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Certes, beaucoup d’auteurs ont présenté Jacques Rivière comme un fidèle admirateur de l’art stravinskien ; toutefois, s’il demeure vrai que Le Sacre du printemps présente pour lui l’idéal esthétique à atteindre, sa foi s’est bel et bien arrêtée en 1913. Le Rossignol et Le Chant du Rossignol n’évoquent chez lui aucun enthousiasme particulier ; il y cherche un autre Sacre, mais se trouve sans cesse déconcerté par la brusque rupture esthétique qui advient chez le compositeur. « Après avoir écrit une œuvre qui était la réalisation magnifique d’une esthétique jusque-là embryonnaire et confuse, voici qu’il en écrit une autre pour démontrer cette esthétique, et pour la démontrer mot à mot, minutieusement, petitement, avec une application qui rappelle la façon écolière et indigente dont on la manifestait avant lui200. » Malgré sa déception croissante à l’égard de la musique de Stravinsky,

Rivière refuse de le remplacer sur l’autel de ses préférences esthétiques, et annonçant Cocteau, il affirme que « [l]’art nouveau doit être sec, net, étroit et mécanique201. » Il admettra malgré tout un

sentiment aigu de trahison qu’il étendra aussi au public de Stravinsky, et lui reprochera une trop grande intellectualisation, une froideur, une absence de pathétique que le passage net au néoclassicisme n’amoindrit pas. Néanmoins, la Première Guerre mondiale éclate quelques mois après la réception du Rossignol et met de côté, pour un temps, les préoccupations artistiques du jeune critique. Cette interruption obligée empêche de saisir l’œuvre critique de Rivière dans sa continuité, et donne l’impression d’un décalage entre les idées œuvrées par la NRF en 1909 et en 1919 ; et à l’heure des grandes querelles nationalistes, des grands combats idéologiques, Jacques Rivière promettra à nouveau « [a]ujourd’hui, plus que jamais, [qu’il a] l’intention de faire œuvre critique, c’est-à-dire de discerner, de choisir, de recommander202. »

2.10 RIVIÈRE À LA BARRE : LA LITTÉRATURE PENSÉE D’APRÈS STRAVINSKY

Dès 1919, c’est un Jacques Rivière davantage maître de lui-même et partisan de la demi-mesure qui s’engage dans la direction de La Nouvelle Revue française. Annonçant d’emblée son intention de « refaire une revue désintéressée203 » et de se poser en éclaireur esthétique, il poursuivra sa lutte contre

200 Jacques Rivière, « La saison russe : Le Rossignol. Opéra en trois tableaux d’Igor Stravinski d’après le

conte d’Andersen. Le Coq d’or. Opéra en trois tableaux de Rimski-Korsakov. – La légende de Joseph. Ballet en un acte de Richard Strauss sur un livret de Hugo von Hofmannsthal et du comte Harry Kessler (Opéra) »,

dans Études (1909-1924) : l’œuvre critique de Jacques Rivière à la Nouvelle revue française, op. cit., p. 260.

201 Ibid., p. 266.

202 Jacques Rivière, « La Nouvelle Revue française », dans Études (1909-1924) : l’œuvre critique de Jacques

Rivière à la Nouvelle revue française, op. cit., p. 34.

le symbolisme et « le lyrisme pur et inarticulé204 » en abandonnant entre autres sa fonction de critique

musicale à Boris de Schlœzer, nouvellement implanté en France et beau-frère d’Alexandre Scriabine, dont les textes critiques se dotent de la dimension technique qui manquait à Rivière. Tout comme ce dernier, Schlœzer milite pour une critique objective et claire, délivrée du poids des impressions personnelles et individuelles de son auteur, tout en conservant l’intention essentielle de vulgarisation qui demeurait une constante préoccupation chez Rivière. L’article qu’il publiera à propos du Sacre du

printemps dans le numéro de décembre 1923 dans La Revue musicale sera à ce titre emblématique, et

son étude de Stravinsky inspirera à son tour à Rivière la réponse appropriée à la crise du concept de littérature soulevée par le jeune écrivain Marcel Arland.

