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Rôle des transporteurs de peptides dans la survie et la virulence de Listeria

C. Les transporteurs de peptides : les mécanismes non élucidés

4) Rôle des transporteurs de peptides dans la survie et la virulence de Listeria

L. monocytogenes est une bactérie pathogène à Gram positif, responsable du déclenchement de la listériose humaine. La transmission de cette maladie se fait essentiellement par l'alimentation, et est particulièrement grave chez les sujets dont le système immunitaire est perturbé : personnes âgées, femmes enceintes, nouveau-nés, personnes immunodéprimées. Une caractéristique importante de L. monocytogenes est sa capacité à se développer dans des environnements dits hostiles, par exemple à des températures avoisinant 0°C, ou dans des aliments à haute teneur en sel. Cela implique notamment que dans un aliment contaminé, même si la population bactérienne est faible au départ, elle est susceptible d’augmenter lors de l’entreposage et de la distribution.

Deux transporteurs de peptides ont été caractérisés chez L. monocytogenes, un système OppABCDF et une protéine DtpT dont les spécificités de substrat ont été étudiées (Verheul et al. 1995 et 1998; Borezée et al. 2000) : elles permettent respectivement le transport de peptides de 3 à 8 acides aminés et des di, tripeptides. L’implication de ces transporteurs dans plusieurs phénomènes a ensuite été montrée.

a. Les transporteurs de peptides de L. monocytogenes : un atout pour la croissance en environnement hostile

L. monocytogenes est une espèce bactérienne psychrophile, capable de se développer à des températures basses. Les raisons de cette tolérance importante au froid ne sont pas encore totalement comprises. Plusieurs études ont cependant permis de mettre en avant des hypothèses pouvant expliquer ce phénomène. Parmi elles on peut citer notamment l’induction d’une série de protéines appelées Csps (Cold shock proteins) lors d’une exposition au froid, dont le mode d’action est mal compris mais qui permettraient à la bactérie de survivre à la congélation (Bayles et al. 1996). Une autre explication serait que L. monocytogenes peut accumuler dans son cytoplasme de petites molécules appelées osmolytes (glycine betaïne, proline, carnitine…) ayant des propriétés cryoprotectrices, mais aussi protectrices vis-à-vis d’une forte pression osmotique, notamment lors de la croissance dans un milieu à haute teneur en sel (Bayles et Wilkinson 2000).

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Borezée et ses collaborateurs ont montré en 2000 qu’un mutant oppA- était incapable de se développer en milieu riche (BHI) à 5°C contrairement à la souche sauvage, alors que la croissance des deux souches est identique à 37°C. L’étude de l’expression de ce transporteur révèle en outre qu’oppA est plus exprimé à basse température qu’à 37°C, ce qui a également été décrit chez B. subtilis pour laquelle on observe une induction des systèmes opp et app lors de la croissance à 15°C (Budde et al. 2006). Le système Opp de L. monocytogenes est donc un facteur important d’adaptation au froid. Une hypothèse pour expliquer ce phénomène serait qu’Opp, par exemple en internalisant une phéromone, pourrait indirectement contrôler la synthèse des protéines de choc au froid Csps. Cette hypothèse est cependant peu probable dans la mesure où il a été montré que l’expression de deux protéines Csps connues, CspL et CspB, est inchangée dans le mutant oppA- (Borezée et al. 2000). Une autre explication possible serait qu’Opp permet l’entrée de peptides cryoprotecteurs présents dans le milieu de culture.

Un lien entre transport de peptides, cette fois par la protéine DtpT, et la résistance de L. monocytogenes à la pression osmotique (haute concentration en sel) a également été recherché (Wouters et al. 2005). Il a été mis en évidence que dans un milieu à haute teneur en sel (10%) supplémenté en dipeptides riches en glycine et en proline (osmolytes potentiels), la souche sauvage se développe mieux qu’un mutant dtpT-. Cet effet n’est pas observable sans ajout de dipeptides, ce qui montre que le caractère osmoprotecteur de DtpT est lié à sa capacité à transporter les osmolytes du milieu.

