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1. Saint Antoine et la construction du mythe

1.4 L'expansion du culte: du saint patronus Paduae au saint de tout le monde

1.4.1 Le rôle des franciscains et des jésuites

La renommée d'Antoine grandit, tout en accompagnant la diffusion du franciscanisme en Europe. En effet, le mouvement franciscain est caractérisé, dès le début, par l'esprit de mission. La pauvreté des frères mineurs rendait plus facile leur mobilité et donc leur action en tant que missionnaires. Saint François a envoyé les frères mineurs partout (en Allemagne, en France, en Espagne, en Hongrie, en Angleterre, au Maroc, par exemple) et a lui-même voyagé jusqu'en Égypte. Même après son décès, la croissance rapide des franciscains continue par tout le monde connu de l'époque. Ils voyagent vers l'Orient, en empruntant la route de la soie (la Perse, l'Inde, la Chine). Ainsi, la diaspora franciscaine a permis la dispersion du culte à saint Antoine.

En 1217, les franciscains arrivent au Portugal et les couvents d'Alenquer, Guimarães, Lisbonne et possiblement celui de Coimbra sont fondés la même année. Ils ont

20 Cette version de la légende présente un plus grand nombre de détails que les versions précédentes de la

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rapidement construit des couvents dans toutes les régions portugaises, particulièrement dans les municipalités de Lisbonne, Alenquer et Vila Franca de Xira (région de Lisbonne), Braga, Coimbra, Évora et à Angra do Heroísmo (île Terceira, aux Açores). Cette croissance est particulièrement remarquable au 16e siècle, avec la création de 113 couvents, dont 76 masculins.

Le tableau suivant a été élaboré à partir des données colligées par Maria José Bigotte Chorão (2000 : 19-25) et présente le patronage des couvents franciscains fondés entre le 13e et le 18e siècle. La plupart de ces couvents appartiennent aux capucins. Le fait qu'il y a plus de couvents franciscains masculins dédiés à saint Antoine qu'au fondateur de l'ordre, démontre la popularité du saint entre les franciscains portugais et nous aide à comprendre leur rôle dans la diffusion de son culte. Par ailleurs, il est surprenant de constater qu'il n'y a pas de couvents de moines augustiniens portant son nom... Le Portugal compte le plus grand nombre de couvents portant le nom du saint, presque 10 fois plus qu'en Espagne, en France ou en Italie.

Patronage des couvents franciscains au Portugal

Masculins % Féminins % Total %

Saint Antoine 67 32,4 0,0 67 22,6 Saint-Esprit 3 1,4 1 1,1 4 1,4 Saint François 43 20,8 1 1,1 44 14,9 Jésus 5 2,4 7 7,9 12 4,1 Vierge Marie 58 28,0 47 52,8 105 35,5 Sainte Claire 0,0 13 14,6 13 4,4 Autres 31 15,0 20 22,5 51 17,2 Total 207 89 296

Tableau 2 - Le patronage des couvents franciscains au Portugal entre le 13e et le 18e siècles.

Le fait que saint Antoine et la reine sainte Élisabeth du Portugal intègrent respectivement le Premier-Ordre et le Tiers-Ordre a définitivement contribué au succès des franciscains (Brunetto 1996 : 133).

Les franciscains ont accompagné les découvertes maritimes portugaises depuis le 15e siècle. Ils sont présents au Cap-Vert, à Guinée, au royaume du Congo ainsi qu’en Inde. Saint Antoine est patron des couvents franciscains de Cochin (1518), Saint-Thomas (1545), Baçaim, actuel Vasai-Virar (1547), Cannanore (1549) et Quilon (1550), en Inde et Colombo (1543) au Sri Lanka (Braga 1996 : 1045).