En février 1924, ce très jeune auteur publie un article à la NRF intitulé « Sur un nouveau mal du siècle » où il expose les problèmes dont souffre la littérature contemporaine et qui se résument, selon lui, par une crise morale générée par la disparition de Dieu et l’absence du sentiment d’absolu. « Arland a mis en cause la notion même de littérature en posant aux écrivains de la jeune génération : “Pourquoi écrivez-vous ?” qui révèle son désarroi devant la vie. […] Ils ne croient plus à la littérature et se réfugient dans des activités incantatoires d’où l’idée de beauté a disparu205. » En homme dont la

pensée a besoin du dialogue, Rivière fait paraître sa réponse immédiatement après son article et cherche à revenir sur sa pensée théorique et esthétique. Par le recours à la figure du Stravinsky du

Sacre, le directeur parvient à énoncer ses principes et offrir une solution pondérée pour mettre fin à

cette crise ; car les deux critiques, bien qu’appréhendant cette crise différemment, ne peuvent la nier : la société de l’après-guerre connaît de profonds bouleversements, et « l’hésitation qu’ils notent dans la vie littéraire n’en est que le reflet206. » Pour Arland, le conflit vient de ce que le mouvement Dada se

pose en littérature de fantaisie, de gestes et d’attitudes, et l’auteur en appelle à une littérature de la sincérité, gravitant autour du moi de l’auteur. En effet, pour ce dernier, l’acte littéraire devient un outil d’investigation personnelle mais éprouve aussi ses propres limites « parce qu’ainsi, elle est réduite à n’être qu’un outil servant à atteindre quelque chose qui la dépasse. Dieu est mort et a laissé une place vacante207. » Devant cette vacuité existentielle, la littérature de l’avenir, pour Arland, se destine à être

une littérature individuelle, puisqu’elle est expérience à travers la découverte de soi-même pour soi et vers les autres.

204 Ibid., p. 79.

205 Alain Rivière, « La Crise du concept de littérature », dans Études (1909-1924) : l’œuvre critique de Jacques

Rivière à la Nouvelle revue française, op. cit., p. 392. (Note en bas de page.)

206 Claude Lesbats, « La démarche excentrique de la NRF », art. cit., p. 828. 207 Ibid., p. 829.

Un tel projet esthétique ne peut que heurter Rivière dans ses conceptions de la littérature désormais absolument dégagées de toute forme de romantisme. S’il s’accorde avec Marcel Arland pour affirmer qu’il y a crise dans la littérature contemporaine, il récuse cette idée de « nouveau » mal du siècle ; pour Rivière, c’est encore le même, qui bat son plein depuis que la romantisme a fixé des objectifs mystiques et irréalistes à la littérature, et qui ne suscite en l’écrivain que le drame de son inadéquation. Pour lui, la crise cessera le jour où les écrivains auront apprivoisé leurs limites, et ramèneront de ce fait la littérature parmi les hommes. « Si le problème de la possibilité et des limites de la littérature revêt aujourd’hui un caractère si tragique, c’est à mon avis parce qu’il a pris la place et la forme du problème religieux208. » En effet, Rivière en perçoit la survivance chez Dada qui est, selon

lui, la prolongation directe du XIXe siècle, en ce qu’il ramène le moi créateur dans l’élaboration

d’images uniques, voire inusitées, vise un certain culte de la personnalité en se présentant comme une sorte de « corps glorieux » et ramène les ambitions métaphysiques au plan de la littérature. Or, dans ces circonstances, une œuvre ne peut plus être désintéressée.

Pour s’opposer aux considérations d’Arland, Rivière fait appel à Stravinsky pour illustrer la transposition du « moi » en l’œuvre d’art afin d’offrir une œuvre absolument désintéressée ; malgré son accueil mitigé des œuvres post-Sacre de Stravinsky, le critique a de nouveau recours à cette figure de proue du modernisme, sous la plume de quelqu’un d’autre cette fois, pour ramener l’intelligence dans la littérature et ouvrir la voie vers une sorte de classicisme moderne qui n’a cessé de l’habiter.

