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Chapitre 3 : Méthodologie

3.3. Parcours commenté et entretien semi-dirigé

Bien que l’analyse morphologique et paysagère ait été présentée en premier, et qu’elle soit essentielle à la démarche, la stratégie principale de ce mémoire en est une basée sur l’entretien. Ceci, afin d’explorer le sens que l’enquêté lui-même donne à ses gestes et actions. La méthode des entretiens, semi-dirigés dans le cas présent, est fort utile et génère des récits riches d’information à traiter. Elle n’est cependant pas sans faille. Une des limites majeures à contourner dans le cadre de ce projet, était la difficulté que pourraient avoir les sujets à verbaliser en termes précis et pertinents la relation qu’ils entretiennent avec l’environnement, et particulièrement d’aborder ces impacts dont ils ne seraient pas conscients (troisième hypothèse de travail), sur un thème qui n’avait fort probablement jamais effleuré leur esprit auparavant. Afin de pallier cette limite, il a été décidé de procéder à des parcours commentés.

En effet, il a été identifié par Hitchings et Jones (2004) que le fait d’être « sur place » permettait de mieux verbaliser les attitudes et émotions reliées à l’environnement ou au lieu en question. Par ailleurs, pour Kusenbach (2003) les parcours commentés permettraient à des relations cachées ou inaperçues avec l’environnement d’émerger. L’environnement fournirait des indices qui permettraient aux sujets de développer et clarifier leur pensée. En étant immergés dans l’environnement duquel ils parlent, les participants feraient plus de liens spontanés avec celui-ci. Pour Evans et Jones : « Walking interviews produce a decidedly spatial and locational discourse of place, which is structured geographically rather than historically » (Evans et Jones 2011, 856). La technique du parcours commenté s’avérait donc toute indiquée.

Il existe par ailleurs plusieurs variantes aux parcours commentés, notamment qui du sujet ou de l’intervieweur choisit le parcours, et la manière dont les données sont spatialisées, ou non.13 Dans ce cas-ci, le trajet a été choisi par le sujet et les données n’ont été que sommairement spatialisées, puisque cela suffisait à l’analyse projetée. L’intervieweur accompagnait donc le sujet en lui posant diverses questions. Le déroulement des entrevues est expliqué ci-après.

13 Pour plus d’informations sur les différentes possibilités de parcours commentés et leurs limites, voir Evans et Jones

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3.3.1. Déroulement des entrevues et dimensions abordées

Au début de l’entretien, à la porte du domicile, le participant avait pour directives générales d’amener l’intervieweur à des endroits à l’extérieur de sa résidence où il se sentait « très chez lui » ainsi qu’à des endroits où il ne se sentait « pas chez lui du tout ».14 Au cours du parcours, les différentes dimensions du concept de limites de l’espace du chez soi étaient abordées, de manière plutôt ouverte et sous forme de conversation. L’objectif était de déterminer, pour les participants, ce que cet espace du chez soi et ses limites signifiaient, la compréhension qu’ils en avaient et la manière qu’ils avaient de les définir.

L’entrevue abordait donc la permanence des limites dans l’espace (en fonction du trajet, du moyen de transport, de l’heure de la journée, des saisons, etc.) ainsi que dans le temps (depuis le déménagement), les motifs et raisons qui poussaient le participant à placer une limite à cet endroit plutôt qu’ailleurs (traversez-vous souvent? S’est-il passé quelque chose?). Lorsque cela s’avérait possible (les limites étant assez proches), les participants étaient amenés à traverser une de ces limites, afin de les aider à verbaliser les différences qu’il y avait entre le chez soi et le non chez soi. Le participant était amené à se demander « ce qui change » entre un côté et l’autre de cette limite. Les fonctions des limites étaient également abordées. À ce sujet, il était demandé au participant s’il pouvait imaginer et décrire un monde sans frontière. Ensuite, il lui était demandé de décrire, donc, à quoi les frontières servaient, ce qu’elles pouvaient avoir comme effet, que ce soit positif ou négatif, et en quoi cette définition qu’ils venaient de donner des frontières s’apparentait à ces limites que nous étions en train de déterminer. L’importance que prenait cet espace dans le quotidien était également abordée (cet espace existe-t-il? Est-il important? Quelle est la différence entre être à l’intérieur ou à l’extérieur?). Afin d’amener un élément de comparaison, la dernière résidence (ou une résidence marquante) faisait l’objet de questions. L’espace du chez soi actuel était comparé avec l’ancien afin d’évaluer sa forme, son étendue, la clarté qu’il avait et cerner en quoi ces espaces différaient et pourquoi. L’entrevue abordait également les éléments de gradation qui pouvaient exister, les points de repères que les participants pouvaient avoir. Elle tentait aussi d’évaluer si certaines limites étaient plus fortes, plus marquées que d’autres, et pourquoi. Les références directes à l’environnement

14 L’espace du chez soi était défini et expliqué aux participants comme « ce territoire où vous avez encore

l’impression d’être chez vous, même si vous n’êtes plus physiquement à votre domicile ». L’espace du non chez soi était défini et expliqué comme « ce territoire où vous n’avez plus l’impression d’être chez vous. Ce sentiment n’est pas nécessairement négatif. Vous avez peut-être seulement l’impression d’être ailleurs».