En 1500, les frères mineurs accompagnent Pedro Álvares Cabral, lors de la découverte du Brésil. Ils sont également présents lors de quelques missions par la suite dans cette zone géographique. Le Brésil gagne d'ailleurs de l'importance dans le contexte économique portugais depuis le milieu du 16e siècle principalement dû à la production du sucre. En 1585, les franciscains s'y installent définitivement et fondent le couvent Notre- Dame-des-Neiges à Olinda (Pernambouc). L'établissement des ordres religieux au Brésil était lié non seulement à leur fonction religieuse auprès des colons et des Indiens, mais également en raison de la menace des Hollandais depuis l'inclusion du Portugal dans la Couronne espagnole, en 1580. Entre 1585 et 1645, les établissements franciscains sont régis par la Custodie de Saint-Antoine du Brésil (sise au couvent Saint-Antoine d'Olinda) qui, à son tour, dépendait de la Province de Saint-Antoine du Portugal. Son territoire s'allongeait de l'État de Paraíba jusqu’à Rio de Janeiro ; on y comptait 9 couvents. En 1645, la Custodie devient autonome, prend le nom de Province de Saint-Antoine du Brésil et établit, en 1657, son siège à Salvador, Bahia. Entre 1585 et 1650, les franciscains construisent 15 couvents, dont 8 sont dédiés à saint Antoine: Iguaraçu (1588), Paraíba (1589), Recife (1606), Rio de Janeiro (1608), Ipojuca (1609), Santos (1639), Paraguaçu (1649) et Cairu (1650) (Silva 2010 : 106)21.

Le culte au saint a créé des racines profondes au Brésil. Selon le témoin de frère Jaboatão en 1661:

21 Bien que la majorité des couvents se situent dans le Nord-est, l'établissement de couvents dans le Sud

oblige à la création de la Custodie de Notre-Dame de la Conception (Espirito Santo, Rio de Janeiro et Sao Paulo) en 1659 qui deviendra une Province en 1675.

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Si la dévotion des Portugais est très grande envers saint Antoine de Lisbonne, elle l'est encore plus dans cette région. Il est patron de plusieurs paroisses et d'une très grande quantité de chapelles portant son nom. Toutes les autres chapelles possèdent dans leurs autels une ou plusieurs images du saint ; les maisons ont un oratoire où il est adoré ; et, en plus, chaque personne aime même porter son image 22.

L'expansion du culte est, sans doute, de prime abord l'œuvre des franciscains. Il y a, cependant, d'autres ordres qui participent à l'expansion du culte, notamment la Compagnie de Jésus. Fréquemment, les jésuites associent Antoine aux saints de leur ordre (Ignace de Loyola et François-Xavier) dans leurs représentations artistiques. Un fait significatif est que la première église de Macao, fondée par les jésuites en 1562, fut dédiée à saint Antoine.

Nous verrons que de nombreux prêcheurs jésuites ont rendu hommage à saint Antoine, le plus célèbre étant le père António Vieira (1608-1697). Mentionnons aussi le jésuite sicilien Bernardo Colnago (1545-1611). Selon Lorenzo Finichiaro (1653 : 69-78), qui a publié en 1653 à Palermo Le attioni ed opere meravigliose del P. Bernardo Colnago

della Compagnia di Giesv, Colnago portait toujours sur soi une image de Saint-Antoine,

ayant reçu les prodiges du saint.

22 Je traduis du texte original en portugais: «Sendo entre todos os Portuguezes muy particular, e em extremo a

affecta veneração, que se tem ao nosso Santo Antonio de Lisboa, passa a extremoza a que nestas partes lhe mostrão geralmente todos. Porque álèm das muitas Igrejas Parochiaes, de que he Titular, são innumeras as Capellas, e Hermidas consagradas ao seu nome, e fora destas, não há algumas das outras, que nos seus Altares não colloque huma, e muitas Imagens deste Santo; não há casa, que o não venere no seu Oratorio; e não satisfeita ainda com isto a commua devoção dos Fieis, cada hum quer ter só para si o seu Santo Antonio» (cité par Silva 2010 : 106-107)

Figure 2 - Carlos Bonvalot (1893-1934), La pêche du père Bernardo, 168 x 182 cm

(12 x 13 azulejos), 1929, église Saint-Antoine d'Estoril, Lisbonne.

Un panneau d'azulejos, peint par Carlos Bonvalot en 1929, inséré dans un cycle de miracles antoniens de l'église Saint-Antoine à Estoril, présente La pêche du père Bernardo (figure 2), un épisode mentionné par Finichiaro (1653: 72-73).

Alphonse Dupront (1977 : 47) mentionne la diffusion du culte fait par les jésuites dans la région de Perpignan, en France, où quelques chapelles jésuites sont dédiées à saint Antoine. Nous constatons aussi cette situation dans plusieurs églises jésuites du Portugal: à Coimbra, à Lisbonne, à Évora, à Faro et à Elvas.