C’est en termes beaucoup plus positifs que M. Boris de Schloezer, dans un remarquable article de La

Revue musicale, définit l’apport de Stravinsky en musique ; mais ses constatations me semblent dans le

fond assez voisins de notre propos pour qu’il vaille la peine de la rapporter ici : « L’évolution de Stravinsky, à partir de Petrouchka, consiste, me semble-t-il, en la recherche d’un nouvel art musical – dynamique et objectif. Stravinsky s’oppose, tant au subjectivisme dynamique du romantisme, qu’au subjectivisme contemplatif et passif de l’impressionnisme. Depuis Beethoven, confession, expression et impression, l’art musical est toujours en fonction du moi, tout en élargissant les limites de ce moi presque à l’infini. Stravinsky réagit ; il veut retrouver le secret de l’art classique, de cet art qui introduit le mouvement dans les choses mêmes, qui saisit les choses directement et les recrée telles qu’elles sont, agissantes par elles-mêmes. Aujourd’hui que cet art dynamique et objectif existe, il peut nous sembler que le problème n’était pas si difficile à résoudre ; mais à l’époque où Stravinski composait Petrouchka et Le Sacre, tout dynamise retombait aussitôt dans l’ornière de l’expressionnisme, autrement dit : dans un art subjectif et émotif. » […] Et plus loin : « Il ne s’agit pas de descriptions ici, ni d’évocations par analogie, ni de nos états de conscience vis-à-vis des choses, mais d’une transposition musicale de la réalité vivante, agissante : les choses s’inscrivent ici “sub specie musicae”. […] [P]our un réaliste du type de Stravinsky, les choses, leurs rapports, leurs actions, possèdent une valeur sonore : on pourrait dire que le “moi” du compositeur n’intervient ici que pour opérer cette transposition aussi fidèlement que possible ; ce “moi” – c’est un lieu de passage où la réalité prend musicalement corps.”209 »

208 Jacques Rivière, « La Crise du concept de littérature », dans Études (1909-1924) : l’œuvre critique de

Jacques Rivière à la Nouvelle revue française, op. cit., p. 394.

Aux tourments romantiques du moi, il faut que l’œuvre vivante puisse naître d’une découverte qui serait tributaire d’un moi créateur « passeur » entre le réel et l’œuvre, un moi-creuset à travers lequel le réel prend musicalement corps mais qui n’intervient pas dans l’œuvre. Rivière écrit donc : « M. Schloezer parle ici des “choses” que Stravinski a voulu construire, transcrire, sans préciser à quel règne elles appartiennent ; mais il souligne avec une force précieuse la façon entièrement désintéressée dont le musicien s’offre à leur transposition210. » À l’idéal de franchise auquel Le Sacre

l’invitait à tendre, Rivière conjugue un idéal de désintéressement, notion-clé de la NRF de l’entre- deux-guerres, que soulignent les affirmations de Schlœzer, et qui annonce, d’emblée, une compréhension nouvelle, renouvelée du ballet de Stravinsky.

Si Le Sacre du printemps en 1913 a suscité chez lui une admiration sans borne, par la manière dont il épousait ses aspirations esthétiques, il est à nouveau utilisé pour illustrer l’absence de transcendance de l’œuvre d’art. Se référant alors à Boris de Schlœzer, qui partage dans l’après-guerre sa vision d’une musique immanente, Rivière arrive à consolider une démarche esthétique et critique qui est double. D’abord, l’emploi de la métaphore au sein même de son article sur Le Sacre du printemps permet, à lui et au public, de mieux voir et mieux recevoir l’œuvre, mais également le monde en proie à de nombreux changements épistémiques. Enfin, la musique de Stravinsky, désormais recevable et concevable, devient elle-même modèle conceptuel pour comprendre et illustrer les mouvements de la littérature de son temps, et de lui soumettre un exemple de désintéressement au service de l’intelligence. En somme, la démarche critique de Rivière se double d’une démarche cognitive par laquelle il parvient à comprendre le monde qui l’entoure : en ayant recours à la musique de Stravinsky comme métaphore conceptuelle – d’abord, en employant une métaphore culinaire pour comprendre la musique de Stravinsky, et ensuite utiliser cette dernière à son tour comme métaphore pour comprendre son temps –, Rivière illustre non seulement ses aspirations esthétiques, mais aussi identifie les changements paradigmatiques de son époque. La critique de Rivière se dote donc d’une dimension épistémologique importante et, même, transforme l’acte critique en ses bases ; car Rivière, « tout en étant tenté par l’inconscient et le transcendant[,] n’a jamais pu se passer de l’intelligence211. »

210 Ibid., p. 398.

Chapitre III

Cocteau ou la création de la norme : penser avec Stravinsky

Le romantisme oriental (malaise, secousses sauvages) se met au service de l’ordre latin.

