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Chapitre 6 : Analyse, discussion et essai d’interprétation

6.4.3. Rôle global de l’environnement physique

Il semble, donc, que les variations notées dans la permanence et la spatialisation des espaces du chez soi puissent être partiellement attribuables à l’environnement physique. En effet, les participants du domaine Saint-Sulpice ont largement fait état d’un espace du chez soi dont les limites étaient plus claires, avec des formes plus fermées et continues que les participants du Mile-End Est. Par ailleurs, les participants du Mile-End Est ont indiqué des espaces du chez soi présentant des variations beaucoup plus importantes en ce qui a trait à leur amplitude que ceux du domaine Saint-Sulpice. Ils, ont, également, parlé d’espaces du chez soi moins permanents : soit plus appelés à bouger dans le temps, soit générant des sensations plus changeantes en fonction du trajet, de la journée ou des ambiances présentes. Des facteurs démographiques peuvent partiellement expliquer ces faits, le moyen de transport principal utilisé joue probablement un rôle, aussi, dans le rapport entretenu à l’espace. Cependant, dans les deux terrains, les répondants étaient assez diversifiés en âge, revenus, type d’emploi, temps de résidence (voir annexe 6). Il est vrai que ceux du Mile-End Est étaient globalement plus jeunes,

167 plus portés à se déplacer activement ainsi que légèrement plus portés à travailler à proximité (ou de la maison), mais ceci n’explique pas la totalité des écarts enregistrés entre les deux terrains au niveau de la spatialisation et de la permanence des espaces du chez soi. L’explication la plus plausible est que l’environnement physique tient un rôle dans ces divergences.

Ce mémoire a également abordé, lors du retour sur la première hypothèse de travail, des phénomènes d’attirance et d’évitement reliés à la forme urbaine et jouant sur la fréquentation. Si l’effet de l’environnement physique diverge, ici, en fonction des préférences, toujours est-il que certains endroits repoussent, globalement, plus que d’autres. Par ailleurs, le fait d’être attiré ou repoussé par certains endroits en fonction de leurs caractéristiques physiques serait plutôt commun à tous (bien que lesdits endroits qui repoussent et attirent peuvent différer). La trame urbaine, par l’orientation de ses voies (types, formes, le fait qu’elles soient coupées ou non, la longueur des pâtés de maison) semble également avoir un rôle plutôt général sur la construction de l’espace du chez soi, bien que le mode de transport utilisé est un facteur qui change l’impact de la trame urbaine sur la délimitation de l’espace du chez soi. Par ailleurs, l’environnement physique favorise, de manière plutôt générale, certaines interactions sociales, ce qui a un impact indirect sur l’espace du chez soi. Enfin, celui-ci joue un rôle dans le modelage des attentes par rapport à l’environnement physique (par les expériences passées), et influence les images et valeurs qui sont associées à un lieu. Si ce lien est loin d’être direct, il parait relever d’un processus plutôt commun, quoique certains peuvent réagir en réaction à ce qu’ils ont déjà connu et chercher l’opposé. Ils sont, toutefois, dans un processus qui reste en relation avec leurs expériences passées, même s’ils s’opposent à celles-ci.

Par ailleurs, il a été démontré que les ruptures de l’environnement physique jouaient bien un rôle dans la délimitation de l’espace du chez soi, que celles-ci servaient non seulement de prises où poser les limites de l’espace du chez soi, mais que plus elles étaient fortes, plus elles tendaient à faire converger les limites, elles n’étaient par ailleurs que rarement outrepassées.

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Figure 6.12: Le non chez soi (à gauche) et le chez soi (à droite) de l’ensemble des participants du Mile-End Est (11/11)

Source : Laurence Leduc-Primeau

Il se dégage donc des deux terrains choisis des espaces du chez soi qui, bien que tous différents, ont, dans chaque terrain, plusieurs caractéristiques semblables. Ils sont beaucoup plus homogènes, fermés et fixes dans Saint-Sulpice que dans le Mile-End Est. Étant donné le nombre plus faible de rupture forte dans une direction donnée, les espaces du chez soi ont tendance à converger beaucoup plus dans Saint-Sulpice que dans le Mile-End. Les caractéristiques physiques du domaine Saint-Sulpice auraient tendance à générer des espaces du chez soi plus semblables où les valeurs associées aux lieux se ressemblent davantage. En effet, le territoire aux environs du Mile-End Est semble beaucoup plus contesté. C'est-à-dire qu’un lieu donné, dans le Mile-End, a beaucoup plus de chances d’être à la fois un lieu où certains participants se sentent « très chez eux » et un lieu où d’autres participants ne se sentent « pas chez eux du tout » que dans le domaine Saint-Sulpice. La figure 6.12 montre la diversité des « non chez soi » comptabilisés par les participants du Mile-End Est, par rapport à l’ensemble des espaces du chez soi préalablement montré. L’ensemble de la carte semble couvert à la fois de rouge (non), et de bleu (oui). Plus particulièrement, une analyse détaillée de chaque espace du chez soi montre que les lieux particulièrement contestés semblent être les alentours de la voie ferrée (bien que principalement un « non » elle est un « très chez soi » pour certains), la rue Saint-Denis (partagé, environ 50% « oui » et 50% « non »), l’avenue Mont- Royal (idem) et la rue Laurier (majoritairement « non » mais « très chez soi pour certains »). La

169 multitude d’ambiances présentes dans le Mile-End pourrait contribuer à ces contestations. Dans le domaine Saint-Sulpice, les lieux qui sont classés comme étant « chez soi » et « non chez soi » sont assez consensuels. L’ancienne carrière Miron est le seul lieu qui semble réellement contesté à ce niveau.

Ces résultats permettent d’ouvrir une parenthèse sur l’exclusivité de l’espace. En effet, les lieux qui ont des formes urbaines favorisant une cohabitation d’espaces du chez soi plus diversifiés permettraient également à une plus grande quantité de lieux d’être contestés (c'est-à-dire, significatifs, aimés, appropriés, importants pour certains alors qu’ils sont non-significatifs, sans importance, évités, craints ou détestés pour d’autres). Il se peut que, dans le temps, des lieux plus encadrés, où les espaces du chez soi ont plus de chances d’être convergents, génèrent une image plus unifiée du territoire, où l’« Autre » détonne plus facilement, car plus visible. Si la question est ouverte et qu’une réponse simple ne peut y être amenée, toujours est-il que la relation des participants, dans chaque terrain, avec leur HLM est instructive à ce niveau. En effet, les HLM du domaine Saint-Sulpice, beaucoup plus visibles que les autres, car dans un terrain passablement homogène où l’intérieur est clairement séparé de « l’extérieur », causaient davantage de problèmes et tensions que les autres. Il ne s’agit là que d’un exemple, mais cette question, celle du lien entre la forme urbaine, la délimitation (convergente) des espaces du chez soi et l’exclusivité de l’espace est à approfondir.