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4.2.- La révision des curriculums

Nous avons vu plus haut que l’organisation du travail scolaire dans les classes reste fondée sur des pratiques pédagogiques axées sur la succession de trois phases : travail individuel, travail de groupe, synthèse collective. L’esprit de la réforme pédagogique semble s’être enlisé dans une ritualisation de démarches répétitives.

A un niveau supérieur à celui de l’activité en classe, celui de l’institution scolaire, les modalités de la forme scolaire d’éducation (découpage des matières sur base de programmes, découpage des activités scolaires en tranches horaires) n’ont pas été affectées par l’introduction du nouveau paradigme pédagogique. Or il devrait en être tout autrement : le primat d’une approche par compétences oblige à revoir la structuration des curriculums.

Premièrement, il est question d’acquisition de compétences et non plus de transmissions de savoirs ou de connaissances. Philippe Perrenoud (2000) rappelle qu’il importe de montrer que, loin de tourner le dos aux savoirs, l’approche par compétences leur donne une force nouvelle, en les liant à des pratiques sociales, à des situations complexes, à des problèmes, à des projets. Cette nouvelle orientation pédagogique peut prétendre au moins traiter de façon décidée de la question du rapport au savoir et du sens du travail scolaire.

Deuxièmement, l’introduction de l’APC oblige à questionner la pertinence des curriculums.

En effet, selon Perrenoud (2000), « aussi longtemps que chaque discipline développe son curriculum selon sa logique propre et sans référence à une approche par problèmes, les vertus d’une orientation vers les compétences resteront limitées. Si le système éducatif maintient les cloisonnements entre disciplines et ne donne pas aux compétences un " droit de gérance " sur les connaissances, selon l’expression de Gillet (1987) reprise par Tardif (1996), il est peu probable que se présentent régulièrement des problèmes et des projets susceptibles de mobiliser les acquis antérieurs. Les professeurs les plus convaincus peuvent certes tourner en partie l’obstacle en offrant un étayage approprié, en mettant à la disposition des élèves les connaissances qu’ils n’ont pas encore acquises, mais cette bonne volonté trouve rapidement ses limites dans un cursus où la programmation des savoirs disciplinaires n’est en aucune manière conçue pour favoriser leur mobilisation dans des projets interdisciplinaires ».

Perrenoud appuie son propos par des arguments avancés par Jérôme Bruner dans un entretien paru dans Le Monde : « A mon sens, le but de l’école n’est pas de façonner l’esprit des élèves en leur inculquant des savoirs spécialisés dont ils ne comprennent pas le sens et la raison d’être. Il faut que les élèves s’approprient une culture, intègrent des connaissances à partir des questions qu’ils se posent. Pour cela, il faut contester les programmes tout faits. On doit mettre en doute, discuter, explorer le monde. C’est ainsi que l’on s’approprie la culture, que l’on devient membre actif d’une société »67.

67 Extrait de Perrenoud P. (2000), « L’approche par compétences, une réponse à l’échec scolaire ? », in ACPC, Réussir au collégial. Actes du Colloque de l’association de pédagogie collégiale, Montréal, septembre 2000, disponible sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/2000_22.html, consulté

L’école béninoise pourrait-elle abriter un tel programme éducatif ? Nous avons déjà souligné les contraintes générées par les effectifs pléthoriques ; nous pouvons à présent interroger la notion de « culture », en nous inspirant des réflexions de Marie-France Lange lors des journées d’études de la revue « Raisons éducatives » du 26 février 2010 à Genève68.

Envisageant l’éducation au Vietnam, elle questionne la compatibilité entre pratiques culturelles (socialisation familiale, culture première) et procédés pédagogiques (culture seconde, culture scolaire). L’introduction des pédagogies actives au Vietnam doit tenir compte de l’influence des cultures confucéennes sur les élèves. Dans la conception confucéenne, l’enfant doit obéir sans poser de questions ; dès lors, l’appel aux pédagogies actives risque fort de rester lettre morte. La vision confucéenne de l’apprentissage reposait sur le principe d’un savoir détenu par un maître. A l’époque (551 avant Jésus-Christ), les principes qu’il énonçait pouvaient être avant-gardistes : «Je lève un coin de voile, si l’étudiant ne peut découvrir les trois autres, tant pis pour lui » (Extrait des Entretiens). Le maître aurait pour tâche de développer chez son apprenti un esprit critique et la réflexion personnelle. Si le maître détient le savoir, est-ce pour autant que l’élève constitue pour lui le germe qui n’a pas droit d’éclore ?

Rendant compte de ses recherches sur l’éducation au Vietnam, Marie-France Lange exprime l’influence des cultures confucéennes sur les élèves et donc sur toutes pratiques pédagogiques actives. Cette observation est révélée par plusieurs chercheurs qui ont travaillé dans des pays du Sud et en milieux pauvres. Les enfants de la plupart de ces pays sont éduqués pour obéir aux aînés sans poser de questions. C’est le droit d’ainesse. Généralement, ils ne disent rien sinon quand ils sont entre pairs. Quelles questions peuvent-ils poser à l’enseignant et qui feront objet d’exploration dans des circonstances pareilles ? C’est pourquoi Marie-France Lange conclut son intervention comme suit : Dans une société confucéenne l’enfant doit obéir sans poser de questions. Dans ce cadre l’appel aux pédagogies actives restent lettres mortes.

Nous pourrions nous poser la même question pour l’enfant africain, l’enfant béninois… Il n’y a que des chercheurs universitaires béninois (socioanthropologues, historiens, philosophes, ethnothéoriciens de l’éducation, historiens de l’éducation etc.) qui puissent répondre à ces interrogations. Boko (2009)69, pour sa part, estime que ces théories ne sont pas loin des réalités africaines. Elles sont bien adaptables et permettent de lire les activités cognitives des enfants africains compte tenu de leur héritage socio-culturel au sens le plus large, mais aussi le plus restreint. Pour lui, les inadaptations scolaires cernées dans le système éducatif sont surtout liées au mode de fonctionnement diamétralement opposé de l’école et de la famille.

On pourrait dire que les Africains, les Béninois n’ont pas su graver dans leur école les

le 2 avril 2014.

68 Intervention lors des journées d’études de la revue « Raisons éducatives », 26 février 2010, Genève.

Disponible sur http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/RaisonsEducativesGeneve.aspx, consulté le 2 avril 2014.

69 Boko, G. (2009). Psychologie et guidance en milieu africain. Introduction à une relation éducative plus réussie entre éducateurs, parents et enfants africains. Cotonou : CAAREC.

marques de la valeur culturelle qui caractérise l’enfant. Désorienté, perdu, l’enfant africain échoue dans ce qu’on lui exige à cause de tant de contradictions. Comme Boko (ibid.), nous constatons que l’enfant qui n’a pas le droit de donner son avis dans le milieu familial est appelé à argumenter à l’école : qu’attend-on de lui ? Nous pensons que le conflit des pratiques pédagogiques demeurera tant qu’on n’aurait pas analysé réellement, à partir des traditions, ce qui correspondrait comme pédagogie à l’enfant béninois70.

Dans la sphère éducative occidentale, soulignons que Claude Lessard (1998, cité par Beckers, 2002) abordait lui aussi les difficultés de l’école qui n’arrive pas à remplir son rôle de médiation culturelle auprès de tous les élèves de toutes les classes sociales.

4.3.- La nécessité d’une traduction opératoire de la nouvelle