Jean Cocteau

S

i la figure de Jean Cocteau fait figure d’enfant terrible dans de nombreuses disciplines telles le théâtre, la littérature, le cinéma et le dessin, ses contributions à l’univers musical – et musicologique – sont, pour la plupart, généralement passées sous silence et l’on attribue à la musique le rôle d’exception qui confirme la règle dans sa pratique de tous les arts. Bien que l’on ait pendant plusieurs années mépris la diversité de sa production pour un éclectisme excentrique, et que le poète ait souvent été ignoré, moqué et pris à la légère dans la construction d’une histoire littéraire, il n’en demeure pas moins que l’œuvre coctalienne détient un potentiel critique très intéressant, et que ses propos sur la musique témoignent d’une participation lucide aux débats esthétiques de son temps. Des périodiques récents ont consacré à Cocteau deux numéros spéciaux, lors du centième anniversaire de sa naissance en 1989 (Le Nouvel Observateur) ainsi que du cinquantième de sa mort en 2013 (Le Magazine

littéraire), permettant une réactualisation de son travail dont « [c]hercheurs et spécialistes n’ont pas

encore pu prendre toute la mesure212 » ; car la redécouverte de cette figure oubliée, qui dévoile une

mise en œuvre des principes esthétiques élaborés en son temps, entraîne une réévaluation de la production de Cocteau et met en lumière des pans que l’histoire aurait négligés. L’apport musicologique, ou musicographique selon le vocabulaire de l’époque, de l’écrivain est de ceux-là. Ses écrits sur la musique ont eu beau faire figure à de nombreuses reprises de lubies à la mode ou d’usurpations d’idées développés par le Groupe des Six, une relecture de ses textes phares (Le

Potomak, Le Rappel à l’ordre) en livre une toute autre impression, et l’importance de Cocteau dans

l’élaboration d’une esthétique musicale aux préoccupations nationales, voire nationalistes, devient donc aisément compréhensible. Ne bénéficiant d’aucune formation musicale malgré une enfance baignée de spectacles et de musique (son grand-père accueillait un quatuor à cordes en résidence chez lui), Cocteau collaborera tout au long de sa vie à l’élaboration et à la diffusion de pièces musicales innovatrices, tout en jouant du piano à l’oreille et, de temps à autres, de la batterie dans les clubs jazz alors en pleine expansion. Dans sa thèse consacrée à l’avènement du néoclassisme dans la critique

212 David Gullentops et Juliette Einhorn, « La constellation Cocteau », dans Le Magazine littéraire, n° 536

française, Thomas Patrick Gordon soutient que « [o]nly in music did he find impossible to fulfill his first-person imperative to create. In music he was forced to live a surrogate life, finding the realization of his ideals in the creation of others. As a poet, he exercized his musical mission in criticism and collaborations213. » S’il n’est guère compositeur et que Valentine Hugo le considérait musicalement

ignare214, il n’en demeure pas moins que la participation active de Cocteau dans le milieu musical et

les nombreuses relations qu’il y entretient contribueront aux fondements d’une nouvelle musique française.

Le Coq et l’Arlequin, publié en 1918, sera à la fois la pierre angulaire et l’aboutissement des

