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CHAPITRE 2 LA SOCIALISATION DE GENRE : UN PROCESSUS À MULTIPLES FOYERS

2.3. Les supports culturels de la socialisation de genre

2.3.3. Le rôle des médias numériques

La télévision, Internet et les jeux vidéos occupent une place toujours grandissante dans la vie quotidienne des enfants. Si pendant longtemps, les études se sont principalement centrées sur les stéréotypes de genre véhiculés par la publicité (Baerlocher, 2006 ; Hoffman, 1977 ; Jonhson & Young, 2002 ; Lorenzi-Cioldi, 2006), depuis quelques années les études concernant Internet et les jeux vidéo commencent à se développer (Fontanini, 2008 ; Maillochon, 2010 ; Monnot, 2009 ; Dill & Thill, 2007).

Il y a plus de trente ans que Hoffman (1977) a réalisé une étude sur les images publicitaires afin de savoir si elles présentaient des traces de sexisme et des stéréotypes de sexe. Apparaissaient alors différents domaines de rôles dévolus aux femmes ou aux hommes. Au niveau de la « famille », les femmes étaient centrales, souvent près de leur fille, le garçon au contraire était souvent éloigné de sa mère, comme plus autonome, enfin les hommes étaient souvent en arrière-plan de la scène. Au niveau du « toucher », les femmes semblaient effleurer délicatement les objets alors que les hommes les saisissaient et les utilisaient. Au niveau de la « ritualisation de la subordination », les femmes étaient souvent montrées couchées ou assises, elles penchaient la tête signalant ainsi de la soumission et de l’acceptation, alors que les hommes se tenaient plus souvent debout, exprimant ainsi de la puissance et de l’assurance en

56 soi. Enfin, au niveau de « l’activité », les hommes agissaient alors que les femmes y étaient vues comme passives.

De ces formes directes et explicites présentant les femmes dans des rôles subalternes, le sexisme tend parfois aujourd’hui à se manifester d’une manière plus subtile. Il est désormais en lien avec une idéalisation du caractère féminin et des rôles traditionnels des femmes. Malkin, Wornian et Chrisler (1999, cité par Lorenzi-Cioldi, 2006) ont fait une analyse de contenu de couvertures de magazines. Ils ont de ce fait mis en évidence que les journaux martèlent les standards de la beauté féminine, mais aussi le rôle de la femme au sein de la sphère familiale où elle est montrée comme dépendante de son conjoint. Ces auteurs proposent d’ailleurs de s’interroger quant à la part jouée dans la reproduction de ces stéréotypes au niveau des médias et son influence sur les jeunes filles qui souffrent beaucoup plus souvent que les garçons de troubles alimentaires.

Dans une analyse de publicités télévisées de jouets, Johnson et Young (2002) ont repéré des différences en lien avec les stéréotypes de sexe traditionnels. Les messages publicitaires s’adressant aux garçons soulignent l’action, la compétition et la destruction, alors que ceux à destination des filles leur octroient des rôles plus passifs en mettant en avant leur émotivité et leur relation aux autres. Ces différences rejoignent les nombreuses observations réalisées dans les différents médias s’adressant aux jeunes enfants.

Par ailleurs, la publicité ne touche pas l’enfant de la même manière que l’adulte. En effet, selon Lorenzi-Cioldi (2006), « tout porte à croire qu’un modèle qui prédit un désintérêt pour le contenu du message au profit de ses caractéristiques plus périphériques est pertinent à propos de l’enfant » (op.cit., 326). Ne possédant pas les capacités cognitives pour un traitement central et une analyse fine du message publicitaire, les jeunes enfants sont plus influencés par les caractéristiques ludiques ou la présence d’un personnage référent, mais aussi et surtout par la répétition du message publicitaire qui devient ainsi plus familier. Le sentiment de validité du message et du produit est ainsi renforcé.

Enfin, bien que les études réalisées sur les jeux vidéos et sur Internet portent essentiellement sur les préadolescents (Fontanini, 2008) et sur les adolescents (Beasley & Standley, 2002 ; Dill & Thill, 2007 ; Maillochon, 2010 ; Monnot, 2009), nous allons en dégager succinctement les perspectives de recherche qu’ouvrent ces travaux. La recherche de Fontanini (2008) a étudié la place grandissante des jeux vidéo nouvellement destinés aux filles. Elle montre, qu’au cours de ces dernières années, les distributeurs de jeux vidéos ont

57 ciblé un nouveau public (les jeunes filles) et essayent progressivement de proposer des produits permettant d’attirer un public féminin vers le marché des jeux vidéo, jusque là essentiellement masculin. Fontanini (2008) montre ainsi une recrudescence de jeux vidéo centrés sur le soin des animaux ainsi que sur les activités d’équitation. Selon elle, ce type de jeux aurait un large effet sur les choix d’orientation et de professionnalisation des jeunes filles qui sont de plus en plus nombreuses à se diriger vers des carrières de vétérinaire. Pour Beasley et Standley (2002), l’analyse du catalogue de jeux vidéo proposé par la marque Nintendo laisse apparaître une sous représentation importante des femmes dans les héros de jeux vidéo, par ailleurs les femmes présentes dans les jeux vidéos ont très souvent une apparence hyper-féminisées et sont mises en avant pour leurs attributs physiques. À travers une analyse de la presse spécialisée et à travers des entretiens menés avec des adolescent(e)s âgé(e)s de 17 à 19 ans, Dill et Thill (2007) soulignent que l’image du masculin dans les jeux vidéo renvoie pour l’essentiel au registre de la domination, de l’agressivité et de la compétition alors que celle concernant les personnages féminins semblent moins valorisante pour les femmes et focalisée sur la seule apparence physique. Par ailleurs, cette étude a permis de montrer que chez les adolescents il n’est pas utile de jouer à ces jeux vidéos pour connaître les rôles de sexe qui y sont véhiculés ; ainsi, joueurs et non-joueurs sont ensemble influencés par la prégnance de ces stéréotypes au sein des jeux vidéos. Enfin, les études de Maillochon (2010) et de Monnot (2009), centrées sur l’utilisation d’Internet par les adolescents, ont mis à jour des différences d’usage d’Internet mais aussi de présentation et de visibilité des filles et des garçons sur les réseaux sociaux.

