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Les systèmes Opp : une organisation génétique variable

B. Les ABC-transporteurs de peptides bactériens Opp

5) Les systèmes Opp : une organisation génétique variable

Le système Opp bactérien « modèle » est constitué des cinq protéines décrites précédemment, dont les gènes sont codés en opéron dans l’ordre oppABCDF. On peut observer cependant de nombreuses particularités dans l’organisation génétique de ces systèmes selon les bactéries considérées. Par exemple, l’ordre des gènes de l’opéron peut varier et/ou les gènes codant pour le système Opp peuvent être co-transcrits avec d’autres gènes. Ainsi, le système opp de L. lactis est dans l’ordre oppDFBCA et est transcrit en opéron avec le gène pepO, codant une endopeptidase (Fig. 11). Dans le paragraphe qui suit, nous verrons l’organisation génétique de différents opérons opp du monde bactérien.

a. oppA : un gène transcrit en large excès

Chez de nombreuses bactéries, même si un transcrit de l’opéron opp entier est détecté, un transcrit du gène oppA seul est également produit. Dans le cas par exemple de Listeria monocytogenes, la présence d’un terminateur juste après le gène oppA, premier gène de

Listeria monocytogenes

oppA oppB oppC oppD oppF

Lactococcus lactis

oppD oppF oppB oppC oppA pepO

Fig.11 : Organisation génétique des systèmes Opp de L. lactis et L. monocytogenes: une transcription d’oppA indépendante .

Les doubles flèches représentent les différents transcrits ayant été obtenus expérimentalement, celles en gras indiquent une plus forte transcription du gène souligné dans les différentes conditions testées.

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l’opéron oppABCDF, explique une transcription très majoritaire de la protéine de fixation seule par rapport à celle de l’opéron entier lors de la croissance en milieu riche (Borezee et al. 2000) (Fig. 11). Chez L. lactis entre autres, le gène codant la protéine de fixation se trouve à la fin de l’opéron et possède son propre promoteur, ce qui conduit là aussi à une plus forte transcription d’oppA par rapport au reste de l’opéron dans les conditions testées (Tynkkynen et al. 1993 ; Guédon et al. 2001a) (Fig.11).

On peut supposer que l’abondance relative de protéines de fixation par rapport au reste du translocon vise à améliorer le transport d’une part en augmentant la probabilité de fixer un substrat et d’autre part en augmentant l’efficacité du transporteur puisque lorsqu’une (ou plusieurs) protéine(s) de fixation est engagée avec le translocon, les autres continuent à fixer leur substrat. Cette seconde hypothèse repose cependant sur le fait que l’étape de fixation serait limitante dans le processus de transport. Or Picon et ses collaborateurs ont montré en 2000 chez L. lactis qu’en augmentant de huit fois l’expression d’OppA, la capacité à lier un peptide était très augmentée mais que le transport global du peptide n’était que modérément amélioré (environ 40%). L’excès de protéines de fixation ne permettrait donc d’améliorer le transport que jusqu’à un seuil, atteint rapidement, et à partir duquel on arrive à la saturation du translocon.

b. Plusieurs protéines de fixation et plusieurs transporteurs Si pour tous les systèmes Opp bactériens caractérisés on trouve un gène codant une protéine de fixation en opéron avec les autres gènes du système, il est fréquent de trouver également dans le génome une ou plusieurs copies indépendantes de gène oppA supplémentaire fonctionnant avec le même transporteur. Les analyses d’expression et de la spécificité de substrat des différentes copies d’OppA chez plusieurs bactéries ont permis de mieux appréhender les raisons d’une telle multiplicité.

Un des cas les plus extrêmes en terme de nombre de protéines de fixation de peptides se trouve chez la bactérie Borrelia burgdoferi, bactérie pathogène à Gram négatif transmise à l'homme par l'intermédiaire de tiques vectrices et responsable de la maladie de Lyme. Elle possède en effet, trois gènes oppA en opéron et deux gènes oppA indépendants portés sur un plasmide (Bono et al. 1998) (Fig. 12). Les cinq protéines de fixation codées par ces gènes sont fonctionnelles, présentent des pourcentages d’identité protéique élevés variant de 44 à 64% (Tableau 3) et ont des spécificités de substrat en partie recouvrantes mais avec des

oppA II

oppA I oppA III oppB oppC oppD oppF

oppA IV oppA V

Fig.12 : Plusieurs protéines de fixation pour un même transporteur, quelques exemples. Les flèches indiquent la présence d’un promoteur.

d’après Monnet 2003 Borrelia burgdoferi Streptococcus gordonii hppB hppA hppG hppH optA

optS oppB oppC oppD oppF

Lactococcus lactis

oppD oppF oppB oppC oppA pepO

100 52 50 51 44 OppAV 100 59 64 54 OppAIV 100 60 52 OppAIII 100 56 OppAII 100 OppAI OppAV OppAIV OppAIII OppAII OppAI

Tableau 3 : Pourcentages d’identité protéique entre les différentes copies d’OppA d’une même espèce bactérienne 65 HppH 68 HppG HppA

