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Rôle du pH des cellules cancéreuses

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Le milieu intracellulaire alcalin et l’environnement extracellulaire acide des cellules cancéreuses sont favorables à la croissance tumorale et au développement de métastases par de nombreux mécanismes.

1.

Rôle du pH intracellulaire

La démonstration du rôle du pH intracellulaire dans la prolifération cellulaire a été faite lors d’une acidification intracellulaire de 7,1 à 4,8. Suite à cette acidification intracellulaire, moins de 0,1 % des cellules survivent après 30 minutes (Pouyssegur et al., 1984). Ces études ont été précisées dans des cellules cancéreuses où un pHi inférieur à 6, diminue la survie des cellules

(Rotin et al., 1987). Ceci démontrant l’effet toxique d’un pH intracellulaire acide. Le pH intracellulaire alcalin des cellules cancéreuses est donc favorable à leur prolifération et à leur survie en réduisant l’apoptose associée à l’acidification intracellulaire (Lagadic-Gossmann et

al., 2004; Matsuyama et al., 2000). L’alcalinisation intracellulaire favorise également la

glycolyse en augmentant l’activité d’enzymes de la glycolyse et de la néoglucogenèse (Dietl

et al., 2010; Kuwata et al., 1991; Peak et al., 1992). Le métabolisme glycolytique des cellules

cancéreuses produit une grande quantité d’acides (lactiques et carboniques) capables d’augmenter la glycolyse et donc d’aboutir à une boucle stimulant la glycolyse pour produire encore plus de protons. La cofiline, protéine jouant un rôle dans la dynamique de polymérisation et de dépolymérisation de l’actine, présente une activité augmentée à pHi

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alcalin (Frantz et al., 2008). Une autre protéine de liaison à l’actine et régulatrice de la formation des filaments d’actine, la gelsoline, présente une activité augmentée à pHi acide

(Lamb et al., 1993). L’observation d’un gradient de pH intracellulaire dans les cellules cancéreuses a permis de proposer que les protéines de liaison à l’actine actives à pH alcalin (telles que la cofiline), régulent la polymérisation de l’actine au bord avant des cellules et que celles qui sont actives à pH acide (telles que la gelsoline) régulent le recyclage de l’actine à l’arrière des cellules. Ceci participerait ainsi à la migration des cellules cancéreuses (Stock and Schwab, 2009). De plus, il a été montré que l’activation de la petite GTPase CDC42, par la fixation de GTP par une GEF (guanine nucleotide exchange factor) est un mécanisme dépendant d’un pH intracellulaire alcalin et que cette activation est nécessaire à la polarité et à la migration cellulaire (Frantz et al., 2007).

2.

Rôle du pH extracellulaire dans la progression cancéreuse

Le microenvironnement extracellulaire acide des cellules cancéreuses est connu pour favoriser la progression tumorale et les propriétés d’invasivité des cellules cancéreuses.

Les mécanismes par lesquels le pH extracellulaire favorise le développement des tumeurs sont variés. Un pH extracellulaire acide induit une augmentation du nombre d’aberrations chromosomiques (Morita et al., 1992). Il est également démontré que l’hypoxie et un environnement extracellulaire acide diminuent les mécanismes de réparation de l’ADN et augmentent le nombre de mutations (Kondo et al., 2001; Yuan et al., 2000). Le pH acide de l’environnement tumoral est également capable de favoriser l’angiogenèse permettant ainsi la formation d’une néo-vascularisation tumorale nécessaire à l’alimentation de la tumeur en nutriments et constituant une des étapes importantes de la progression tumorale vers des stades avancés. Une diminution du pH extracellulaire induit une augmentation de l’expression du VEGF des cellules endothéliales (D'Arcangelo et al., 2000) et des cellules cancéreuses (Fukumura et al., 2001; Shi et al., 2001). De nombreuses molécules anti-angiogéniques diminuent la sortie de protons des cellules et induisent une acidification intracellulaire (Orive

et al., 2003). L’acidité de l’environnement extracellulaire est capable de moduler l’activité de

la réponse immunitaire afin de favoriser la croissance de la tumeur (Kellum et al., 2004; Lardner, 2001). L’acide lactique produit par les cellules cancéreuses inhibe l’activité cytolytique des lymphocytes T (Fischer et al., 2007). Un pH extracellulaire acide diminue la cytotoxicité des lymphocytes NK (natural killer) (Fischer et al., 2000; Loeffler et al., 1991; Severin et al., 1994). Une diminution du pH extracellulaire réduit la sécrétion de molécules

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inflammatoires telles que le TNF-α (Tumor Necrosis Factor α) (Heming et al., 2001) ou la production de NO ( Nitric oxide) (Huang et al., 2002).

Certains effets du pH extracellulaire pourraient être dus à une action sur des facteurs de transcription permettant de modifier l’expression de gènes spécifiques. Parmi les protéines dont l’expression est augmentée par un pH extracellulaire acide, se trouvent notamment des protéases : MMP2, MMP9, MMP11 et les cathepsines B et L (Bumke et al., 2003; Rofstad et

al., 2006), des facteurs pro-angiogéniques (VEGF et IL-8) (Rofstad et al., 2006) ou des

molécules inflammatoires telles que le TNF-α et iNOS (nitric oxide synthase inductible) (Heming et al., 2001; Huang et al., 2002). Les facteurs de transcription NFκB et AP1 semblent être impliqués dans l’augmentation de l’expression des gènes codants pour ces protéines (Bellocq et al., 1998; Kato et al., 2005; Xu and Fidler, 2000; Xu et al., 2002). D’autres facteurs de transcription pourraient être impliqués dans la réponse à un environnement acide (Duggan et al., 2006; Shimokawa et al., 2006).

