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Chapitre II: Description de la zone à Ascophyllum nodosum en Bretagne

II.3. Discussion

II.3.1. Etat des stocks en lien avec la récolte d’A. nodosum

La difficulté à définir des individus d’A. nodosum (Aberg 1989) est probablement la première explication du peu de données sur les longueurs et les densités d’A. nodosum qui existent dans la littérature. Ces rares études ont permis d’estimer des longueurs moyennes (± E.T.) de 69 ± 26,3 cm et 86 ± 2,7 m en Irlande (Kelly et al. 2001) et de 74,5 ± 27,6 cm au New Brunswick, Canada (Ugarte et al. 2006), comparables aux valeurs mesurées dans la présente étude, et des densités de 50 ind.m-2 (Bertness et al. 1999), deux à plus de trois fois supérieures à celles estimées ici. En revanche, des mesures directes et indirectes des biomasses ont été réalisées le long de l’étendue géographique de l’espèce. Ainsi, les biomasses d’A. nodosum ont été estimées à 0,6 ±0,33 kgPS.m-2 au New Hampshire, USA (Chock & Mathieson 1983), à 1,04 ± 2,03 kgPS.m-2 en Islande (Munda 1987), de 1,6 ± 0,43 à 3,0 ± 0,82 kgPS.m-2 dans le nord de l’Espagne (Soneira & Niell 1975) et à 4,5 ± 0,39 kgPS.m-2 dans le nord de la Bretagne (estimations faites d'après Guillaumont et al. 1993, Arzel et al. 2001). Les stocks étudiés de Penmarc’h à Bréhat figurent parmi les plus fortes valeurs mesurées, suggérant ainsi que les plus fortes abondances de la distribution d’A. nodosum se concentrent, entre autres, en Bretagne.

L’étude des structures de population d’A. nodosum a mis en évidence des différences notables depuis des sites présentant une grande distribution des fréquences de longueur sur une large gamme de tailles jusqu’à des sites ayant une distribution restreinte et centrée autour des plus grandes tailles (Fig. II.2.). Ainsi, près de 15% des frondes des deux sites de Bréhat mesuraient moins de 20 cm, ce qui représente la plus grande proportion de faibles longueurs, tandis que le reste de leurs frondes étaient régulièrement distribuées parmi la gamme de taille avec environ 45% des frondes mesurant entre 20 et 70 cm et environ 40% mesurant plus de 70 cm. Coulouarn présentait une situation intermédiaire où moins de 10% des frondes mesuraient

moins de 30 cm, 66% mesuraient entre 20 et 70 cm et à peine moins de 30% mesuraient plus de 70 cm. Enfin, à Molène et encore plus à Penmarc’h, les fréquences de longueur étaient centrées autour des grandes classes de tailles puisque moins de 10% des frondes mesuraient moins de 20 cm, environ 35% mesuraient entre 20 et 70 cm et près de 60% mesuraient plus de 70 cm (Fig. II.2.).

Ces trois situations reflètent les différences d’histoire de récolte ayant eu lieu à chaque site. En effet, plusieurs études réalisées en Nouvelle Ecosse (Canada) ont montré que la récolte d’A. nodosum modifiait la distribution des tailles en changeant une structure bimodale, où 50% des frondes mesuraient moins de 60 cm et plus de 30% mesuraient plus de 80 cm, en une structure unimodale où plus de 80% des frondes mesuraient moins de 60% et moins de 1% mesuraient plus de 80 cm (Sharp 1987, Ang et al. 1996). D’autre part, des mesures réalisées sur des sites non récoltés du New Brunswick, Canada, ont montré qu’environ 30% des frondes mesuraient moins de 60 cm et environ 40% mesuraient plus de 80 cm (Ugarte et al. 2006). Ceci confirme l’absence de récolte récente au moment où la présente étude a eu lieu. De plus, ces données suggèrent premièrement que la forte proportion de grandes classes de taille à Penmarc’h et Molène (Fig. II.2a & b) est due à une absence de récolte prolongée par rapport aux autres sites. Ceci a d’ailleurs été confirmé à Penmarc’h par un goémonier travaillant sur ce site. Deuxièmement, même si les longueurs moyennes à Coulouarn étaient significativement inférieures à celles de Molène et Penmarc’h (Fig. II.1.), la structure de population d’A. nodosum centrée largement au-dessus de la longueur de coupe légal (Figure II.2.c) suggère une histoire de récolte intermédiaire. Troisièmement, la forte proportion de frondes relativement courtes aux deux sites de Bréhat combinée à une bonne représentation des plus longues classes de tailles (Fig. II.2.d & e) suggèrent une récolte récente mais moins intense qu’aux autres sites. Enfin, l’absence de différences significatives des biomasses entre les sites malgré les différences de structures de population suggère que la perte de biomasse occasionnée par la récolte avait largement été compensée par une production et une croissance stimulées de thalles latéraux se formant à la base ou sur les thalles coupés au moment de la présente étude (Lazo & Chapman 1996, Ugarte et al. 2006).

