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Impact épigénétique des traumas précoces chez l’homme

II- Genèse de l’addiction

2.2. Traumatismes psychiques

2.2.2. Impact biologique des traumatismes précoces

2.2.2.4. Vulnérabilité génétique et adversité

2.2.2.4.3. Impact épigénétique des traumas précoces chez l’homme

perturbations neurobiologiques accompagnant de multiples formes de psychopathologies diagnostiquées à l’âge adulte a été reconnu et a impulsé le développement des recherches dans ce domaine (Heim et Nemeroff, 2001). Ainsi, l’exposition aux traumas, et d’autant plus lorsqu’elle est précoce, est désormais considérée comme le facteur de risque le plus important dans le développement de différents troubles psychiatriques, tels que la dépression, les états de stress post-traumatiques et les personnalités limites (Menke et Binder, 2014). L’impact biologique du stress procède via de nombreux facteurs qui se combinent entre eux de façon variée tout au long de la vie. Le type de pathologie auquel il rend vulnérable dépend de sa nature, son intensité, sa chronicité, mais aussi des âges auxquels ils surviennent et du patrimoine génétique et expérientiel de l’individu exposé.

Par exemple, une dépression post-partum chez la mère, affectant les soins portés au nourrisson, semble façonner chez son enfant, à la fois, i) la production d’ocytocine dans le sens d’une régulation à la baisse telle qu’elle peut être mesurée dans la salive (Feldman, 2012), et ii) l’axe corticotrope dans le sens d’une hyperréactivité au stress exprimée jusqu’à l’âge adulte, et donc une augmentation excessive de la sécrétion de cortisol (Barry et al.

153 Aux Etats-Unis, 1,5 millions de cas vérifiés d’enfants maltraités sont rapportés chaque année, et

108 2015). Par contre, l’exposition à des stress plus sévères, comme la maltraitance, peut induire à l’inverse un hypocortisolisme (Lupien et al. 2009) résultant d’une augmentation de la sensibilité au rétrocontrôle négatif du cortisol exercé au niveau de l’hypophyse (Fries et al. 2005). Ces réactions neuroendocrines opposées sont probablement liées, tout à la fois, aux polymorphismes génétiques, aux régulations épigénétiques dépendantes de l’expérience, et à l’interaction complexe entre les deux ; elles déterminent aussi des vulnérabilités différentes. La dépression majeure est généralement associée à des niveaux élevés de cortisol circulant, alors que les personnes en état de stress post-traumatique présentent fréquemment un taux basal faible de cette hormone et une sécrétion atténuée suite à un stress aigu154. Cependant, les liens de causalité sont loin d’être linéaire, d’autant que dans 50% des cas, il y a cooccurrence de ces deux troubles psychiatriques (McGowan, 2013).

A la suite des découvertes faites chez l’animal sur les possibilités de régulation épigénétique du gène des récepteurs neuronaux des glucocorticoïdes par l’environnement précoce, certains auteurs ont tentés de vérifier si ces possibilités existaient chez l’homme. Une étude post mortem, effectuées sur l’hippocampe d’auteurs de suicide, ayant eu ou non une histoire d’abus dans l’enfance (n = 12 pour chaque groupe), montre une diminution de l’expression de ce gène et une augmentation de sa méthylation uniquement chez les victimes de maltraitance infantile (McGowan et al. 2009). Ces effets vont dans le même sens que ce qui avait été trouvé chez l’animal et laisse supposer que les mécanismes biologiques sous- tendant les processus psychopathologiques déclenchés par la maltraitance passent en partie par des modifications épigénétiques altérant le fonctionnement neuronal à long terme. Les recherches chez les patients psychiatriques sont limitées par le fait que l’épigénome est habituellement spécifique d’un organe ou d’un tissu, où il module le spectre d’expression des gènes sans interférer avec celui d’autres parties du corps (Jordan, 2013). Cependant, il faut noter que les récepteurs du cortisol sont présents dans le cerveau, mais aussi dans de

154 Outre l’état de stress post-traumatique, l’hyporéactivité de la corticosurrénale, entrainant le

phénomène d’hypocortisolisme, est aussi rencontrée dans toute une série de troubles psychosomatiques liés au stress et caractérisés par trois symptômes : l’hypersensibilité au stress, la fatigue et la douleur. Il s’agit, entre autres, du syndrome de fatigue chronique, de la fibromyalgie, du syndrome de l’intestin irritable, ou de certaines maladies inflammatoires. Les troubles hypocortisolémiques s’accompagnent d’une augmentation du CRH (Yehuda et al. 2010) et de l’activité du système nerveux sympathique, pouvant expliquer l’hypersensibilité au stress. Enfin, tous les types de traumas activent le système immunitaire et, en conséquence, provoque la libération de cytokines pro-inflammatoires. Une des fonctions du cortisol pendant le stress est de supprimer la production des cytokines, ce qui diminue la réaction inflammatoire et protège les tissus de la destruction. L’hypocortisolisme est donc responsable de l’importance des réactions inflammatoires déclenchées par le stress chez certains patients. Cependant, un taux de cortisol élevé ne protège pas forcément contre ce type de problème car, à la longue, une résistance au cortisol peut aussi survenir au niveau de ses récepteurs (Horowitz et Zunszain, 2015).