Synthèse

Dans le cadre de ce chapitre, nous avons passé en revue la diversité des dimensions mises en jeu dans le processus de socialisation de genre sous son versant d’acculturation. Les diverses synthèses de la littérature scientifique consacrées à la socialisation de genre et réalisées au cours de ces dernières années ont montré que le sexe de l’enfant joue encore aujourd’hui un rôle central dans les relations entretenues avec son entourage social (Dafflon Novelle, 2006 ; Mc Hale & al., 2003 ; Rouyer, 2007 ; Rouyer, Croity-Belz & Prêteur, 2010a). Pour ces auteurs, les parents et la famille élargie (principalement la fratrie et les grands parents) se comportent, élèvent et se représentent les enfants en fonction du sexe de ces derniers. Cependant, le processus de socialisation de genre ne concerne pas exclusivement le

58 milieu familial. Le fait d’être identifié et reconnu comme fille ou garçon par les différents membres de la société, autres que les parents, entraîne aussi une socialisation différenciée dans les milieux de vie extra-familiaux, en particulier dans les institutions de la petite enfance (Coulon & Cresson, 2002 ; B. Zazzo, 1993) et à l’école (Duru-Bellat, 2004 ; Mosconi, 1998 ; Zaidman, 1996). Selon Rouyer (2001), si les parents véhiculent de nombreux rôles de sexe, l’influence de l’école se greffe rapidement à celle de la famille et induit également des représentations et des pratiques éducatives différenciées. La socialisation de l’enfant est avant tout plurielle et se développe tant dans ses versants vertical (adulte-enfant) que horizontal (enfant-fratrie / enfant-pairs). De même, les médias culturels à disposition des jeunes enfants ont pris une place significative dans les différents travaux réalisés au sujet de la socialisation de genre des enfants (Epiphane, 2007 ; Fontanini, 2008 ; Lorenzi-Cioldi, 2006). Ces supports de socialisation sont ainsi devenus au fil des années un objet de recherche particulier qu’on ne peut occulter. Dans cette perspective, nous soutenons, comme Dafflon Novelle (2006), Rouyer (2007) ou encore Leaper (2011), la nécessité d’adopter des perspectives intégratives et nécessairement pluridisciplinaires pour mieux saisir les différents processus psycho-sociaux à l’œuvre dans le processus de socialisation de genre.

Quelques limites relatives à ces différentes recherches doivent être abordées. Tout d’abord, de nombreux résultats et méta-analyses s’appuient sur des travaux de recherche relativement anciens (Maccoby & Jacklin, 1974 ; Lytton & Romney, 1991 ; Leaper & al., 1998). Par ailleurs, comme le souligne Rouyer (2007), il semblerait que les méthodes de recueil de données aient un effet sur le niveau de stéréotypie des différents sujets. En effet, les méthodes de type indirect (par le biais de questionnaires ou d’entretiens) semblent obtenir des résultats moins stéréotypés que lorsque le chercheur à recours à des méthodes directes (comme l’observation par exemple). Selon Leaper (2011) et Dafflon Novelle (2006), il existe encore trop peu de travaux de recherche réalisés chez les enfants préscolaires et chez les enfants scolarisés à l’école maternelle. Or, l’âge des enfants interrogés varie beaucoup d’une recherche à une autre, ce qui ne pas ainsi dans le sens d’une généralisation possible des différents résultats obtenus. De même, selon Rouyer (2007), les recherches qui étudient les rôles de la fratrie, des grands-parents ou encore des beaux-parents (dans le cas des familles recomposées), des différents autrui significatifs (comme l’A.T.S.E.M. au sein de la classe) sont trop rares pour ne pas dire inexistantes.

59 Enfin, nous soulignerons deux points qui nous semblent constituer les deux principales limites de ces travaux. D’une part, la plupart des recherches menées sur la question porte sur des données descriptives et bien souvent morcelées sur les différences observées au sein de l’environnement de l’enfant sans toutefois réellement étudier les effets directs ou médiés de cette socialisation de genre sur son développement. D’autre part, aucune recherche à notre connaissance ne prend en compte ce processus de socialisation de genre dans la pluralité des milieux de vie de l’enfant et dans son niveau d’hétérogénéité / homogénéité, en étudiant par exemple les rôles conjoints du père et de la mère, des parents et de l’enseignant(e), etc. (Bussey & Bandura, 1999 ; McHale & al., 2003). En effet, des influences antagonistes, voire conflictuelles, peuvent apparaître au sein d’un milieu de vie (quand par exemple le père et la mère ont des positions significativement différentes vis-à-vis des rôles de sexe) ou entre deux milieux de vie (Mieyaa & al., 2012 ; Mieyaa & Rouyer, à paraître).

Après avoir examiné le processus de socialisation de genre sous son versant d’acculturation nous allons à présent rendre compte des processus par lesquels les enfants s’approprient les normes de genre et se construisent progressivement en tant qu’homme ou femme de leur culture, en abordant dans le chapitre suivant la question du développement de l’identité sexuée.

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