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Rappel de certaines forces de stabilité susceptibles de freiner l’évolution du travail professoral

Les principales forces de changement ayant été décrites, nous voulons, dans un troisième temps, mettre en relief un autre phénomène important pour comprendre l’évolution du travail professoral : la grande stabilité de certaines forces internes à l’université. À travers l’histoire, bien que constituant souvent elle-même une importante source de changements, l’université a été un des établissements les plus stables, qui a réussi à poursuivre son œuvre malgré les révolutions, les guerres et les calamités de toute sorte. Cette grande stabilité du monde universitaire se manifeste de diverses manières. Nous en isolons trois, particulièrement importantes : le maintien de l’ambiguïté fondamentale quant à la mission et aux fonctions de l’université; le maintien des principaux mécanismes traditionnels de financement des universités; la grande stabilité des structures de regroupement des professeurs et de l’organisation du travail des professeurs. Nous développons par la suite ces trois points.

• Le maintien de l’ambiguïté fondamentale concernant la mission et les fonctions de l’université

Au cours des dernières années, la mission universitaire n’a pas changé et peu d’efforts ont été faits pour établir une priorité entre les fonctions fondamentales de transmission et de développement des connaissances et pour articuler celles-ci par rapport aux nouvelles fonctions des établissements universitaires : former un personnel hautement qualifié, aider au développement économique, assurer une plus grande mobilité sociale, etc.

En fait, en l’absence d’une politique claire à ce sujet, tant de la part du ministère de l’Éducation que de celle de la plupart des établissements universitaires, ce sont les professeurs eux-mêmes qui déterminent l’importance relative qu’ils consacrent à chacune de leurs tâches. Certaines conventions collectives leur reconnaissent d’ailleurs implicitement ce droit.

• Le maintien du processus traditionnel de financement des universités Au cours des dernières années, les subventions de fonctionnement aux universités québécoises n’ont que peu augmenté, alors que les frais de scolarité, fixés par le gouvernement, ont été gardés peu élevés par rapport à ceux que paient les étudiants aux États-Unis et dans le reste du Canada. Dans ce contexte, même en dehors des nombreuses périodes de crise, les universités ont toujours eu de la difficulté à équilibrer leur budget et elles se sont efforcées d’accroître leur productivité et d’accéder à de nouvelles sources de fonds, en participant aux nouveaux programmes de développement de la recherche de pointe menée en collaboration avec l’entreprise et menant à la commercialisation des résultats de la recherche universitaire.

Les professeurs ont donc perdu certains soutiens et ont été invités à s’engager dans la nouvelle recherche de pointe, en collaboration avec des organisations publiques ou privées.

• La grande stabilité des structures organisationnelles, de l’organisation du travail et des mécanismes de protection des intérêts collectifs des professeurs Nous faisons à ce sujet deux constats : d’abord, il n’y a pas eu de changement important dans la structure organisationnelle des regroupements de professeurs, sauf le développement de nouvelles chaires et de nouveaux instituts de recherche que l’on a ajoutés aux anciennes structures facultaires, départementales et de gestion des programmes d’enseignement; ensuite, il n’y a pas eu non plus de véritable changement dans l’organisation du travail professoral, sauf en ce qui concerne l’utilisation des TIC. En effet, nonobstant l’existence de quelques expériences pédagogiques (ex. : l’enseignement par problème) et une certaine diversification des méthodologies de l’enseignement, dont nous mesurerons plus loin l’importance, l’unité organisationnelle de l’enseignement universitaire demeure principalement le cours de trois crédits et le bloc d’enseignement de trois heures par semaine sur une session de quinze semaines. L’idéologie dominante veut aussi que tous les professeurs

des associations et des syndicats, unités structurelles distinctes des établissements universitaires, mais induites de celles-ci et ayant comme mandat premier la défense des intérêts collectifs des professeurs.

Il faut mentionner aussi, dans la plupart des établissements, le maintien de la forte présence des chargés de cours, eux-mêmes syndiqués : ceux-ci continuent à assurer

une partie importante des cours, surtout au 1er cycle. Leur présence massive pourrait

avoir d’importants effets sur le travail professoral. En fait, bien que les universités refusent de le reconnaître officiellement, il pourrait s’être installé, au sein de plusieurs établissements universitaires, une nouvelle division du travail : les chargés de cours assurent la majorité des cours de 1er cycle; les professeurs concentrent leur enseignement aux études supérieures, assurent les directions pédagogiques, dirigent les travaux des étudiants des cycles supérieurs et se consacrent de plus en plus à la recherche. Il y a là un phénomène qui doit être beaucoup mieux documenté.

Conclusion

Il n’est pas facile de décrire en quelques pages le contexte complexe, fait de changement et de stabilité, dans lequel les professeurs des universités du Québec ont fait leur travail au cours des dix ou douze dernières années. Ce l’est encore moins de déterminer dans le travail professoral l’apport relatif des forces de changement et de stabilité et d’établir la résultante des déterminants externes, des politiques mises de l’avant par les établissements et du libre choix laissé à chacun des professeurs de déterminer la nature et l’importance de chacune des tâches et activités constitutives de son travail. Trois phénomènes ont été relevés :

♦ D’abord, les tâches de recherche et d’encadrement des étudiants au 2e et 3e cycle se sont vraisemblablement accrues, ne serait-ce qu’à cause de la diminution du nombre des professeurs et de l’augmentation du nombre d’étudiants et des montants des subventions et des contrats de recherche.

♦ Ensuite, comme beaucoup d’autres personnels des secteurs publics et parapublics, les professeurs pourraient bien avoir vu leur travail s’alourdir ou, tout au moins, se complexifier, ne serait-ce qu’à cause du développement rapide et sans précédent des connaissances, de la diminution du nombre des professeurs, des contraintes budgétaires du système public, des demandes de services toujours plus diversifiées du milieu, des nouvelles exigences de la mondialisation, des pressions en faveur à la fois d’une productivité accrue et d’une plus grande reddition de comptes à tous les niveaux du système universitaire.

♦ Enfin, les TIC pourraient bien avoir facilité le travail des professeurs, mais avoir aussi impliqué, pour eux, une importante mise à jour et amené aussi vraisem-blablement ceux-ci à prendre en charge certaines activités qui étaient réalisées auparavant par d’autres types de personnel.

Dans un monde en changement continu, l’université québécoise est un établissement relativement stable, appelé à relever d’importants défis organisationnels. Dans cet établissement, les professeurs constituent un groupe de travailleurs professionnels, semi-autonomes, soumis à de fortes pressions pour adapter leur travail dans la continuité, dans le respect de leurs valeurs et de leurs intérêts, afin de mieux répondre aux besoins de l’université, de leur domaine d’enseignement et de recherche et de la société tout entière. Dans le monde universitaire, l’équilibre de forces individuelles et collectives est instable et la diversité est la règle, pas l’exception.