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Chapitre 6 : Analyse, discussion et essai d’interprétation

6.1.4. Le rôle de la forme sur les attentes

6.1.4.1. La recherche d’un certain idéal-type

La forme urbaine tient un rôle de manière indirecte sur les valeurs et significations qui sont associées à un lieu (modèle 2). Il est ressorti très clairement des entrevues que les participants recherchaient des environnements inspirés d’idéaux-types et que les valeurs associées à un lieu influaient sur leur recherche de domicile. Les participants cherchaient la « ville », la « ville- nature », la « nature-ville » ou la « banlieue accessible ». Ces valeurs sont tranchées de manière assez nette entre les deux terrains (voir figure 5.14, au chapitre précédent). Ceci laisse présager qu’elles sont partagées de manière assez uniforme par les résidents de ces secteurs. La forme urbaine n’est pas étrangère aux appositions de ces valeurs. Des secteurs, tels Saint- Sulpice, verts, tranquilles, sécuritaires, à proximité d’écoles, avec abondance de résidences unifamiliales risquent plus facilement d’être associés à « un petit paradis familial » qu’un secteur dense, où foisonnent les bars et les restaurants. Ou à tout le moins, de ne pas véhiculer la même image de la famille. Comme les participants recherchent un environnement qui les représentent, la forme urbaine a un impact très important, quoique indirect, dans les valeurs qui sont associées aux lieux, et qui attirent des résidents spécifiques.

6.1.4.2. La recherche du connu et l’habituation

La forme urbaine vient également jouer sur les attentes en participant à la construction de celles-ci. Une très grande majorité de participants ont mentionné rechercher ce qu’ils connaissaient déjà, ce avec quoi ils étaient déjà familiers. À ce sujet, le graphique présentant les résidences précédentes des participants est probant (figure 5.16, chapitre précédent). Le chapitre précédent a par ailleurs fait ressortir l’importance de l’expérience de vie et des souvenirs à ce niveau. Il semble que de manière indirecte, les souvenirs pourraient modeler la construction mentale qu’un individu se fait de « la ville » (ou de « la vie ») et participer à construire ses attentes par rapport à l’environnement physique. Il est possible que plus les souvenirs sont forts, plus ils remontent dans le temps et ont été activés fréquemment depuis, plus ils risquent d’avoir un impact sur le rapport futur au lieu. Cette hypothèse n’est cependant pas testée, elle mériterait d’être creusée davantage.

139 Par ailleurs, lors des entrevues, un autre type de souvenir, nommé « souvenir indirect » dans le chapitre précédent, a également été relevé. Il s’agit de lieux dans la ville qui font penser à un autre lieu, lui, plein de souvenirs. Il s’agit en quelque sorte du pendant « à venir » de la première catégorie de souvenirs, ceux qui participent à modeler le rapport au lieu. Ces endroits semblaient permettre aux participants (à certains participants) d’établir rapidement des liens avec l’espace. Il serait intéressant de voir si, dans le temps, un processus dynamique lié aux lieux et aux espaces se crée dans la réactualisation des souvenirs et la création de liens entre eux. Les expériences passées permettraient d’établir un certain rapport au lieu et lorsqu’un rapport du même type, ou faisant penser au premier, peut être établi dans un lieu nouveau, celui-ci permettrait de se l’approprier plus facilement. Les expériences précédentes, en terme de rapport au lieu, auraient donc une influence sur les choix futurs. S’il est vrai qu’une grande partie des participants cherche un chez soi qui leur correspond, ce qu’ils recherchent n’est pas dénué, en fait, d’une recherche de ce qu’ils ont déjà connu. Le lien entre ce que l’on a connu et ce que l’on cherche, au niveau de la forme urbaine, n’est certainement pas direct. Nous pouvons retenir que (1) la morphologie urbaine ne joue pas de manière directe sur l’espace du chez soi par rapport aux souvenirs forgés dans le lieu, mais que de manière indirecte, ceux-ci participent à construire les attentes des individus par rapport à la forme urbaine et que (2) la forme d’un lieu qui en rappelle un autre jouerait de manière indirecte sur l’espace du chez soi, en permettant de s’ancrer plus facilement et plus rapidement dans l’espace.

Par ailleurs, un phénomène intéressant, que l’on pourrait nommer « phénomène d’habituation » a été soulevé par les entrevues. Il a fréquemment été mentionné « qu’on s’habitue à tout », à l’environnement. Plusieurs participants ont mentionné s’adapter, finir par aimer ce qu’ils n’aimaient pas. Ceci étant dit, il semble que l’on ne s’habitue pas à tout, malgré ce que plusieurs participants ont mentionné. Des participants ayant vécu ailleurs ont fait mention du fait qu’ils n’ont pas réussi à s’adapter, à s’habituer ou à aimer cet environnement qui ne leur correspondait pas, qu’ils n’avaient pas choisi. Ils étaient moins portés à s’y mêler. Les expériences passées pourraient avoir un rôle dans ce à quoi « on s’habitue ». Cependant, l’expérience des lieux et de l’espace étant continue, il se peut qu’avec le temps, le rapport aux lieux soit amené à changer. À titre d’exemple, un participant a mentionné qu’un lieu qu’il considérait non pensé pour les humains a changé de valeur pour lui depuis qu’il y a découvert une communauté chaleureuse. Pour un autre, les désagréables abords de la voie de chemin de

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fer, près de Saint-Laurent, sont devenus plus significatifs alors qu’il a appris que les anciens studios de Lhassa42 y sont situés, et que des gens se réunissaient pour commémorer son nom.

Bref, s’il semble bien exister un lien entre la forme urbaine, les expériences passées, celles à venir et l’espace du chez soi, celui-ci est complexe et cette recherche ne permet pas de l’établir avec précision. Assez de concordances ont été relevées, cependant, pour que le phénomène mérite d’être étudié davantage et approfondi. Une hypothèse à creuser serait celle du modèle expérientiel dont parlait Stedman (2003) (modèle 3). Celui-ci stipule que les expériences passées créent un filtre au travers duquel seront par la suite attribuées des valeurs aux lieux. À la lumière des résultats et réflexions présentées, il semble que le modèle serait pertinent, mais à raffiner en ce qui concerne la complexe relation entre la forme urbaine, les souvenirs, les expériences et les attentes par rapport à l’environnement physique, dans l’espace du chez soi.