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Migration et invasivité des cellules cancéreuses

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E. Formation des métastases

2. Migration et invasivité des cellules cancéreuses

L’étape de dissémination des cellules cancéreuses de la tumeur primaire dépend de leurs propriétés de migration et de leur capacité à dégrader la matrice extracellulaire. L’ensemble de ces deux propriétés définit « l’invasivité ». Les cellules doivent mettre en place des mécanismes similaires à ceux utilisés par les cellules non cancéreuses lors de la cicatrisation ou de la circulation des cellules immunitaires pour franchir la lame basale et la matrice extracellulaire qui est une barrière à leur mobilité. La migration des cellules cancéreuses est un phénomène dynamique et implique des interactions avec la matrice extracellulaire, la modification de la forme de la cellule et la génération d’une force permettant de déplacer le corps cellulaire (Friedl and Alexander, 2011). Les cellules peuvent migrer de manière individuelle lorsqu’il n’y a pas de jonction entre cellules ou de manière collective en présence d’adhésion cellule-cellule. Le mécanisme de migration individuelle peut être décomposé en cinq étapes (Friedl and Alexander, 2011) : lors de la première étape, la polymérisation de l’actine permet de polariser le cytosquelette et de former une protrusion de type pseudopode à l’avant de la cellule. Ensuite cette protrusion à l’avant de la cellule développe des adhésions avec la matrice extracellulaire et forme des plaques d’adhésion focale afin de coupler les signaux du microenvironnement au cytosquelette de la cellule. Le recrutement et la sécrétion de protéases permet de dégrader la matrice extracellulaire et de créer un espace dans la matrice extracellulaire autorisant le passage du corps cellulaire. La contraction du complexe actine-myosine permet de générer une force dans la cellule nécessaire à son déplacement. Enfin, cette contraction est accompagnée de la rétractation de l’arrière de la cellule et du recyclage des molécules d’adhésion. Dans le cas d’une migration collective, les cellules de la partie avant du groupement cellulaire effectuent les cinq étapes de la migration individuelle. Elles forment par dégradation protéolytique un espace où la barrière formée par la matrice extracellulaire est rompue ce qui permet aux cellules suivantes d’élargir cet espace et de se déplacer à travers. Dans cette migration collective, les cellules établissent des connexions leur permettant de développer des mécanismes coordonnés pour une migration efficace (Friedl and Alexander, 2011).

Il existe deux types de migration, la migration de type amiboïde et la migration mésenchymateuse. La migration amiboïde est une migration utilisant moins l’adhésion avec la matrice que la migration mésenchymateuse. Les cellules adoptent une morphologie ronde et très déformable qui permet par des cycles d’expansion et de contraction de s’insinuer au travers des espaces vides de la matrice extracellulaire sans utiliser la dégradation

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protéolytique. Les cellules cancéreuses à migration amiboïdes sont le plus souvent d’origine hématopoïétique ou neuroectodermique (Friedl and Wolf, 2003). Au contraire de la migration amiboïde, la migration mésenchymateuse fait intervenir des zones d’adhésion et utilise une dégradation protéolytique de la matrice extracellulaire. Les cellules utilisant une migration mésenchymateuse ont une forme allongée de type fibroblaste et laissent après leur passage une zone où la matrice extracellulaire est dégradée. Ce type de migration est retrouvé dans les sarcomes et les cancers épithéliaux différenciés (Friedl and Wolf, 2003). La vitesse de migration mésenchymateuse est limitée par le recyclage des molécules d’adhésion, il existe donc une relation inverse entre la force de l’adhésion focale et la vitesse de migration. Pour la migration amiboïde le facteur limitant est la taille du noyau qui est très rigide et ne peut pas se déformer. La vitesse moyenne de migration mésenchymateuse est de 0,1 à 1 µm / min. La migration amiboïde qui ne nécessite pas d’adhésion peut s’effectuer à une vitesse plus rapide de 0,1 à 20 µm / min (Friedl and Wolf, 2003).

Afin d’interagir avec la matrice extracellulaire et de transmettre vers la cellule des signaux provenant de la matrice, les cellules développent des protrusions d’actine variées en terme de composition et de dynamique telles que les lamellipodes, les pseudopodes, les filopodes, ou les invadopodes (Ridley, 2011; Wolf and Friedl, 2009). La formation de ces structures dépend de la matrice et de l’environnement extracellulaire. Les cellules dans un environnement en deux dimensions (comme lorsque les cellules cancéreuses adhèrent à un vaisseau) forment à leur bord avant un lamellipode qui définit un front de migration. Des filopodes peuvent se développer sur le coté des cellules et le long des lamellipodes. Ces protrusions sont courtes et d’une dynamique rapide permettant de « sentir » le microenvironnement. Lorsque les cellules sont dans un environnement en trois dimensions, elles forment dans la direction du mouvement des pseudopodes qui ont une activité de traction. Les invadopodes sont des structures riches en F-actine capables de dégrader la matrice extracellulaire. Ils sont retrouvés sur la face ventrale des cellules cancéreuses invasives cultivées in vitro sur une matrice en deux dimensions. Leur existence dans un environnement en trois dimensions et in vivo est en cours d’étude (Linder et al., 2011; Saltel et al., 2011; Yu and Machesky, 2012).

La régulation de l’invasivité des cellules cancéreuses implique l’organisation du cytosquelette, la capacité à dégrader la matrice extracellulaire et les adhésions entre cellules et entre les cellules et la matrice extracellulaire. L’activation de l’invasion peut être régulée par des facteurs présents dans l’environnement et libérés par la protéolyse de la matrice

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extracellulaire ou sécrétés par les cellules cancéreuses telles que des chimiokines, des cytokines ou des facteurs de croissance (Friedl and Wolf, 2003,2010; Friedl and Alexander, 2011). Les cellules cancéreuses sont connues pour s’adapter à l’environnement, par conséquent elles peuvent passer d’un type de migration à l’autre en modifiant l’adhésion entre cellules ou avec l’environnement, la force générée via le cytosquelette ou la protéolyse de la matrice extracellulaire (Friedl and Wolf, 2003). Cette adaptation des cellules cancéreuses pourrait expliquer l’échec actuel des essais cliniques de molécules inhibitrices de protéases dans le traitement du cancer (Overall and Kleifeld, 2006).

Des techniques plus ou moins sophistiquées ont été développées afin d’étudier in vitro le phénomène d’invasivité cellulaire (Schoumacher et al., 2011). La migration cellulaire peut être évaluée par le passage des cellules à travers un filtre possédant des pores de 8 µm alors que pour la détermination de l’invasivité cellulaire, ce même filtre peut être recouvert d’une fine couche mimant la matrice extracellulaire (par exemple du Matrigel™). Les cellules doivent d’abord dégrader le Matrigel™ avant de traverser les pores. La culture de cellules sur une fine couche de gélatine ou de Matrigel™ permet l’étude de la dégradation d’une matrice extracellulaire et des invadopodes. Récemment une méthode de culture de cellules sur des membranes basales natives de péritoine de rat permet de s’approcher au plus près de la structure de l’environnement extracellulaire (Hotary et al., 2006; Schoumacher et al., 2010). Des modèles de culture de cellules en trois dimensions sont de plus en plus utilisés afin de représenter au mieux l’environnement d’une tumeur.

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