Borrelia burgdoferi Streptococcus gordonii

100 52.5 37 OptS 100 34 OptA 100 OppA OpptS OptA OppA Lactococcus lactis

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préférences distinctes (Lin et al. 2001 ; Wang et al. 2002). Une étude de l’expression de ces cinq OppA a permis de montrer qu’elles sont transcrites sous l’action de leur promoteur propre et qu’elles répondent différemment selon les conditions environnementales (Wang et al. 2002). Ainsi, l’expression des gènes oppAI et oppAIV est induite par des concentrations croissantes en ammonium, alors que des changements de température affectent plus particulièrement l’expression d’oppAV. De même, l’expression des 5 protéines de fixation est régulée différemment selon l’hôte considéré c'est-à-dire souris et tiques nourris ou non. Deux régulateurs transcriptionnels ont été identifiés (un homologue du régulateur BosR/Fur et EbcF) contrôlant respectivement l’expression d’oppAIV et oppAV mais pas des autres protéines de fixation. Cela confirme que les gènes codant ces protéines sont régulés indépendamment (Medrano et al. 2007). L’ensemble de ces résultats permet donc de mettre en évidence des régulations différentes des 5 copies d’oppA qui ne sont donc pas induites dans les mêmes conditions. La multiplicité de ces protéines de fixation pourrait ainsi être un des facteurs visant à améliorer les capacités d’adaptation de B. burgdoferi face aux changements environnementaux, favorisant ainsi son développement dans différentes niches.

Un autre exemple de multiplicité de protéine de fixation est le système Hpp de Streptococcus gordonii dont le génome possède deux exemplaires de gène codant une protéine de fixation des peptides, hppG et hppA en amont de l’opéron, plus une copie supplémentaire hppH située ailleurs sur le chromosome (Jenkinson et al. 1996) (Fig.12). Là encore les séquences codant les protéines sont proches (plus de 60% d’identité protéique). Il a été montré que HppA et HppH sont essentielles au transport des oligopeptides, contrairement à HppG. Les auteurs suggèrent alors que, même si les deux protéines HppA et HppH peuvent fixer indépendamment les peptides, la formation d’un complexe de l’une avec l’autre et/ou avec les protéines transmembranaires est indispensable au transport. Dans ce cas, l’association d’au moins deux protéines affines différentes serait nécessaire pour constituer une architecture globale du système permettant un transport efficace.

Enfin, nous prendrons pour dernier exemple L. lactis qui possède deux systèmes ABC de transport d’oligopeptides : Opp et Opt, ce dernier ayant deux gènes codant les protéines de fixation optA et optS transcrits d’une part en opéron optSABCDF mais aussi indépendamment, sous l’action de leur propre promoteur (Lamarque et al. 2004) (Fig.12). Si les deux protéines de fixation d’Opt sont relativement proches (52.5% d’identité protéique), elles sont cependant très différentes de la protéine OppA (Tableau 3). L’étude de la spécificité de substrat des 3

protéines de fixation de peptides de L. lactis révèle des différences très importantes. En effet, OppA de L. lactis présente une spécificité très large, atypique au sein des systèmes Opp, puisqu’elle peut transporter des peptides allant de 4 à 35 acides aminés (Doeven et al. 2004). La spécificité d’OptA est quant à elle beaucoup plus restreinte, puisqu’elle transporte des peptides de 3 à 6 acides aminés parmi lesquels on peut observer un recouvrement de spécificité avec OppA (Lamarque et al. 2004). Enfin, la protéine OptS ne serait impliquée que dans le transport de certains dipeptides (Lamarque et al. soumis). Se pose alors la question de l’intérêt pour la bactérie de multiplier à la fois les systèmes et les protéines de fixation. En effet, même si chez les souches de laboratoire étudiées, MG1363 et IL1403, des mutations conduisent respectivement à la non-fonctionnalité d’Opt et d’Opp, d’autres souches de L. lactis expriment les deux systèmes alors que l’analyse du transport des peptides suggère un large recouvrement de leur spécificité (Lamarque et al. 2004). La présence d’OptS est d’autant plus intrigante étant donné sa spécificité très réduite et la présence chez cette bactérie d’un système DtpT qui prend également en charge des di et tripeptides. Pourquoi la cellule possède-t-elle plusieurs systèmes, qui peuvent apparaître comme redondants et dont la synthèse est coûteuse en énergie ?

L’ensemble des exemples développés met donc en évidence une multiplicité, au sein d’une même souche, des systèmes Opp et/ou des protéines de fixation OppA. Si la régulation différentielle des copies de ces transporteurs pourrait constituer un moyen d’adaptation à des niches spécifiques, la question de l’intérêt de cette multiplicité reste posée, notamment lorsque l’on observe un recouvrement de spécificité. L’étude des fonctions de ces systèmes d’import qui sera développée dans le prochain chapitre va permettre de répondre en partie à cette question. Nous verrons en effet que les transporteurs de peptides peuvent exercer des rôles variés dans la vie cellulaire.

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