II.3.2. Relation entre les communautés algales et animales et l’état des stocks d’A. nodosum La diversité animale observée au cours de cette étude se caractérise par (1) un assemblage restreint de taxons, caractéristiques de la zone à A. nodosum, et (2) un groupe plus grand de taxons accessoires, habituellement présents sur la zone mais de façon trop peu fréquente pour apparaître régulièrement à l’échelle d’une douzaine de cadrats au sein d’une zone plus vaste. L’assemblage caractéristique est dominé par Carcinus maenas, Dynamena pumila, Gibbula umbilicalis, Littorina obtusata, Nucella lapillus, Patella vulgata, et Spirorbis sp. (Tableau II.2.). Ces taxons sont d’ailleurs caractéristiques de la plupart des zones à A. nodosum (e.g. Boaden & Dring 1980, Connor et al. 1997, Kelly et al. 2001, Cervin et al. 2004). Plus particulièrement, les cinq sites présentent tous de fortes densités de L. obtusata, ce qui est plutôt caractéristique des zones à A. nodosum des côtes européennes (e.g. Underwood 1973, Viejo & Aberg 2003), tandis que les zones à A. nodosum du continent américain se caractérisent plutôt par de fortes abondances de L. littorea (Bertness et al. 1999, Petraitis & Dudgeon 2005). L’assemblage accessoire, variable entre les sites, est responsable du manque de structure de la diversité animale qui existe entre les sites (Fig. II.4.). De manière générale, les cinq sites d’échantillonnage sont donc représentatifs des zones à A. nodosum en terme de diversité taxonomique animale.

La communauté algale associée à A. nodosum est un peu plus complexe que la communauté animale, même si elle se caractérise par un assemblage également caractéristique des zones à A. nodosum et dominé par Hildenbrandia rubra, Phymatolithon lenormandii, Polysiphonia lanosa, et Ulva sp. (Tableau II.1.) (ex. Boaden & Dring 1980, Connor et al. 1997). En revanche, il existe bien une opposition entre les sites au sein de la communauté algale. Les deux premiers groupes isolés par l’analyse de groupement répartissent les sites selon la présence soit de Fucus vesiculosus, uniquement présente à Bréhat, soit de F. serratus, abondante aux autres sites et absente de Bréhat (Fig. II.3. & Tableau II.1.). Les fréquences de longueur d’A. nodosum à Penmarc’h et Molène indiquent l’absence de récolte prolongée tandis que les plus fortes proportions de frondes mesurant moins de 20 cm se trouvent aux deux sites de Bréhat (Fig. II.2.). Ces différences de structures de populations sont à l’origine des différences de distribution des deux espèces de Fucus. Jenkins et al. (1999b) ont suggéré que F. vesiculosus, a priori plus compétitive, a tendance à être présent au sein des zones à A. nodosum ayant subi les plus fortes perturbations tandis que F. serratus est surtout présent sous les canopées à A. nodosum bien développées. Même si les sites de Bréhat ne semblent pas avoir subi de fortes perturbations, ce sont certainement les sites ayant été récoltés le plus récemment, ce qui favorise La présence de F. vesiculosus. En revanche, F. serratus est largement présent sous les grandes canopées de

