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3.- L’élève béninois, acteur principal de sa formation ?

Ces repères théoriques étant posés, revenons-en aux traductions locales, dans l’enseignement du français au Bénin.

La vision donnée à l’APC au Bénin pourrait se résumer dans ce propos de Léon, cité par Macaire (Macaire, 1993 : 99) au sujet des pédagogies actives : « L’élève devient l’acteur principal de sa formation ; il agit au lieu d’écouter, de regarder et de subir. Il découvre la science de première main, il s’éduque lui-même. Quant au maître, il s’abstient de trop frayer la voie ; il met les élèves aux prises avec les difficultés et leur laisse le plaisir de triompher des obstacles. Sa tâche est celle d’un guide : il stimule les énergies et encourage les efforts ; il suggère parfois une solution, mais ne la donne pas toute faite ; jamais il n’enlève la joie de la découverte personnelle ».

Nos rencontres avec des personnes ressources (voir méthodologie) nous ont permis de dégager une représentation de l’APC mettant en scène une dichotomie entre savoir et savoir-faire. Ainsi, il nous a été dit que l’’approche par compétences repose sur l’utilité ou la nécessité de faire appel, de mobiliser et de développer les capacités et les habiletés des élèves, ou encore que la compétence n’est ni un état ni une connaissance possédée, qu’elle ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire, qu’elle n’est pas assimilable à un acquis de

formation. Posséder des connaissances ou des capacités ne signifierait pas être compétent : on peut connaître des techniques ou des règles de gestion comptable et ne pas savoir les appliquer au moment opportun. On peut connaître le droit commercial et mal rédiger des contrats. C’est de la même manière que l’on peut lire tous les ouvrages au programme de la littérature africaine et française et ne pas savoir mobiliser ces acquis pour illustrer un paragraphe argumentatif au Bac.

En outre, dans une souci d’affiliation aux principes ’socioconstructivistes, l’élève est promu acteur de la construction de ses apprentissages ; le comportement autocratique du professeur cède la place à la mise en action d’un apprenant qui construit ses apprentissages au gré des expérimentations. « L’élève construit son savoir en s’appuyant sur le groupe, sur son milieu ; il apprend plus vite quand il confronte ses pré requis, ses idées avec ceux des autres ; cette confrontation engendre le conflit cognitif qui, en le déstabilisant, crée en lui l’envie d’apprendre » (Gomez et Huannou, 2009 : 66). De ses interactions avec son environnement naissent les solutions aux problèmes.

Ces principes généraux sont déclinés dans des textes officiels, tels que le guide de la classe de troisième qui précise que, dans le cadre de l’APC :

1- l’enseignement est toujours rattaché aux connaissances antérieures de l’apprenant ; 2- l’enseignement est toujours interactif en situation de communication ;

3- l’enseignement est explicite : l’apprenant sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait ; 4- l’apprenant acquiert une autonomie progressive en devenant peu à peu responsable de

ses apprentissages ;

5- l’apprenant acquiert des connaissances ainsi que des outils pour les approprier et les développer. Ces outils, ce sont les stratégies d’apprentissage (Gbénou, 2011 : 3).

Ces principes généraux devraient inspirer les modalités d’organisation du travail en classe et conduire à une importante inflexion des pratiques pédagogiques. De fait, dans la pratique, nos observations montrent que les enseignants béninois recourent à une même stratégie de travail durant leurs leçons : ils font se succéder un temps de travail individuel (TI), de travail en groupe (TG) et de travail collectif (TC)63. Ils s’alignent ainsi sur un prescrit administratif, rappelé par les inspecteurs chargés de les former et de les encadrer. En plus de cette structuration chronologique du travail en classe, les inspecteurs prônent la résolution de problèmes et la résolution de projets.

L’intention paraît louable. Dans la représentation qui est donnée aux enseignants de l’activité pédagogique « légitime », l’élève est mis en action dans une phase de travail individuel, et cette action prend appui sur une tâche susceptible de susciter la réflexion, parce qu’elle tient

63 Cette pédagogie du groupe tire ses origines lointaines chez John Dewey (1900), et elle a été développée entre autres par Roger Cousinet (1920) et Kurt Lewin (1939).

compte des réalités environnementales de l’apprenant. Il y a donc, dans la mise en œuvre de l’action pédagogique en classe, une trace du projet constructiviste : l’apprentissage possède une dimension personnelle d’intégration des nouvelles connaissances et des connaissances antérieures. Les objectifs assignés à l’APC au Bénin, selon Labé, pourraient se résumer à l’idée que « l’enfant à former devra aussi être en mesure de résoudre des problèmes, de se prendre en charge lui-même, de communiquer aisément » (Labé, 200 : 6)64.