Opp et DtpT ont été respectivement montrés comme impliqués dans la cryorésistance et l’osmorésistance de L. monocytogenes. Dans les deux cas, l’hypothèse privilégiée pour expliquer ces phénomènes est que les transporteurs de peptides permettent l’entrée de peptides osmolytes capables de protéger la bactérie des stress environnementaux. Ainsi il semble fort probable concernant la résistance au froid, que dans un milieu contenant un ensemble de peptides riches en glycine et proline, on puisse également observer un effet de DtpT. Et inversement, concernant la résistance au choc osmotique, on peut supposer qu’Opp a également un effet protecteur si l’on ajoute des oligopeptides dans le milieu à la place des dipeptides. Les deux transporteurs de peptides auraient donc un rôle complémentaire et il serait alors intéressant de mesurer l’effet d’un double mutant opp,dtpT-. Ces hypothèses restent cependant à tester. On pourrait également élargir ces résultats à d’autres milieux plus « naturels ». En effet, L. monocytogenes étant un contaminant alimentaire particulièrement redouté, il serait intéressant de voir si ces phénotypes se retrouvent par exemple lors de la

croissance dans les fromages. En effet la caséine ß, naturellement présente dans le lait et qui est la caséine la mieux clivée par les levains, est très riche en proline. Les fromages sont donc susceptibles de contenir de nombreux peptides riches en proline. Les transporteurs de peptides pourraient alors constituer des cibles particulièrement intéressantes pour empêcher le développement de L. monocytogenes dans ce type de denrées « sensibles » à la contamination.

b. Les transporteurs de peptides de L. monocytogenes et leur impact lors de l’infection

Le rôle du transporteur Opp de L. monocytogenes in vivo a été étudié dans un premier temps sur un modèle murin d’infection par injection en intraveineuse de 8.105 bactéries sauvages ou mutantes oppA-. Au bout de 14 jours, aucune différence de survie n’a été observée entre les souris infectées par la souche sauvage ou la souche mutante, indiquant que la virulence globale de la bactérie n’est pas affectée. En revanche le dénombrement des bactéries dans différents organes montre une croissance retardée du mutant oppA- dans le foie et la rate des animaux infectés (environ 10 et 100 fois plus de bactéries sauvages respectivement dans la rate et le foie que de bactéries oppA- au bout de 2 jours). Ce ralentissement du cycle d’infection a également été observé dans un modèle in vitro de macrophages issus de mœlle osseuse de souris, dans lesquels le mutant présentait des vitesses d’échappement du compartiment phagosomal puis de croissance intracellulaire ralenties par rapport à celles observées pour la souche sauvage (Borezée et al. 2000). En conclusion, le système Opp de L. monocytogenes semble favoriser la prolifération bactérienne lors de l’infection sans toutefois jouer un rôle significatif sur la virulence globale de la bactérie à long terme. Les raisons du ralentissement de la vitesse de prolifération dans les organes du mutant oppA- ne sont pas connues, mais on peut supposer qu’il est lié à un moins bon approvisionnement en nutriments azotés ou /et une dérégulation de l’expression de certains gènes liée à des phénomènes de type quorum sensing ou perception de l’environnement.

L’impact du deuxième transporteur de peptides de L. monocytogenes, la protéine DtpT, lors du processus infectieux a été également étudié (Wouters et al. 2005). Le modèle utilisé est une infection de souris par injection intraveineuse de 103 bactéries (dose sublétale) sauvages ou mutantes dtpT- . Le suivi de l’infection a été ensuite effectué par dénombrement de L. monocytogenes dans le foie et la rate jusqu’à 5 jours post-injection. Après 4 jours, une différence faible mais significative a pu être observée entre la souche sauvage et le mutant

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dans les deux organes (environ 4 et 2 fois plus de bactéries sauvages que de bactéries dtpT- respectivement dans la rate et dans le foie). A noter toutefois qu’en raison de la faible dose de bactéries inoculées, les souris ont progressivement éliminé le pathogène (quasiment plus de bactéries dans les organes à 5 jours) et qu’une éventuelle différence de létalité entre les deux souches n’a pas pu être testée. La croissance de la bactérie sauvage et du mutant dtpT- a également été suivie par un modèle in vitro de macrophages murins mais n’a révélé aucune différence (Wouters et al. 2005).

Les transporteurs de peptides Opp et DtpT de L. monocytogenes ont tous deux un rôle dans la dissémination de la bactérie dans les organes, avec cependant un effet qui malgré les différences dans le modèle d’infection, semble plus marqué concernant Opp. Cependant leur implication respective n’est pas assez importante pour jouer significativement sur la virulence globale de la bactérie. On peut cependant penser qu’il existe un effet compensatoire entre l’un et l’autre de ces systèmes qui masquerait l’importance globale du transport de peptides lors de l’infection et il serait alors intéressant de tester la virulence d’un double mutant opp, dtpT-.