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Rôle de l’ocytocine

II- Genèse de l’addiction

2.2. Traumatismes psychiques

2.2.2. Impact biologique des traumatismes précoces

2.2.2.2. Régulation de l’excitation par autrui : la fonction tampon

2.2.2.2.1. Rôle de l’ocytocine

L’ocytocine, neuromodulateur d’origine sous-corticale (hypothalamus, Figure 5), a un rôle important dans cette médiation et même une fonction majeure au début de la vie (période d’immaturité corticale) car ce neuropeptide favorise à la fois l’attention préférentielle et l’attractivité respective entre mère et bébé et donc la mise en place des processus d’attachement. C’est dès avant la naissance que l’ocytocine entre en jeu : chez la mère, elle déclenche le processus de l’accouchement et favorise le maternage ; chez l’enfant, elle prépare le système nerveux fœtal à la vie extra-utérine131 (Kenkel et al. 2014). La libération

d’ocytocine est induite par des hormones telles que les œstrogènes, mais aussi par des stimuli sensoriels variés, et en premier lieu somatosensoriels (Uvnäs-Moberg et al. 2015). En raison des stimulations physiques intenses entre mère et enfant au cours de l’accouchement, la naissance par les voies naturelles déclenche des libérations importantes de cette hormone, tant chez la mère que chez le bébé. Par la suite, la libération d’ocytocine est provoquée, toujours chez les deux partenaires de la relation, par l’allaitement au sein, mais aussi, le contact peau à peau, puis toutes les interactions proches et chaleureuses entre humains ou même avec un animal familier (Nagasawa et al. 2015). En tant qu’hormone, l’ocytocine est libérée dans la

131 Par exemple, le GABA, qui est le principal neurotransmetteur inhibiteur dans le cerveau mature, agit

comme un signal excitateur dans le cerveau fœtal. Pendant la naissance, l’ocytocine participe à l’inversion transitoire de la fonction du GABA en inhibition, capable de protéger le cerveau fœtal des conditions d’hypoxie inhérentes à l’accouchement.

83 circulation sanguine, via l’hypophyse postérieure, c’est par cette voie qu’elle remplit sa fonction de renforcement des contractions des muscles lisses (Figure 5), tels que ceux de l’utérus pendant l’accouchement ou ceux des glandes mammaires pour l’éjection du lait pendant l’allaitement.

Amygdale

 Atténuation de la peur

Cortex sensoriel

 Saillance perceptive

des stimuli sociaux

Utérus, glandes

mammaires…

Cortex frontal

Tronc cérébral

Raphés (sérotonine)

 Anxiolyse

NTS (noradrénaline)

Locus cœruleus

 Atténuation de

la réaction d’alarme

Hypothalamus

Hypophyse

CORTEX

Système

nerveux

central

 Contraction

muscles lisses

Voies sensitives

Système nerveux périphérique

Ocytocine

Accumbens

ATV

dopamine

 Attractivité

sociale

SNA

Figure 5 : Le système ocytocinergique et ses fonctions

Les corps cellulaires du système ocytocinergique se situent dans l’hypothalamus et projettent sur de nombreuses structures cérébrales où l’ocytocine exerce différentes fonctions (notées en rouge dans chacune des aires de projection). Au cours des interactions positives entre individus, la stimulation des nerfs sensoriels (voies sensitives) en provenance de différentes parties du corps et de la peau, en particulier, fait relais dans le noyau du tractus solitaire (NTS) qui projette dans l’hypothalamus sur les neurones à ocytocine et provoque sa libération. En retour, l’ocytocine inhibe l’axe corticotrope et les neurones noradrénergiques du NTS et du locus cœruleus, ce qui diminue la réponse au stress. Au niveau des raphés, elle augmente la libération de sérotonine et produit un effet anxiolytique, tandis que dans l’accumbens, c’est la libération de dopamine qu’elle favorise ; ainsi, une saillance attractive est attribuée aux interactions sociales chaleureuses responsables des stimuli de départ.

ATV = Aire tegmentale ventrale ; SNA = Système nerveux autonome.

Projections ocytocinergiques

Projections noradrénergiques

84 De plus, l’ocytocine circulante participe à l’atténuation de la réponse au stress comme nous l’avons vu précédemment. D’un autre côté, en tant que neuromodulateur, sa libération intracérébrale à partir des neurones ocytocinergiques de l’hypothalamus favorise l’établissement du lien mère-enfant (Uvnäs-Moberg et al. 2015), puis de toutes les autres relations sociales durables. Ainsi, dès le début de la vie, le système ocytocinergique participe simultanément aux fonctions somatique et psychique, et les particularités de son fonctionnement sont transmises d’une génération à l’autre par le biais des soins maternels (Feldman et al., 2010a) comme l’expérimentation animale a permis de le mettre en évidence. En effet, l’importance de l’ocytocine intracérébrale dans l’induction du comportement maternel a d’abord été montrée chez le rat à la fin des années 70 (Pedersen et Prange, 1979). Réciproquement, les soins maternels au cours de la première semaine postnatale, consistant dans cette espèce au nourrissage et au toilettage des petits par léchage influencent de façon durable le système ocytocinergique de ces derniers. L’intensité des stimulations tactiles du maternage détermine les taux plasmatique d’ocytocine chez le raton (Henriques et al. 2014) et la densité des récepteurs ocytocinergiques chez la progéniture devenue adulte (Champagne et al. 2001) ; plus les soins maternels sont intensifs plus ces deux paramètres biologiques seront élevés, ce qui, à son tour, déterminera chez la descendance femelle la qualité du comportement maternel. De même, les contacts peau à peau avec la mère au cours des comportements de blotissement, source de chaleur, augmentent les concentrations d’ocytocine dans l’hypothalamus du raton et favorise l’acquisition de la préférence pour l’odeur maternelle (Kojima et al. 2012). C’est ainsi que le rôle de « tampon social » de la mère est, en partie, converti en « tampon biologique » chez le petit puisque l’ocytocine diminue à la fois, la réponse biologique au stress et l’anxiété face à l’inconnu. Enfin, un beau travail expérimental récent montre qu’une des fonctions de l’ocytocine dans le cerveau des rongeurs est de sensibiliser le cortex auditif des mères aux appels de détresse de leurs petits lorsque qu’ils s’égarent hors du nid ; en modulant finement la plasticité corticale, l’ocytocine