En plus de ces effets sur les mutations, la vascularisation ou le système immunitaire, l’environnement tumoral acide favorise le développement des métastases par de nombreux mécanismes. L’implication du microenvironnement acide dans l’invasivité des cellules cancéreuses a d’abord été démontré dans des systèmes in vitro (Martinez-Zaguilan et al., 1996) où une diminution du pH extracellulaire augmente la migration et l’invasivité de cellules cancéreuses. L’influence du pH extracellulaire sur la formation des métastases a également été démontrée in vivo dans un modèle de xénogreffe orthotopique chez la souris : la culture préalable de cellules de mélanomes dans un environnement acide in vitro augmente la formation de métastases pulmonaires lorsqu’elles sont transplantées dans des souris (Rofstad

et al., 2006). Dans ce modèle, la culture de cellules à un pH de 6,8 augmente la sécrétion

d’enzymes protéolytiques (MMP2, MMP9, cathepsine B et cathepsine L) et de facteurs pro- angiogéniques (VEGF et IL-8) (Rofstad et al., 2006). Une récente étude suggère que l’acidité du milieu extracellulaire permettrait de sélectionner des cellules résistantes à cet environnement délétère et qu’elles seraient plus invasives, conséquence de l’augmentation de l’expression de gènes nécessaires à ce phénotype invasif. Les cellules ainsi sélectionnées maintiennent leur potentiel invasif lorsque qu’elles sont de nouveau cultivées dans un milieu au pH physiologique (Moellering et al., 2008). De plus, des analyses de modélisations informatiques ainsi que des expérimentations in vivo ont démontré que l’utilisation de tampons tels que le tampon bicarbonate permet d’augmenter le pH extracellulaire des tumeurs et de diminuer la formation des métastases (Robey et al., 2009; Silva et al., 2009).

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Le pH extracellulaire a de nombreux effets sur les cellules cancéreuses favorisant ainsi la formation des métastases (Cardone et al., 2005b; Huber et al., 2010; Parks et al., 2011; Stock and Schwab, 2009; Webb et al., 2011) :

Par la modulation de l’adhésion cellulaire : la fixation d’intégrines à leurs ligands est dépendante du pH extracellulaire (Eble and Tuckwell, 2003; Lehenkari and Horton, 1999), l’adhésion de cellules de mélanome à une matrice extracellulaire est dépendante du pH du milieu extracellulaire avec un maximum entre 6,6 et 6,8 (Krahling et al., 2009; Stock et al., 2005).

L’acidité extracellulaire est toxique pour des cellules normales (Park et al., 1999; Williams et al., 1999). Ceci pourrait détruire les cellules non cancéreuses situées à proximité de la tumeur alors que les cellules cancéreuses possèdent des mécanismes de régulation du pH plus actifs.

Un environnement extracellulaire acide induit la formation de protrusions cellulaires nécessaires à l’invasivité des cellules. La formation de pseudopodes et de lamellipodes est augmentée lorsque le pH extracellulaire diminue (Glunde et al., 2003; Stock et al., 2005). Dans des cellules cancéreuses mammaires, l’acidification extracellulaire de 7,4 à 6,8 augmente la formation d’invadopodes et la dégradation de la matrice extracellulaire associée (Busco et al., 2010).

Un pH acide augmente l’expression et la sécrétion d’enzymes protéolytiques dégradant la matrice extracellulaire. L’acidité du pH extracellulaire augmente l’expression de la MMP9 (Kato et al., 2005) et de la MMP2 (Nishisho et al., 2011). Un pH extracellulaire acide induit le déplacement des lysosomes contenant la cathepsine B vers la périphérie cellulaire stimulant ainsi la sécrétion de cathepsines B (Glunde et al., 2003; Rozhin et al., 1994; Steffan et al., 2009).

Le pH extracellulaire acide induit l’activation de cathepsines à cystéine, connues pour avoir une activité maximale à pH acide (Barrett and Kirschke, 1981). Ces protéases en plus de leur rôle de dégradation de la matrice extracellulaire peuvent activer d’autres protéases et induire une cascade d’activations protéolytiques (Guo et al., 2002; Liaudet-Coopman et al., 2006). De même, l’augmentation d’expression de la MMP2 et de la MMP9 par un milieu extracellulaire acide peut activer une cascade d’activations protéolytiques (Kessenbrock et al., 2010; Mason and Joyce, 2011). La

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cathepsine B est également capable d’induire la dégradation d’inhibiteurs endogènes de MMP, les TIMP (Kostoulas et al., 1999).

Il semblerait qu’il existe un pH extracellulaire optimal, autour de 7 permettant une migration maximale des cellules de mélanome. Lorsque le pH extracellulaire descend en dessous de 7, la migration cellulaire diminue (Stock et al., 2005; Stuwe et al., 2007). De même, des analyses informatiques prédisent que l’invasivité des cellules cancéreuses n’augmente pas linéairement avec l’acidité du milieu extracellulaire, il existe un pH extracellulaire optimal capable de détruire les cellules stromales et de stimuler la dégradation de la matrice extracellulaire (Martin et al., 2010). Dans ce modèle, les auteurs suggèrent, contrairement à ce qui est généralement admis, qu’augmenter l’acidité des tumeurs pourrait être une stratégie pour limiter l’invasivité des cancers.

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