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Attachement et besoin de sécurité

II- Genèse de l’addiction

2.2. Traumatismes psychiques

2.2.1. Impact psychique des traumatismes précoces

2.2.1.2. Attachement et besoin de sécurité

La théorie de l’attachement de Bowlby, bien qu’ayant suscitée de nombreuses controverses dans le milieu de la psychanalyse, est actuellement considérée comme un apport conceptuel important dans les modélisations théorico-cliniques en psychopathologie. Missonnier propose un résumé lapidaire du cœur de la théorie de Bowlby : « Chez l’humain

comme chez l’animal, l’attachement est un besoin primaire, inné, biologiquement déterminé de la même façon que tous les autres besoins fondamentaux liés à la survie »110. Les prémisses de cette théorie découlent d’ailleurs de la considération du réflexe primaire d’agrippement. De ce point de vue, il appartiendrait donc au registre de l’autoconservation et le besoin spécifique dont il s’agit ici est celui de sécurité, l’attachement représentant la base interne de sécurité de l’individu. Si dans une perspective éthologique Bowlby fait l’hypothèse que le comportement d’attachement a une fonction de protection à l’égard des prédateurs111,

soulignant ainsi le registre de l’autoconservation corporelle, ce qui nous intéresse ici est la nécessité de sécurité psychique que nous proposons de rapprocher du concept winnicottien de besoins du Moi. En appui sur les développements proposés par Roussillon sur cette question112 , on pourrait dire que la sécurité est une des conditions externes nécessaire au sujet pour qu’il puisse faire son travail d’intégration des expériences auxquelles il est confronté, sécurité liée à la fiabilité de l’objet d’attachement, à sa capacité d’assurer à l’enfant le bénéfice d’un environnement sécurisé, et, en d’autres termes, à un « holding » suffisamment bon déterminé par l’empathie de la mère à l’égard de son nourrisson113. Ces expériences

répétées sont encodées dans la mémoire procédurale comme des prévisions qui aident l’enfant

109 Roussillon R., L’homosexualité primaire et le partage de l’affect, p. 82-83.

110 Missonnier S., « Je t'aime, moi non plus » : théorie de l'attachement et psychanalyse, p. 8. 111 Bowlby J., Attachement et perte, p. 308.

112 Roussillon R., « Les besoins du moi » in Manuel de pratique clinique, p. 155-166. 113 Winnicott D., La théorie de la relation parent-nourrisson, p. 365-366.

69 à se sentir en sécurité. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’enfant développera un processus d’attachement insécurisé se manifestant par de l’anxiété lors de la séparation.

Bowlby, comme d’autres avant lui, considère que le mode de relation précoce, développé entre le nourrisson et la personne qui lui prodigue les soins primaires, s’internalise et devient la matrice à partir de laquelle l’enfant construira ses modèles internes opérants (internal working models)114. La fonction de ces derniers est d’interpréter et d’anticiper le comportement d’un partenaire, aussi bien que de planifier ou guider son propre comportement dans la relation (Bretherton, 1990). Issus des expériences d’attachement premier, les modèles internes opérants permettent donc de générer des prédictions et d’extrapoler des situations hypothétiques en matière de relations interpersonnelles à partir des représentations mentales, à la fois cognitives et émotionnelles, ainsi que des caractéristiques relationnelles des objets primaires. Ils orienteraient aussi attention et mémoire vis-à-vis des informations relatives à l’attachement en en favorisant ou, inversement, inhibant l’accès, en particulier dans les situations anxiogènes.

