• Aucun résultat trouvé

DE LA RA AUX ESPACES PERCEPTIFS AUGMENTES .1 Définition d’un espace perceptif

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 38-41)

L’espace dans lequel nous vivons nous apparaît en trois dimensions spatiales ainsi qu’une 4ème dimension constituée par la temporalité. Cependant, si l’on considère l’ensemble de nos capteurs perceptifs, par exemple chaque champ récepteur sur la rétine ou chaque capteur de pression cutané, l’espace (au sens mathématique du terme) sensoriel possède beaucoup plus de dimension. Cela implique que la perception unifiée et continue que l’on a de notre environnement est le produit d’une intégration et d’une reconstruction subjective d’un espace en 3+1 dimensions. Ce caractère intégrateur (spatial et temporel) de notre système perceptif est, en autre, mis en évidence par les lois de la gestalt (Rosenthal & Visetti, 1999) qui proposent aussi une conception

intégratrice de notre système visuel notamment.

A partir de ces constats, on en vient à la conclusion que notre système perceptif (quels que soient les processus neuropsychologiques mis en œuvre) a pour objectif de produire un « espace perceptif subjectif » à 3+1 dimensions nous permettant d’agir et d’évoluer dans l’environnement. Par extension, lorsque l’on parle de perception augmentée on désigne en fait un « espace perceptif augmenté » dans lequel sont perçus simultanément éléments réels et virtuels assemblés dans un tout cohérent.

2.4.2 Élaboration d’un espace perceptif augmenté

La constitution d’un espace perceptif homogène est le produit de processus inductifs complexes reposant sur des règles d’association. Pour qu’un élément virtuel puisse être intégré dans un espace perceptif, il doit respecter le même comportement spatial mais aussi temporel que les autres éléments de cet environnement. L’analyse des 3+1 dimensions d’un élément virtuel est donc essentielle pour l’intégration dans un espace perceptif. Ce principe peut expliquer certains problèmes perceptifs constatés dans la littérature. Par exemple, le phénomène de flottement ou swimming effect (Azuma, R. & Bishop, 1994; Rolland & Fuchs, 2000) provoqué par la latence de rafraîchissement (Lag) de la position d’un élément virtuel, peut supprimer la sensation que cet élément est fixé dans l’environnement réel. Dans ce cas de figure, l’utilisateur n’a plus la sensation de percevoir un seul environnement augmenté mais de voir une superposition de deux espaces, l’un, constitué par l’environnement réel et l’autre, par les éléments virtuels qui ont leurs propres règles et comportements distincts. Ce phénomène de flottement illustre bien que le respect de la temporalité est tout aussi important que les dimensions spatiales dans les processus d’association, et donc que le respect de l’ensemble des 3+1 dimensions est indispensable à l’élaboration d’un espace perceptif augmenté.

37

2.4.3 Pluralité des espaces perceptifs

Quand l’analyse d’un élément est ambigüe, c'est-à-dire pouvant être visuellement interprétée de deux façons possibles (voir figure 30), ce phénomène, nommé bistabilité perceptive, est étudié depuis longtemps (Necker, 1832). Notre système perceptif, étant exclusif, ne pourra intégrer que l’une des possibilités. Un même élément ne peut avoir simultanément deux états spatio-temporels dans un même espace perceptif. Dans un des cas, l’élément sera intégré dans un premier espace perceptif cohérant avec un ensemble d’autres éléments et, dans l’autre cas, notre système perceptif l’intégrera dans un autre espace disjoint du premier.

Figure 20: Exemple de bistabilités perceptives célèbres.

L’ensemble de ces éléments nous amène à constater que nous ne pouvons percevoir qu’un seul espace perceptif à la fois, mais il peut exister simultanément, dans l’environnement, plusieurs espaces perceptifs disjoints et nous pouvons, plus ou moins consciemment, basculer de l’un à l’autre.

Cependant, le traitement des informations présentées dans un espace perceptif peut se faire au détriment d’un autre.