augmente donc la saillance perceptive des stimuli acoustiques sociaux chez la mère (comme

elle augmente sans doute aussi la saillance perceptive des stimuli olfactifs sociaux chez les deux partenaires), ce qui promeut son comportement de récupération du souriceau pour le ramener dans son nid (Marlin et al. 2015). Comment ne pas penser ici au concept de préoccupation maternelle primaire proposé par Winnicott (1956) ?

Chez l’homme, seuls les taux périphériques d’hormones sont accessibles, ce qui n’est

85 Cependant, ces mesures indirectes permettent de penser que, comme chez les autres mammifères, le système ocytocinergique de l’enfant est sensible aux soins parentaux. Feldman et al. (2010a) montrent que suite à une interaction ludique entre des bébés de 4 à 6 mois et un de leurs parents, les taux d’ocytocine salivaire sont corrélés entre les deux partenaires et d’autant plus élevés que la synchronie affective au cours de l’échange a été bonne. Le contact tactile de la mère avec son enfant132, permet aussi de réduire les taux de cortisol salivaire de ce dernier lorsqu’il est dans une situation stressante (Feldman et al. 2010b). Comme nous l’avons vu précédemment, la qualité des relations précoces de l’enfant avec son environnement maternant détermine le type d’attachement qu’il développe. L’influence des contacts affectueux sur le système ocytocinergique des partenaires de la dyade mère-enfant, suggère que cette neurohormone participe au développement d’un attachement sécure (Hurlemann et Scheele, 2015). D’ailleurs, l’administration intra-nasale d’ocytocine augmente significativement la confiance relationnelle chez l’adulte (Kosfeld et al. 2005), y compris chez ceux ayant développé un attachement non-sécurisé (Buchheim et al. 2009). De nouveau, une articulation peut être proposée avec la pensée psychanalytique : le bénéfice chez l’enfant des « holding » et « handling » winnicottiens pourrait aussi mettre en jeu, au niveau biologique, le système ocytocinergique.

L’ocytocine exerce ses effets variés en modulant d’autres systèmes de signalisation tels que la dopamine et les opioïdes. Elle potentialise l’effet de la dopamine au niveau du noyau accumbens (Numan et Young, 2015), ce qui participe à la genèse des motivations à valence positive (la recherche de la satisfaction) ou négative (l’évitement de la frustration) et à l’attribution d’une saillance cognitive, respectivement attractive ou aversive, aux indices associés aux expériences qui suscitent sa libération (Berridge, 2012 ; Johnson et Young, 2015). Ainsi, une réponse maternelle adaptée au besoin du bébé, renforcera l’attirance de l’enfant pour sa mère ; et réciproquement, l’enfant sera d’autant plus attrayant pour la mère qu’il sera en capacité de s’engager positivement dans la relation. D’un autre côté, l’ocytocine stimule aussi l’expression des gènes de certains peptides opioïdes dans le noyau accumbens (Young et al. 2001), lesquels peuvent avoir un impact hédonique en certains points bien précis de cette structure (Berridge et Kringelbach, 2015). C’est ainsi que sont compris, actuellement, les soubassements biologiques de l’attractivité préférentielle entre mère et bébé et donc des

132132 Ces soins maternels par le toucher corroborent l’importance de la peau dans la constitution du Moi

86 préconditions de l’attachement. Quant à l’effet anxiolytique de l’ocytocine (figure 5), il semble s’exercer aussi via ses récepteurs situés sur les neurones sérotoninergiques des noyaux du raphé (Yoshida et al. 2009).

En résumé, la modulation des comportements émotionnels par l’ocytocine promeut la sociabilité et l’empathie, ainsi que l’établissement de liens humains durables tels que l’attachement ou l’affiliation, d’où son surnom d’hormone de l’amour (Zik et Roberts, 2015). Le modelage par les soins maternels du système ocytocinergique de la descendance et de son impact modérateur sur les réponses comportementale et neuroendocrinienne au stress a des conséquences à long terme sur les capacités sociales de l’individu et la manière avec laquelle il fait face au stress à l’âge adulte. Dit autrement, l’environnement et, en particuliers au stade précoce, les soins maternels, influencent les mécanismes de plasticité cérébrale chez l’enfant. Ainsi, lors d’un trauma, selon l’état de développement du système ocytocinergique, ce dernier sera susceptible ou non d’atténuer non seulement l’anxiété et l’état d’alarme mais aussi les émotions négatives en augmentant la propension à rechercher l’apaisement auprès d’un proche (Kikusui et al. 2006). Le bon fonctionnement du système ocytocinergique participe ainsi à la résilience133 de l’individu (Feder et al. 2009). En terme psychanalytique, les soins maternels participent à la constitution du soi, en particulier par les contacts tactiles qu’ils fournissent au bébé.