Le concept de modèle interne opérant a été opérationnalisé par Ainsworth et Wittig (1969)115 qui ont mis au point la méthode expérimentale d’observation systématique des comportements d’enfants dans le paradigme de la « situation étrange ». Il s’agit d’une procédure qui consiste à placer un bébé avec sa mère dans une pièce inconnue avec un étranger, et à le confronter au départ, puis au retour de sa mère. Les réactions de l’enfant à la séparation et aux retrouvailles permettent d’inférer ses attentes par rapport à la présence de la mère et sa disponibilité, et renseignent donc sur le modèle interne opérant qu’il a intériorisé à partir de sa relation avec elle. Plusieurs stratégies d’attachement ont ainsi été identifiées, chacune correspondant à une manière particulière d’orienter son attention par rapport à l’anxiété ressentie (Miljkovitch et al. 2003). Si l’enfant a l’habitude d’obtenir des réponses adaptées à ses besoins lorsqu’il est confronté à l’anxiété, il n’a pas à se défendre contre la survenue de tels affects, ni à contrôler ce qu’il laisse transparaître ; il développera alors un attachement sécurisé, c’est-à-dire qu’en cas de menace il aura recours à sa figure d’attachement. Par contre, si l’enfant est généralement rejeté, il va inhiber sa tendance à faire appel au parent en s’en détournant et focalisant son attention sur d’autres aspects de l’environnement, ce qui semble correspondre à un déni du besoin de réassurance, voir à un

114 Bowlby préfère ce terme à celui de représentation car il suggère des structures représentationnelles

dynamiques (Bretherton, 1990).

70 clivage des affects qui évite une nouvelle déception. On parle alors d’attachement évitant. A l’inverse, si la présence de la figure d’attachement n’est obtenue qu’au moyen d’appels démesurés, l’enfant manifeste une détresse importante à la séparation et reste hypervigilant, méfiant et en colère après son retour (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008). Dans ce cas, l’attachement est dit ambivalent. Ces deux derniers types d’attachement ont donc une valeur défensive face au vécu d’anxiété et, en tant que ces comportements constituent une réaction adaptative à l’environnement, ils font partie du faux self. Enfin, certains bébés vont se montrer désorganisés en présence du parent manifestant des comportements contradictoires d’approche et de fuite, avec, semble-t-il un sentiment sous-jacent d’impuissance, comme si aucun mécanisme de défense n’avait pu s’organiser face à l’angoisse. Les traumatismes relationnels précoces empêchent le déploiement d’un processus d’attachement sécurisé. La qualité de ce lien, indispensable pour apprivoiser l’environnement et échapper aux dangers qu’il présente, dépend donc de la qualité des soins reçus, lesquels semblent tributaire de la représentation mentale que l’objet a de ses propres liens d’attachement précoces (Fonagy et al. 1996). Mais nous y reviendrons dans le paragraphe traitant de la transmission transgénérationnelle des traumatismes. La tendance à s’attacher à un adulte spécifique relèverait donc chez l’enfant d’un besoin de protection. Cependant, certain propose d’aller plus loin en considérant le concept d’attachement comme un pont potentiel entre théorie des pulsions et théorie des relations d’objet (Golse, 2004), l’identification primaire étant la forme la plus originelle de l’attachement émotionnel à un objet.

Chez l’adulte, plusieurs classifications des styles d’attachement ont été proposées. L’entretien semi-structuré "Adult Attachment Interview (AAI)" permet d’explorer, à travers la narration autobiographique, les représentations des relations d’attachement de l’enfance et propose des catégories semblables à celles décrites chez le tout-petit : autonome (sécurisé), détaché (évitant), préoccupé (ambivalent) et désorganisé/craintif. Cette dernière catégorie se caractérise par des lacunes dans le discours et le raisonnement, en particulier lorsqu’il s’agit d’aborder des évènements potentiellement traumatiques, mais aussi par des troubles anxieux. Hesse et Main (2000) font d’ailleurs le rapprochement entre ce type d’attachement et la conception de Winnicott (1974) concernant la « crainte de l’effondrement », qu’il comprend

71 comme la crainte d’un effondrement qui a déjà été vécu, la peur d’une agonie originelle116, la

peur d’être lâché de nouveau.

Nous terminerons en soulignant que l’un des intérêts de la théorie de l’attachement est qu’elle a permis l’étude des processus biologiques sous-jacents à ses aspects comportementaux chez l’animal, comme nous le verrons plus loin.

2.2.2. Impact biologique des traumatismes