Il estime en effet "que l'on avait trop tendance en France à considérer qu'une petite entreprise n'avait pas vocation à se développer" et "qu'en France, le capital investissement n'était que

minoritairement orienté vers l'innovation, contrairement à ce qui était le cas aux Etats-Unis."Il

faut cependant prendre garde à ne pas réduire les problèmes de financement des PME à un simple problème de compréhension de la nature et des finalités de cette catégorie d’entreprises.

S’il est indéniable que certains pays, notamment anglo-saxons, semblent avoir mieux favorisé la croissance de leurs PME, nous suggérons qu’il faut rechercher les raisons du sous financement des PME dans le système de financement lui-même, de ses besoins, de ses attentes et de sa relation aux entreprises. Sur ce point Henry Savajol, directeur des études et de la stratégie à OSEO BDPME, souligne le manque de confiance marquant les relations entre PME et banques

et identifie la source principale de ce problème: « les banques déclarent souvent ne pas avoir les

éléments suffisants pour évaluer les entreprises ou leurs projets (d’où un principe de « prudence ») ; de leur côte les PME mettront en avant la difficulté à rassembler et à communiquer toute l’information pertinente pour leur projet. » (Savajol, 2005). Un point supplémentaire vient renforcer cette problématique: même si l’information nécessaire au banquier est théoriquement accessible, le coût de son acquisition peut représenter un frein majeur à l’octroi de financement, en particulier si les rendements espérés liés au financement du projet sont jugés faibles. Nous pouvons voir clairement comment l’absence d’outils d’analyse performants peut alors conduire au non financement de nombreux projets.

Le rapport Carayon poursuit son analyse par l'étude des systèmes de soutien et de financement public des entreprises au Royaume Uni ainsi qu'aux États-Unis d'Amérique. La pertinence des analyses du rapport contraste cependant avec la timidité des propositions (au nombre de deux). La première appelle à un recensement à l'échelle européenne de la

participation des PME indépendantes (non affiliées aux grands groupes industriels) aux marchés publics. La seconde à une étude de faisabilité pour la création de fonds populaires

d'investissement pour le financement des PME-PMI.

Au final, ce rapport 2006 reste dans la ligne droite des analyses du rapport 2003. La place faite aux questions financières est notable cependant le manque de recul par rapport aux actions engagées sur ce terrain limite la portée des propositions.

Le rapport s'engage fortement sur d'autres problématiques: les enjeux stratégiques pour l'Europe de l’utilisation des standards ouverts, le renforcement des actions du ministère des affaires étrangères et du dispositif d'intelligence économique public.

2.3 L'ouverture de l'IE aux dimensions financières

Il est tout de même assez étonnant que le domaine économique et financier soit aussi peu présent dans la littérature consacrée à IE en France comme dans le reste du monde. Les pistes explorées, les solutions envisagées ont comme finalité la pérennité et/ou l’amélioration d’une situation économique donnée, à l’échelle des entreprises comme des nations. Cependant, force est de constater que le rôle de l’information financière est dans la plupart des cas évoqué mais, en dehors des publications dédiées exclusivement à la finance, aucun ouvrage majeur sur

l'intelligence économique ne semble s’y être consacré. Ce constat est d’autant plus surprenant qu’il existe en Europe des places financières très développées où la demande et l’offre

d’«intelligence financière» se rencontrent. La place la plus développée en Europe est sans aucun doute la « City » de Londres qui représente l’une des plateformes financières les plus

dynamiques en termes de concentration de banques d’investissement, de firmes de conseil en fusion et acquisition et du nombre de gérant de fonds enregistrés auprès de la FSA (Financial

Services Authority)régulateur pour l'industrie des services financiers. La place Londonienne est

aussi numéro un en termes delevées de fonds pour les opérations de Private Equity14 ainsi que

pour la production et de vente de rapport de recherches.

Nous avançons une première piste quand aux raisons du manque de symbiose apparent entre l’IE et le monde financier : le cloisonnement des « filières » de formation. De la même manière que

14 Nous nous référons ici à l’EVCA (European Venture Capital Association). Citons l’étude publiée en 2006 sur les caractéristiques et dynamiques propres aux pays européens les plus actifs en matière de Private Equity et Venture Capital (EVCA, 2006).

l’enseignement de la finance et de l’économie avait ignoré certains aspects psychologiques des participants des marchés financiers jusque dans les années 1970 et les contributions de

Kahneman et Tversky (Kahneman & Tversky, 1979), l’IE s’est bâtie à partir de certaines

matières et n’a pas encore franchi le pas d’une véritable ouverture vers les disciplines financières et économiques.