109 nombreux tissus périphériques, dont certaines cellules sanguines comme les lymphocytes. Tyrka et al. (2012) ont d’ailleurs mis en évidence une augmentation de la méthylation de ces récepteurs dans ces cellules sanguines chez l’adulte ayant subi des maltraitances infantiles. Ces résultats, et d’autres données analogues, sont importants car ils indiquent que des altérations épigénétiques résultant de l’adversité vécue dans l’enfance persistent longtemps après la fin de l’expérience traumatique, et sont détectables dans les tissus périphériques ; cela permet d’envisager l’étude de l’impact épigénétique des traumatismes chez l’homme sur de simples prises de sang. L’équipe de Binder, qui avait mis en évidence en 2008 un allèle de risque du gène FKBP5 rendant leurs porteurs plus sensibles au stress et plus susceptibles de développer un état de stress post-traumatique, ont montré plus récemment à partir des cellules sanguines de la même population que la maltraitance infantile diminue le taux de méthylation du gène FKBP5 seulement chez les porteurs de l’allèle de risque (Klengel et al. 2013). Cette marque épigénétique imprimée par le trauma initial induit une dérégulation de l’axe corticotrope qui persiste jusqu’à l’âge adulte et rend vulnérable aux stress ultérieurs. Comme le souligne le titre de cet article, c’était la première démonstration de l’implication de mécanismes épigénétiques dans l’interaction entre un traumatisme et un gène. Et nous ajoutons, la première preuve de la plausibilité moléculaire de l’impression d’une trace biologique d’un traumatisme psychique.

Des mécanismes épigénétiques pourraient aussi être invoqué lors d’expériences infantiles, même lorsqu’elles ne sont pas traumatiques, dans le cadre des relations mère- enfant. La régulation épigénétique des récepteurs neuronaux du cortisol par l’histoire environnementale individuelle pourrait ainsi sous-tendre les liens qui ont pu être établis entre le type d’attachement et les taux de cortisol salivaire mesuré chez l’enfant face à une situation nouvelle. Seuls les enfants manifestant un attachement non-sécurisé présentent une élévation de cortisol (Nachmias et al. 1996).

Pour conclure, il faut souligner que les études effectuées chez l’homme sont corrélationnelles et ne fournissent pas de preuves de relations de cause à effet. C’est en cela que les études expérimentales chez l’animal sont utiles pour démontrer une causalité entre l’exposition à un stress précoce et ses conséquences à long terme (Teicher et al. 2006). De ces travaux, je retiendrais que le développement du cerveau est sculpté par les expériences précoces via des mécanismes réversibles laissant entrevoir la possibilité qu’une expérience psychothérapeutique ultérieure puisse également agir au niveau biologique.

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La sècheresse de ce chapitre aura sans doute rebuté jusqu’au plus curieux des psychologues. Cependant, il m’a paru indispensable pour faire comprendre comment, aux premières étapes du développement, le petit d’homme est à la merci de son fonctionnement « biologique sous-cortical », et comment, seuls les soins d’une « mère suffisamment bonne » vont lui permettre de mettre en place le contrôle cortical nécessaire au domptage155 de cette réactivité biologique et de

l’angoisse qui l’accompagne. A ce propos, je soulignerais encore que chacun des concepts que Winnicott a utilisés pour éclairer la compréhension du développement primaire trouvent un écho dans le fonctionnement biologique tel qu’il apparaît de nos jours. Nous l’avons déjà souligné dans le paragraphe sur l’ocytocine, nous pouvons ajouter ici l’exemple de « ce qui aurait pu utilement avoir lieu mais n’est pas advenu » pouvant être référé aux périodes sensibles du développement biologique qui nécessitent la survenue d’un certain type d’expérience pour que toutes les potentialités cérébrales puissent se déployer. Par contre, la pensée développée autour du concept d’adaptation en neurobiologie, qui met seulement l’accent sur l’aspect positif de la plasticité, passe à côté de la finesse clinique ayant permis à Winnicott (1960b) de proposer le développement en faux- self. Quoiqu’il en soit, il ne s’agit pas de tenter de rabattre le psychique sur le biologique mais plutôt de comprendre comment le psychique émerge du biologique au début de la vie.

2.2.3. Transmission transgénérationnelle des