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physique étaient évitées, autant que possible, au début des entrevues, afin de laisser le temps au sujet d’émerger de lui-même. La figure 3.1 présente de manière schématisée les thèmes abordés lors du parcours commenté.

Figure 2.4: Schéma des thèmes abordés lors du parcours commenté

Source : Laurence Leduc-Primeau

Le trajet s’effectuait à pied. Plusieurs autres options avaient été considérées afin de ne pas contraindre les choix de déplacement, tel qu’accompagner le participant dans son moyen de transport principal. Mais effectuer les entretiens ainsi posait d’autres problèmes, notamment au niveau de la difficulté qu’il y a d’interroger quelqu’un qui est en train de conduire un vélo ou une voiture et de l’implication et du niveau de confiance plus grands qui étaient requis du participant afin que celui-ci accepte de faire monter l’interviewer dans son véhicule personnel. Compte tenu des contraintes, il a été décidé que l’entretien aurait lieu à pied. Cependant, il était mentionné aux participants qu’il se pouvait que leurs limites soient trop loin afin que nous puissions nous y rendre à pied. Dans ce cas, nous abordions ces limites sans nous y rendre physiquement. Par

43 ailleurs, il était demandé aux participants lors des entrevues si leurs limites changeaient en fonction du moyen de transport utilisé, et en quoi celles-ci changeaient. Enfin, à la fin de l’entrevue, des cartes à différentes échelles étaient présentées aux participants, afin qu’ils y tracent, entre autre, les limites de l’espace de leur chez soi et pallier en partie cette contrainte de distance de marche que le parcours avait imposée.

Tel que mentionné, une fois le parcours terminé, les participants étaient invités à s’asseoir (généralement dans un parc, à une table à pique-nique). Des cartes leur étaient présentées. Les participants devaient tracer sur le trajet parcouru, délimiter l’espace de leur chez soi, marquer le non chez soi ainsi que leurs points de repères et les barrières majeures à proximité. Cette deuxième partie de l’entretien permettait de résumer le contenu des échanges, revenir sur les propos-clés, ainsi que valider les réponses données. Les ruptures de l’environnement physique étaient par ailleurs abordées plus directement à cette étape. L’entrevue se terminait avec des questions sur les caractéristiques individuelles des participants, qui visaient à établir leur situation matrimoniale, leur histoire résidentielle ainsi que leur caractéristiques socio- économiques, et à tracer un bref portrait de leurs pratiques de l’espace.

En tout, une dizaine d’entrevues par terrain ont été effectuées, à l’automne 2012 (11 dans le Mile-End Est, 10 dans le domaine Saint-Sulpice). Ce corpus ne se voulait pas statistiquement représentatif mais a été établi, d’une part par rapport aux contraintes de temps posées par la recherche et d’autre part, afin de permettre d’arriver à la saturation des données. Des deux portions de l’entrevue (mobile et fixe), le parcours commenté occupait la majeure partie (environ 45 minutes) alors que la partie assise durait environ 15 minutes.

3.3.1. Méthode et critères de recrutement des participants

Étant donné que ce mémoire observe un phénomène global ou universel si l’on peut dire, le maximum de diversité a été visé chez les participants. C’est pourquoi aucun groupe en particulier n’a été sélectionné. Le recrutement des participants s’est fait principalement par du porte-à-porte dans les terrains choisis. Tous les résidents majeurs des secteurs choisis pouvaient potentiellement participer à la recherche, ce qui s’approche d’un échantillon aléatoire

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simple. Bien que cette méthode, quantitative, ne s’applique pas directement à une approche qualitative, les portes ont été choisies au hasard, sans biais quelconque.

Approcher les participants potentiels via du porte-à-porte permettait d'expliquer verbalement les grandes lignes du projet et d’établir un premier contact, tout en permettant un choix aléatoire des portes. À cette occasion un court document explicatif (« Feuillet explicatif », voir annexe 4) contenant les coordonnées de la chercheure a été laissé aux participants potentiels. Des entretiens ont par la suite été planifiés, par téléphone. Les rues choisies pour le recrutement des participants devaient être majoritairement résidentielles. Ceci afin de maximiser les chances d’avoir un nombre intéressant de participants vivant à proximité, ce qui facilitait par la suite la comparaison des données. Le recrutement s’est fait en premier lieu sur une portion de rue satisfaisant les critères puis, d’autres portions de rues ont été ajoutées jusqu’à ce que le nombre d’entrevues visées ait été atteint. Les périodes de recrutement occupaient différentes plages horaires, afin de rejoindre différents types de répondants.

Par ailleurs, afin de diversifier davantage les types de répondants, l’échantillon a été complété par du recrutement « boule-de-neige ». Sur les vingt-et-un participants, seize ont été recrutés par porte-à-porte, et cinq par boule-de-neige (voir annexe 5 pour un tableau résumant les caractéristiques des participants).

Bien que les critères de recrutement n’étaient pas stricts, une attention a été portée afin d’établir un échantillon relativement diversifié, où une certaine répartition est assurée entre les sexes, les âges, les niveaux d’éducation/niveaux de vie et les temps de résidence, de manière à ne pas former un groupe de sujets homogène. Afin d’être en mesure de participer au parcours commenté, les participants ne devaient pas souffrir d’un handicap majeur, ou avoir besoin d’aide pour se déplacer à pied. Enfin, un seul participant par ménage a été choisi, par souci de diversité des sources.