• Aucun résultat trouvé

L’induction des gènes de virulence de Bacillus thuringiensis

B. Les transporteurs de peptides et leur rôle dans la communication

4) L’induction des gènes de virulence de Bacillus thuringiensis

a. La virulence de B. thuringiensis

B. thuringiensis est une bactérie sporulante à Gram positif, pathogène des insectes. Elle appartient au groupe B. cereus qui comprend notamment les espèces B. cereus, pathogène alimentaire opportuniste, et B. anthracis dont les toxines sont responsables de la maladie du charbon, avec lesquelles elle partage de hauts degrés de similitude de séquence chromosomique. Leurs spécificités respectives (hôte et maladies provoquées) sont essentiellement dues à la présence ou non de gènes plasmidiques (Rasko et al. 2005).

Le pouvoir pathogène de B. thuringiensis est en partie lié à la production de cristaux protéiques, les toxines Cry, dont les gènes sont portés par des plasmides et qui sont spécifiquement actives contre les larves d’insectes. Outre ces toxines, B. thuringiensis produit un certain nombre de facteurs de virulence potentiels tels que des phospholipases (PlcA et PlcB), des entérotoxines et des hémolysines (HblC, Nhe). La transcription des gènes codant ces facteurs est activée par le régulateur pléiotrope PlcR, qui est spécifique du groupe B. cereus, et qui va se fixer sur une séquence consensus (TATGNAN4TNCATA), la « PlcR

box » située en amont des promoteurs des gènes cibles (Agaisse et al. 1999). Au total, une quinzaine de gènes ont été montrés comme appartenant au régulon plcR, dont le gène plcR

lui-même ce qui implique que ce régulateur est capable de s’autoinduire (Lereclus et al. 1996).

b. L’activation de PlcR par un peptide signal

Gominet et ses collaborateurs en 2001 ont montré par mutagenèse insertionnelle aléatoire qu’une perméase Opp était impliquée dans l’induction de l’expression de plcR ainsi que dans l’expression des autres gènes de son régulon. Il a alors été suggéré que l’activation de PlcR soit sous la dépendance d’un phénomène de type quorum sensing impliquant l’import d’un peptide signal. Le mécanisme complet (Fig. 26) a ensuite été élucidé en 2002 par Slamti et Lereclus qui ont émis l’hypothèse qu’un petit gène, situé juste en amont de plcR et codant un peptide de 48 acides aminés possédant un peptide signal de sécrétion, puisse être impliqué dans l’activation de PlcR. Un mutant de ce petit gène présente les mêmes phénotypes qu’un mutant plcR- (baisse drastique de l’expression des gènes du régulon plcR, atténuation de la virulence contre les insectes). Le peptide codé par ce gène, appelé PapR (Peptide activating PlcR) est donc vraisemblablement impliqué dans l’activation de PlcR. L’ajout dans le surnageant de culture de peptides synthétiques de différentes tailles correspondant à l’extrémité C-terminale du peptide PapR montre qu’il faut au minimum un pentapeptide (LPFEF) pour complémenter les phénotypes de mutants papR-. Le peptide PapR subit donc certainement deux modifications après sa synthèse : le clivage de son peptide signal puis une maturation supplémentaire par une protéase extracellulaire non identifiée qui libère un pentapeptide actif (Fig.26). Ce peptide présente un mode d’action intracellulaire puisque la production d’un pentapeptide synthétique à l’intérieur de la cellule complémente également les phénotypes des mutants, ce résultat étant cohérent avec les phénotypes observés chez le mutant opp-. Il a également été montré in vitro que la présence de PapR à un ratio 1/1 était indispensable pour que la protéine PlcR purifiée se fixe efficacement sur un fragment d’ADN correspondant à la « PlcR box ». Cela montre donc qu’il existe une interaction directe entre PapR et la protéine PlcR, augmentant l’affinité de cette dernière pour sa cible d’ADN, probablement par changement de conformation (Slamti et Lereclus 2002).

