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Rôle du cortex préfrontal

II- Genèse de l’addiction

2.2. Traumatismes psychiques

2.2.2. Impact biologique des traumatismes précoces

2.2.2.2. Régulation de l’excitation par autrui : la fonction tampon

2.2.2.2.2. Rôle du cortex préfrontal

Beaucoup moins d’études ont été menées concernant les processus neurocognitifs susceptibles d’exercer une fonction tampon vis-à-vis d’un trauma potentiel. Seule l’imagerie cérébrale fournie quelques données sur les réseaux neuronaux impliqués lorsqu’un soutien social est expérimenté au cours d’un stress. Cependant, ces études étant basées sur des corrélations, les inférences auxquelles elles donnent lieu nécessitent d’être vérifiées par l’expérimentation animale ; elles ne constituent donc qu’une première étape du déchiffrement des mécanismes du processus complexe de régulation émotionnelle par un tiers. Au début de la vie, chaque expérience constitue une situation d’apprentissage permettant l’appropriation

133 Concept développé et popularisé en France par Boris Cyrulnik (1993, Les nourritures affectives.

87 progressive de l’autorégulation de ses émotions, même si tout au long de la vie le support social reste important.

Parmi les émotions éprouvées au cours d’un stress, ce sont la peur, la douleur, mais aussi le sentiment d’exclusion134, qui ont été les plus étudiés chez l’homme. Le vécu de

chacune de ces expériences affectives négatives s’accompagne de l’activation, en particulier, des cortex cingulaires antérieur dorsal (dACC) et insulaire antérieur (AI), de l’amygdale et de la substance grise périaqueducale (PAG ; Figure 6). Le dACC envoie des projections excitatrices sur l’amygdale et pourrait donc moduler l’expression de la peur en stimulant l’amygdale (Milad et al, 2007). C’est ainsi que l’activation de cette partie du cortex cingulaire suite à la perception d’une menace participe au déclenchement des réponses endocrines (cortisol) et autonomes au stress. L’activité de la PAG peut, par contre, augmenter ou diminuer la réponse du système nerveux autonome selon que l’évitement du danger est possible ou non. Quant au cortex insulaire antérieur, il pourrait être impliqué dans la représentation consciente des réponses somatiques, plutôt que directement dans leur genèse (Critchley, 2005).

Figure 6 : Régions cérébrales impliquées dans la réponse aux situations menaçantes

dACC : Cortex cingulaire antérieur dorsal ; PAG : Substance grise périaqueducale ; AI : Insula antérieure (Eisenberger, 2013).

Le dACC, l’AI et la PAG sont aussi bien connue pour leur implication dans l’expérience subjective de la douleur et sa modulation (Rainville, 2002). Le soutien social permet d’atténuer les réponses physiologiques de l’organisme, probablement en réduisant

134 Les anglophones parlent de douleur sociale (social pain) pour désigner le sentiment négatif qui suit

88 l’activité de ces régions cérébrales répondant au stress. Les mécanismes psychobiologiques sous-tendant cette fonction tampon commencent juste à être élucidés, ils font intervenir les aires cérébrales actives lorsqu’est éprouvé un sentiment de sécurité.

Dans la théorie de Bowlby, le lien d’attachement procure un sens de la sécurité et réduit les vécus de détresse chez l’enfant encore incapable de prendre soin de lui-même. Ce sentiment de sécurité, issu de l’expérience de la bienveillance d’un autre prenant soin de soi, pourrait, au niveau neural, constituer une sorte de signal de sécurité permettant d’atténuer les réactions biologiques aux stress. En effet, l’équipe de Ledoux a montré que les signaux de sécurité135 et l’extinction de la peur136 activent spécifiquement le cortex préfrontal ventro-

médian (VMPFC ; Schiller et al, 2008), activation associée à une diminution des réponses somatiques de peur (conductance cutanée) chez l’homme (Phelps et al, 2004), probablement en raison des connections inhibitrices du VMPFC sur l’amygdale (Milad et Quirk, 2002). D’autres études ont examiné l’activité cérébrale chez des individus bénéficiant ou non d’un soutien social pendant un stress. Des participants soumis à une douleur physique rapportent une sensation douloureuse moindre lorsqu’ils peuvent voir la photo de leur conjoint (comparé à celle d’un étranger) et montrent une activation du cortex préfrontal ventro-médian et une diminution de l’activité des cortex cingulaire antérieur dorsal et insulaire antérieur (Eisenberger et al, 2011). D’autres travaux s’intéressent à l’effet d’un soutien affectif (Onoda et al, 2009), ou de la présence imaginée de la figure d’attachement (Karremans et al, 2011), au cours d’un stress d’exclusion sociale et montrent le même pattern d’activation/désactivation cérébrale. En résumé, le VMPFC est activé en présence de signaux de sécurité conduisant à l’extinction de la peur, par l’inversion de la valeur d’un stimulus négatif en positif et plus généralement par la mise en jeu des mécanismes de régulation émotionnel par des stratégies cognitives entre autres (Schiller et Delgado, 2010) ; il fait d’ailleurs aussi partie du circuit impliqué dans les processus de récompense, et plus spécifiquement dans l’encodage de la valeur subjective des stimuli (Levy et Glimcher, 2012).

Ainsi, un mécanisme possible permettant à une figure rassurante de diminuer l’impact biologique d’un trauma pourrait être l’activation des régions qui répondent aux indices de

135 Indice sensoriel jamais associé à une expérience aversive.

136 Forme de sécurité apprise dans un paradigme où un indice, initialement associé à une expérience

négative tel qu’un choc électrique par exemple, devient un prédicteur d’absence de danger lorsqu’à ce même indice n’est plus associé un choc.

89 sécurité, tels que les cortex préfrontal ventro-médian et cingulaire postérieur (Mobbs et al, 2010 ; Figure 7) qui, en retour, inhibent le circuit de la peur.

Figure 7 : Régions cérébrales activées par les indices de sécurité.

Vue sagittale médiane de cerveau humain. VMPFC : Cortex préfrontal ventro-médian ; PCC : Cortex cingulaire postérieur (Eisenberger, 2013).

D’un point de vue développemental, les premières expériences sociales, que constituent les interactions primaires, semblent façonner l’efficacité psychobiologique du soutien social ultérieur en contenant les réponses de l’axe corticotrope, mais aussi la tendance à rechercher un soutien comme stratégie pour faire face au stress (Hostinar et al, 2014). C’est ainsi que lorsque les expériences relationnelles primaires ont été satisfaisantes, à l’âge adulte, le soutien social optimum est obtenu auprès des figures d’attachement. Ces dernières étant devenues par apprentissage associatif une sorte d’indice de sécurité capable d’inhiber les processus neuraux de la peur, permettent d’atténuer l’émotion de peur en présence d’un danger potentiel. L’absence prématurée de la fonction tampon exercée par les objets primaires a aussi un impact biologique, comme nous allons le voir maintenant.

2.2.2.3. Effets neurobiologiques à long terme des traumas