Dans un deuxième temps, c’est à une activité de groupe que l’élève est convié. Il s’agirait ici de valoriser le rôle des pairs dans une interaction de tutelle ou d’étayage (selon l’expression de Bruner, voir supra) : les apprenants, à partir de leurs recherches et discussions essaient d’élaborer une (meilleure) connaissance. C’est ainsi que le travail de groupe est prisé dans les résolutions des tâches en classe. Comme le souligne Boko (2009 : 209-222), ces interactions entre les pairs élèves d’une part, entre l’élève et l’enseignant d’autre part, favorisent le processus de l’assimilation de « l’inconnu » au « déjà connu ». L’école béninoise semble valoriser l’aspect coopératif de cette pédagogie. Cela étant, dans la partie plus empirique de ce travail, nous analyserons les effets de groupes (persuasion, domination, soumission, contagion mentale, conformisme, sympathie ou antipathie, leadership, pression exercée de façon manifeste ou latente envers certains membres du groupe, capacité d’autogestion, interactions multiples, distribution des rôles,…) sur les apprenants dans le processus de l’assimilation (Garnier & al., 2009) et les impacts de la systématisation de ce travail de groupe, en termes d’accommodation..

Plus fondamentalement, il faut aussi questionner la pertinence de la référence au groupe dans la perspective d’instauration d’une interaction de tutelle ou d’étayage.

Ainsi, Tanimomo (2000) montre dans sa recherche que le groupe est un excellent cadre d’épanouissement de l’enfant, car, il lui permet, au cours de l’apprentissage de se corriger par rapport à ses camarades, de reconnaître les limites de ses possibilités. Il lui permet également d’évaluer le poids des autres. Mais il souligne que la gestion des groupes est délicate : entre autre précaution à prendre, il faut éviter les groupes qui se forment par affinité en classe65. Et surtout, Macaire (1993 : 102), citant Dumas, attire l’attention des enseignants sur d’autres risques générés par le recours systématique au travail de groupe : « Sans doute le travail d’équipe crée un sentiment corporatif qui a une valeur sociale, mais dans la société scolaire qu’est une classe, il peut amener certains à répudier tout effort personnel de recherche. La passivité est tout aussi naturelle, à l’enfant que l’activité. Aucun procédé n’a une valeur universelle, et il faut toujours veiller à ce qu’une pratique efficace ne soit dévoyée par une application maladroite ». Nous soulignons que, dans l’argument de Macaire (ibid), il est question de travail d’équipe et non de travail de groupe : il nous faudra prendre en compte cette précision sémantique et considérer qu’un groupe d’élèves ne forme pas nécessairement

64Labé, F. (2000). In Bulletin d’échanges pédagogiques, n° 4, avril 2000.

65Tanimomo, (2000) Le travail en groupe et apprentissage de l’anglais dans nos établissements secondaires.

Mémoire de CAPES Anglais. Ecole Normale Supérieure (ENS). Porto-Novo.

et spontanément une équipe. Une activité de groupe peut-elle assimilée à un travail d’équipe ? L’activité conçue par l’enseignant n’a-t-elle pas pour finalité d’apprendre à travailler en équipe ? Il se pourrait en effet qu’en systématisant le travail de groupe, les enseignants – et ceux qui les encadrent – s’appuient sur une conception un peu trop élargie des thèses socioconstructivistes. Le concept de « zone de développement proche » cher à Vygotsky précise qu’en cas d’échec dans l’action de rééquilibration, le sujet peut recevoir l’aide d’un autre. Cet autrui en interaction avec le sujet jouera un rôle médiateur essentiel. Cet autrui est soit un aîné. (Beckers, 2011 : 49). Dans le cas d’une situation d’apprentissage, il pourrait être un pair, l’enseignant ou toute autre personne compétente (en ce compris des intervenants extérieurs au monde scolaire).

4.- Les enjeux de l’implémentation de l’APC dans