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Chapitre VI : Synthèse générale et perspectives

VI.2. Rôle de la canopée dans le fonctionnement de la zone à A. nodosum

A l’échelle de la Bretagne, les biomasses d’A. nodosum sont homogènes et peu affectées par les différences de récoltes entre les sites. De même, la communauté algale et animale, typique des zones à A. nodosum, forme un continuum relativement homogène : la diversité algale et les abondances animales semblent davantage influencées par les différences de perturbation abiotique ou anthropique, alors que l’essentiel des variations de diversité animale semble largement dû à la variabilité naturelle des zones à A. nodosum. A l’échelle d’un site, le retrait total ou partiel de la canopée semble avoir un effet significatif uniquement au sein de quelques groupes fonctionnels de la communauté algale. La richesse spécifique de la communauté algale semble être contrôlée par l’identité de l’espèce formant la canopée. Au contraire, la communauté animale apparaît plus résiliente au retrait total ou partiel de la canopée à A. nodosum : alors que tous les groupes trophiques sont affectés par l’absence de canopée, la réapparition d’une canopée, indifféremment d’A. nodosum ou de Fucus vesiculosus, permet la restauration quasi-totale de la richesse spécifique, de la diversité fonctionnelle et des abondances de la communauté animale. La canopée d’A. nodosum a donc un rôle plus ou moins important pour le maintien de la diversité algale et animale associées à la zone et les canopées d’A. nodosum et de F. vesiculosus présentent une redondance fonctionnelle seulement partielle vis-à-vis de la composition des communautés associées.

L’étude de l’architecture trophique de la zone a mis en évidence le fait que le réseau trophique de la zone n’est pas basé sur l’utilisation préférentielle des principaux producteurs primaires. Au contraire, le réseau trophique riche en consommateurs est basé sur l’utilisation des nombreuses sources présentes sur la zone. La zone est dominée par (1) des filtreurs qui utilisent probablement autant de matière issue des macroalgues et du microphytobenthos que les brouteurs, (2) des brouteurs généralistes se nourrissant de la plupart des sources disponibles, (3)

des prédateurs, dont le régime alimentaire comprend une part importante d’omnivorie, qui se nourrissant sur plusieurs niveaux trophiques. Cette architecture trophique commune aux deux sites étudiés découle probablement de la multiplicité de sources présentes et de leur importante variabilité. Ainsi, malgré les variations de diversité de la communauté algale sous l’influence des paramètres biotiques et abiotiques et des perturbations anthropiques, le régime généraliste de la plupart des consommateurs permet le maintien des voies de transfert de matière. Une forte proportion d’omnivorie a en effet été observée dans un milieu soumis à de fortes variations spatio-temporelles de disponibilité des sources de matière organique (Norkko et al. 2007). Seule la disparition de toute canopée, entraînant la disparition de nombreuses espèces animales, semble remettre en question la pérennité des voies de transferts de matière de la zone. Ainsi, des perturbations opérant sur des estrans rocheux dominés par des canopées ne pouvant pas être remplacées par des espèces fonctionnellement similaires (Lilley & Schiel 2006) pourraient avoir des conséquences bien plus importantes sur le fonctionnement de ces zones.

L’étude du réseau trophique des deux zones à A. nodosum distantes de plusieurs centaines de kilomètres a également mis en évidence que les mêmes principales sources et consommateurs dominants sont présents aux deux sites et qu’au sein de chaque groupe trophique, la composition isotopique relative des consommateurs dominants est assez stable dans le temps et entre les sites. Ces caractéristiques sont cohérentes avec une stabilité structurelle du réseau trophique de la zone à l’échelle régionale. L’étage médiolittoral moyen se caractérise par un niveau relativement élevé de stress environnemental (Raffaelli & Hawkins 1999). Le rôle d’espèce fondatrice d’A. nodosum (sensu Bruno & Bertness 2001), par son effet bénéfique de réduction du stress thermique et de la dessiccation sur la composition de la communauté (Bertness et al. 1999, Jenkins et al. 2004), avait déjà été mis en évidence auparavant. La stabilité structurelle du réseau trophique à l’échelle régionale suggérée ici, et ses conséquences sur la stabilité des processus biogéochimiques à une telle échelle, pourrait constituer une interaction positive supplémentaire résultant du rôle de facilitation de la canopée.

Enfin, l’étude du métabolisme des différentes ceintures algales, montrant que les canopées étudiées sont responsables de flux de carbone équivalents, suggère une redondance fonctionnelle du rôle de ces canopées dans les processus biogéochimiques des estrans rocheux abrités. Suite à la récolte partielle ou totale d’A. nodosum, la restauration relativement rapide d’une canopée de F. vesiculosus a permis d’assurer le maintien des flux de carbone au sein de la zone, indépendamment de l’effet de la perturbation sur la diversité algale et animale de la zone.

fonctionnellement redondante en termes de métabolisme permet la restauration du métabolisme et des divers groupes trophiques de la zone et donc une stabilité des processus biogéochimiques malgré la perturbation entrainant la disparition d’espèces. Un phénomène semblable a été observé lors de l’étude de l’effet de la disparition de poissons prédateurs sur un réseau trophique : cette perturbation a eu pour effet l’augmentation significative des abondances d’herbivores mais également une modification de la structure de la communauté algale permettant le maintien de la biomasse algale totale et donc probablement la stabilité des flux de matières de l’estran rocheux étudié (O'Connor & Bruno 2007). La complexité qui caractérise les milieux rocheux en termes de biodiversité et le rôle de cette diversité sur les flux et les voies de transfert de la matière assurerait la stabilité du fonctionnement de ces zones (Fig. VI.1.).

Figure VI.1. : Schéma des facteurs à l’origine de la stabilité du réseau trophique, par l’intermédiaire du maintien des voies de transfert de la matière, et à l’origine de la stabilité du métabolisme, par l’intermédiaire du maintien des flux de matières, qui permettent in fine d’assurer la stabilité du fonctionnement de la zone.

En simulant des perturbations réalistes pour l’écosystème, d’autres études devraient s’intéresser à l’effet de disparitions d’espèces ou de groupes trophiques sur (1) la restauration de l’espèce cible, (2) la diversité spécifique et fonctionnelle de la communauté algale et animale et (3) le métabolisme de la zone ou son réseau trophique. De telles études permettraient de tester la validité du schéma proposé ci-dessus au sein de différentes zones des milieux rocheux.