L’activation de PlcR est donc permise par un système d’export puis d’import via Opp du peptide signal PapR. In vivo, PlcR est induit en début de phase stationnaire, c'est-à-dire à haute densité bactérienne (Slamti et Lereclus 2002). On peut donc supposer que pour être réimporté PapR doit atteindre une concentration extracellulaire seuil nécessitant une haute

Membrane cytoplasmique Int. Ext. Peptide actif PapR Prépropeptide PapR (48 aa) Propeptide PapR 3. Maturation

Opp

4. Réinternalisation 5. Fixation de PapR sur PlcR et activation du régulateur 2. Sécrétion 1. Synthèse de la phéromone 6. Fixation de PlcR sur une « PlcR box » et induction de l’expression des gènes du régulon papR

+

Virulence (plcA, hblC…) PlcR TATGNAN4TNCATA

+

plcR

+

PlcR

Fig.26 : Mécanisme d’induction de l’expression des gènes du régulon plcR de B. thuringiensis.

densité de population. Ce phénomène s’apparenterait donc bien à du quorum sensing au sens strict.

On peut noter de plus que les gènes plcR et papR sont également présents et fonctionnels chez B. cereus et que PlcR régule l’expression des mêmes gènes cibles que B. thuringiensis. Il est donc très probable, même si aucune expérience à ce sujet n’a été effectuée sur cette bactérie, que le phénomène de communication par PapR décrit précédemment soit transposable à B. cereus. En revanche, une mutation dans le gène plcR de B. anthracis empêche la synthèse du régulateur transcriptionnel (Slamti et Lereclus 2005).

Des tests d’activation croisés entre phéromones PapR et régulateurs PlcR de plusieurs souches du groupe B. cereus ont permis de montrer ainsi qu’il existait une spécificité d’activation selon les souches, déterminée par le premier résidu du pentapeptide (Slamti et Lereclus 2002). Ainsi il existe 4 groupes distincts de phéromone PapR, associés chacun à un régulateur PlcR. Aucune activation croisée entre phéromone et régulateur de groupe différents n’est possible ce qui souligne la grande spécificité de l’interaction entre la phéromone et son régulateur (Slamti et Lereclus 2005).

c. Un système Opp spécifique ?

Le système Opp caractérisé précédemment permet donc l’entrée du peptide PapR. Ce même transporteur semble également impliqué dans un autre phénomène puisque le mutant opp- présente un défaut important de sporulation en milieu de laboratoire LB. Cependant ce phénotype semble milieu-dépendant puisque dans un milieu chimiquement défini aucune différence de sporulation n’est observée (Gominet et al. 2001). Par analogie avec B. subtilis, on peut alors penser que ce système Opp permet l’entrée d’une phéromone type Phr qui agirait sur le régulateur Spo0A, présent également chez B. thuringiensis. L’absence de phénotype en milieu chimiquement défini pourrait s’expliquer par exemple, par une expression très faible dans ce milieu du transporteur Opp mis en évidence. Un autre transporteur de peptides prendrait alors le relais et assurerait le transport de la phéromone dans ces conditions.

Il faut noter en effet, que les souches de B. thuringiensis séquencées possèdent dans leurs génomes un nombre exceptionnel de transporteurs de peptides Opp putatifs. Ainsi par analyse bioinformatique on peut trouver sur le chromosome 6 opérons opp complets (oppA,B,C,D,F), 10 gènes codant des OppA putatives indépendantes, plus des gènes codant

- 43 -

des OppA supplémentaires sur plasmide. Devant un nombre si important de transporteurs il est intéressant de constater qu’aucun des autres systèmes ne peut compenser la mutation d’un seul Opp en ce qui concerne l’import du peptide PapR. Cela suggère une spécialisation fonctionnelle de ces systèmes comme chez E. faecalis.

Aucune étude n’a été effectuée concernant l’import de peptides nutritionnels. Il serait cependant intéressant de déterminer lequel ou lesquels de ce(s) système(s) est impliqué dans cette fonction. On peut supposer qu’un autre système que celui identifié par le transport de PapR soit impliqué dans la nutrition. Dans ce cas, la multiplication de ces transporteurs chez B. thuringiensis pourrait s’expliquer par une spécialisation des Opp, chacun ayant sa fonction propre avec une affinité de substrat adaptée (large pour les transporteurs dédiés à la nutrition, restreinte mais efficace pour les transporteurs de phéromone). Une autre hypothèse pourrait être qu’il y ait une redondance fonctionnelle entre les différents systèmes mais qu’ils présentent des conditions d’expression et des régulations spécifiques à chacun. Finalement la réalité se place peut être entre les deux : des groupes de systèmes ou de protéines de fixation spécialisés dans une fonction précise mais ayant au sein du groupe des conditions d’expression différentes.