Penmarc’h et Molène et dans une moindre mesure de Coulouarn (Fig. II.3. & Tableau II.1.). Les deux autres groupes discriminés par le dendrogramme opposent les sites en fonction de la présence et de la fréquence d’occurrence de plusieurs algues gazonnantes et encroûtantes. Le groupe A1 est dû à la présence exclusive à Penmarc’h et Molène de nombreuses algues gazonnantes telles que Corallina elongata, Cladophora rupestris et Lomentaria articulata combinée aux fréquences d’occurrence d’Hildenbrandia rubra et de Phymatolithon lenormandii qui sont dominantes sur ces deux sites. Le groupe A2 est le résultat de la présence exclusive à Coulouarn et Bréhat ouest de petites algues gazonnantes telles que Catenella caespitosa et Antithamnionella elegans et aux fortes fréquences d’occurrence de Mastocarpus stellatus et de Polysiphonia lanosa sur ces deux sites. Les stocks d’A. nodosum présents sur ces deux derniers sites étaient également ceux ayant les plus fortes densités et biomasses, les plus courtes longueurs individuelles et des structures de population suggérant une récolte relativement récente (Fig. II.1. & II.2.). A l’inverse, Penmarc’h et Molène, caractérisés par la présence de gros rochers, présentaient des stocks ayant les plus longues frondes et des fréquences de longueur suggérant l’absence de récolte d’une durée supérieure aux autres sites (Fig. II.1. & Fig. II.2.).

Ces différences de caractéristiques biométriques entre les zones résultent sûrement de différentes conditions abiotiques qui influencent différemment les algues encroûtantes et gazonnantes sensibles aux stress lumineux et à la dessiccation. Il a d’ailleurs été montré que le retrait ou la diminution de la canopée d’A. nodosum a un effet délétère sur l’espèce encroûtante H. rubra et sur l’algue gazonnante Corallina sp. (e.g. Jenkins et al. 1999a, Cervin et al. 2004), que les faibles biomasses de fucales expliquent l’absence d’espèces gazonnantes telles que C. rupestris (Espinosa & Guerra-Garcia 2005) et qu’une forte sédimentation peut limiter la distribution des organismes sessiles (Bertness et al. 1999). La faible présence, en faible abondance, d’espèces gazonnantes et encroûtantes à Coulouarn et Bréhat ouest par rapport à Penmarc’h et Molène, dominés par de gros bloc rocheux, est sûrement due à la présence de plus petites canopées combinée à une plus forte accumulation de sédiment sur ces sites.

Si la composition taxonomique de la communauté animale est typique des zones à A. nodosum, les densités animales ne sont pas pour autant distribuées de façon homogène sur les cinq sites. Les densités à Molène sont significativement inférieures à celles des autres sites et celles de Penmarc’h sont significativement supérieures à celles de Bréhat ouest et de Coulouarn (Tableau II.2.). Ces différences sont à l’origine de la structure mise en évidence par l’AFC entre les abondances animales des différents sites. En effet, le premier axe de l’AFC est structuré à

minimales à Molène et Coulouarn (Fig. II.5. & Tableau II.2.). Il est maintenant établi que la zone à A. nodosum est la zone préférentielle de L. obtusata parmi toutes les zones à fucales (Underwood 1973) et que cette espèce est la littorine dominante des zones à A. nodosum des estrans européens (e.g. Watson & Norton 1987, Williams 1995). S’il a également été noté que la diminution ou le retrait de la canopée d’A. nodosum peut avoir des effets négatifs sur les abondances de L. obtusata, aucune étude ne semble avoir établi de relation entre les caractéristiques biométriques des canopées à A. nodosum et les abondances de cette littorine. Le deuxième axe de l’AFC renforce la ségrégation entre les sites mise en évidence par la présence des deux espèces de Fucus. En effet, les abondances maximales de Gibbula umbilicalis ont été observées à Penmarc’h et Molène tandis qu’Osilinus lineatus n’est présent qu’aux deux sites de Bréhat (Fig. II.5. & Tableau II.2.). Cependant, moins de la moitié des cadrats de chaque site contribuent significativement à cet axe et ne correspondent pas aux mêmes cadrats où les deux espèces de Fucus sont présentes. Cette apparente association entre les fréquences d’occurrence des Fucus et les densités des deux espèces de prosobranches ne peut donc pas être attribuée à une zonation particulière mais plutôt à la variabilité naturelle de la zone à A. nodosum. L’analyse des abondances animales renforce donc l’importance des espèces les plus typiques de la zone à A. nodosum que sont L. obtusata, P. vulgata, G. umbilicalis and O. lineatus. Parmi ces espèces, L. obtusata et G. umbilicalis sont principalement responsables des différences de densités entre les sites (Tableau II.2.). Pourtant, les différences de densités entre les sites ne suivent pas les différences observées pour la diversité algale. Ceci suggère que les abondances animales ne sont pas directement influencées par les histoires de récolte ou les caractéristiques hydrodynamiques qui semblent régir la diversité animale mais plutôt par d’autres forces qui n’ont pas été mises en évidence dans la présente étude.