enjeux esthétiques auxquels sont confrontés les créateurs français des années 1910. Appelant à une francisation de la musique par le rejet d’influences étrangères et par un retour aux qualités classiques que Cocteau attribue à l’esthétique spécifiquement française (le dépouillement, la sobriété, la clarté et la simplicité), l’opuscule se veut une réponse à Parade, son ballet élaboré en collaboration avec Erik Satie et Picasso, en même temps que la proposition d’une nouvelle conception de l’art. Œuvre charnière dans la pensée coctalienne, ces « notes sur la musique » succèdent également au Potomak, rédigé entre 1914 et 1917, et participent de l’évolution esthétique de Cocteau en commandant une nouvelle orientation artistique à emprunter. Préférant désormais la musique dépouillée d’Erik Satie à celle, fauve et bariolée, du Sacre du printemps qui avait pourtant occasionné chez lui sa première – et plus importante – épiphanie esthétique, Cocteau parvient, par la rédaction de ces aphorismes, à énoncer non seulement sa vision de la musique mais aussi celle de toute une génération d’artistes dont fera partie, quelques années plus tard, Stravinsky lui-même. Sans avoir la prétention d’un traité philosophique ni être, comme on l’a souvent pensé, le manifeste du Groupe des Six, Le Coq et

l’Arlequin porte sur son temps un regard lucide, témoignant d’une véritable compréhension des

enjeux esthétiques contemporains, et amène Georges Auric à affirmer que « pour ceux d’entre nous qui virent naître Le Coq et l’Arlequin, ces “notes autour de la musique” apparaissent en même temps comme des notes autour des années où elles étaient rédigées215. » Pourtant, Cocteau n’est pas

théoricien ni philosophe, et plusieurs vont même jusqu’à déplorer son éclectisme artistique facilement mépris pour une grande frivolité ; cependant, la justesse de ses prédictions esthétiques et la nature de sa production, tous genres confondus, indiquent une lecture fine et parfaitement intuitive du réel qui l’entoure, et révèlent en ce sens la double-posture de l’écrivain dès ses premières productions :

213 Thomas Patrick Gordon, « Stravinsky and the New Classicism : a Critical History, 1911-1928 », thèse de

doctorat dactylographiée, Toronto, University of Toronto, 1983, f. 105-106.

214 Éveline Hurard-Viltard, Le Groupe des Six ou le matin d’un jour de fête, Paris, Klincksieck, 1987, p. 34. 215 Georges Auric, « Préface », dans Jean Cocteau, Le Coq et l’Arlequin. Notes autour de la musique, Paris,

Cocteau est à la fois le produit et le miroir d’une époque en pleine ébullition. Cocteau, nous l’avons mentionné, ne se targue pas d’être un théoricien : « [s]on analyse, le plus souvent, s’inscrit dans un élan d’admiration, voire d’amour216 », et cette humilité lui permet de demeurer perméable à l’esprit du

temps qu’il capte et traduit parfaitement. Éveline Hurard-Viltard parle d’ailleurs d’une faculté de fixation des choses, voire d’une explicitation de l’implicite : « il a eu assez d’intelligence et d’intuition pour comprendre ce qui se passait, y participer, préciser des choses qui, sans lui, seraient restées implicites sans que personne en prenne clairement conscience et, ce faisant, aider les artistes à faire en connaissance de cause ce qu’ils voulaient faire instinctivement217. » La force de Jean Cocteau réside

donc dans son extrême sensibilité au monde, mais les outils qu’il favorise pour diffuser ce qu’il en comprend, à travers la panoplie de moyens que ses nombreux talents lui offrent, sont les mots, des phrases lapidaires, puissantes et assumées qui énoncent en quelque sorte les « points de repère » d’une nouvelle esthétique dont la musique, à l’instar des autres arts, doit impérativement s’inspirer.

Le Coq et l’Arlequin est tout d’abord une œuvre littéraire du genre pamphlétaire et une prise de position

dans un milieu artistique où se mêlent la littérature, la musique et la peinture. Le langage qui fourmille de métaphores et d’images et la rhétorique soignée en soulignent le côté littéraire alors que les formules d’une netteté et d’une simplicité parfois choquantes font ressortir son caractère de pamphlet. On n’y trouve ni argumentation ni analyse méticuleuse, mais des affirmations provocatrices, paradoxes et constations en raccourci qui témoignent d’une vivacité d’esprit, d’un souci d’actualité et d’une volonté de parti pris218.

Car c’est en homme de lettres que Cocteau parle de musique, en s’interdisant lui-même la légitimité à laquelle sa clairvoyance esthétique lui donnerait droit, et en n’osant s’arroger les termes savants du discours musicologique, qui d’ailleurs lui échappent. « Depuis que je parle musique, j’évite ce qui ne