Ce phénomène de tunnel cognitif a été largement étudié dans la littérature et notamment par Yeh, Wickens et Seagull (1998) dans le cadre de la RA. Ces auteurs ont effectué une revue des études de ce phénomène dans le cadre de l’usage de HMD ou de HUD pour les pilotes de chasse. Les résultats de ces études montrent que le traitement des informations présentées dans le domaine proche (i.e fixées sur le HUD ou HMD) se faisait au détriment des informations du domaine lointain (l’environnement réel). Les auteurs ont proposé différentes hypothèses expliquant la cause de ce phénomène de tunnel cognitif. Par exemple, Levy, Foyle et McCann (1998) suggèrent que ce phénomène peut être le résultat des lois de la gestalt, et particulièrement des différences entre les deux domaines qui les empêchent d’être considérés comme un seul espace perceptif. Par ailleurs, Foyle, McCann, Sanford et Schwirzke (1993) considèrent que les difficultés de basculement attentionnel constatées peuvent être causées par le fait que les deux domaines s’appuient sur des référentiels différents (l’un egocentrique, l’autre exocentrique). Une des solutions envisagées est l’utilisation d’une « symbologie conforme » (conformal symbology) c'est-à-dire dont le comportement spatio-temporel est cohérent du référent réel. Il s’agit ici en fait d’éléments virtuels situés dans le référentiel monde (world-fixed selon la typologie de Feiner et al. (1993) et dont le comportement est similaire à celui de l’objet réel auquel ils sont associés. A l’instar du référentiel d’affichage des informations (HMD-fixed ou world-fixed) les auteurs ont aussi interrogé le rôle du type de restituteur sur ce phénomène de tunnel cognitif.

38

Malgré les avantages de la restitution monoculaire, il y a un risque important d’apparition de rivalité binoculaire. Le système visuel humain fonctionne à partir de la fusion de deux images (une provenant de chaque œil) en une perception cohérente et unifiée. Lorsque ce processus échoue, cela résulte en l’apparition d’une suppression monoculaire (une des deux images est ignorée) et l’image dominante perçue n’est issue que d’un œil et parfois de façon alternée sur le temps : c’est la rivalité binoculaire. Dans le cas de la RA, si l’image ignorée est celle de l’œil équipé du restituteur monoculaire, les éléments virtuels ne seront pas perçus et, par conséquent, la constitution d’un espace perceptif augmenté ne sera donc pas possible.

2.4.4 Conclusion

En synthèse, l’ensemble des éléments présentés dans cette section montrent que la simple superposition graphique d’élément virtuel sur un arrière plan visuel réel ne suffit pas à l’élaboration d’un espace perceptif unifié. En outre, l’utilisation d’une symbologie conforme réduit le phénomène de tunnel cognitif ce qui indique bien que le comportement spatio-temporel des éléments virtuels est essentiel dans les règles de constitution d’un espace perceptif augmenté cohérent. Par ailleurs, Le choix du type de restituteur peut influencer l’apparition du phénomène de rivalité binoculaire et donc impacter la constitution de l’espace perceptif. Cela rejoint l’idée que l’emploi d’un dispositif technique modifie notre couplage sensori-moteur d’où émerge la perception. Enfin, dernier point et non le moindre, les phénomènes de tunnel cognitif, bistabilité perceptive ou rivalité binoculaire indiquent tous la même chose : il peut y avoir simultanément plusieurs espaces perceptifs dans un même environnement et qui soient accessibles à la conscience de l’utilisateur grâce aux dispositifs de RA. En résumé, l’ensemble de ces observations permet de définir la RA comme désignant les dispositifs techniques permettant l’interaction avec plusieurs espaces perceptifs intégrants des éléments virtuels directement dans un environnement réel, sans nécessairement être fusionnés intégralement avec celui-ci. La section suivante va s’intéresser à l’évaluation ergonomique de la RA et à ses spécificités, au regard de la définition précédente. Cette dernière servira d’ailleurs de cadre d’analyse pour l’ensemble des travaux de thèse présentés ici.

39

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 38-41)