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En France, le mouvement du Réveil Sourd constitue le point de départ des études sur la langue des signes et les communautés sourdes. Les rencontres des sourds français et états-uniens au septième Congrès Mondial des Sourds de Washington D.C. en 1975 seront déterminantes dans la volonté des sourds français de créer ce mouvement. Les années soixante-dix et quatre-vingts marquent la naissance du Réveil Sourd par la création de l’International Visual Theatre de Paris, que nous présentons à travers le regard de l’un de ses fondateurs, Bill

39 Je traduis : « Tout comme nous pensions autrefois que la Terre était plate et se situait au centre de l'univers, nous avons autrefois supposé que la langue ne pouvait que prendre la forme de la parole vocale. Maintenant que nous savons que le cerveau peut tout aussi bien développer une langue parlée comme signée, nous devons réviser notre compréhension de la langue, dans toutes ses complexités ».

40 Je traduis : « Alors que le sens commun tend à définir la surdité exclusivement par les effets négatifs – problèmes d’accès à l’écriture et la lecture et de développement social et cognitif – l’approche du Deaf gain entend développer un certain nombre d'avantages sociaux, psychologiques et cognitifs ».

41 Je traduis : « Au sens le plus large, l'existence des Sourds et des communautés Sourdes contribue à une diversité bio-culturelle plus forte ».

Moody. Le Réveil Sourd se construit également à travers l’amorce des recherches en sociologie par Bernard Mottez, qui publiera à la suite du Congrès de Washington D.C. une étude : À propos d’une langue stigmatisée (1975). Il œuvrera à la reconnaissance de la langue des signes, notamment par son implication à faire reconnaître la dénomination langue des signes française42 et son statut de langue en France.

1.3.1 Témoignage   de   Bill   Moody  :   création   de   l’International   Visual  Theatre  en  1976  

Le chapitre que nous présentons développe le témoignage de Bill Moody, interprète aux États-Unis et membre fondateur de l’International Visual Theatre, créé en 1976 à Paris. Bill Moody est aujourd’hui considéré comme une figure incontournable du mouvement de revendication pour la reconnaissance de la langue des signes française, par sa participation à la mise en place des tous premiers dictionnaires de LSF. Un reportage de l’émission L’œil et la main (2017) lui a d’ailleurs été récemment consacré pour sa contribution importante à la valorisation de la langue des signes en France43.

1.3.1.1 Parcours  de  Bill  Moody  

Cet entretien retrace le parcours de Bill Moody, au moment de sa découverte de la langue des signes, jusqu’à son engagement au sein de l’International Visuel Theatre. Issu d’une famille entendante et n’ayant aucun rapport avec la surdité, il fait la connaissance d’une femme entendante de parents sourds qui interprète la messe en langue des signes. Le terme CODA, acronyme pour child of deaf adult est rarement traduit en français, mais possède néanmoins une traduction littérale : EEPS, c’est-à-dire enfant entendant de parents sourds.

BM-1: I grew up in Texas and I was going to church where there was an older woman who was a CODA ↓ she had deaf parents ↓ and they adopted her when she was a child in 1908 ↓ her parents were deaf and they adopted a hearing child / but they couldn’t adopt her formally because the court would never allow a handicap couple to take a perfectly normal child ↓ so / she was never adopted formally but she grew up with her parents ↓ she interpreted for them at church and when I met her she was in her fifties – and in 1964 when I was fourteen – I asked her // my mother and I asked her if she

42 Auparavant langage gestuel.

43 Émission L’œil et la main du 25 septembre 2017 : “Bill Moody, l’amour des signes”, sur France 5.

would teach us sign language ↓ and started teaching us / what is the sign for this and what is the sign for that – ↓44 (BM, 2015: 1)

En 1964, à l’âge de quatorze ans et jusqu’à ses dix-huit ans, Bill Moody apprend la langue des signes avec celle qu’il appelle son mentor. À vingt-et-un ans, après avoir été diplômé d’une licence en Théâtre, il entre en tant qu’interprète au Rochester Institute of Technology de New York, connu pour ses enseignements accessibles aux étudiants sourds signants. Le National Technical Institute for the Deaf est l’un des neuf collèges d’enseignement supérieur du Rochester Institute of Technology. Les enseignements s’y déroulent en langue des signes américaine.

BM-11: I liked the fact that she stood up in front of this big crowd of people – and everybody watched her and I wanted that too [rires] ↓ and that’s not a good reason but it was a reason ↓ I just liked it – so // little by little she would let me interpret songs in the church – and then eventually sermons and / things like that ↓ and she brought me along little by little but there was no rush ↓ so from the time I was fourteen until I was eighteen and graduated from High School and left town – she was my mentor ↓ // then I went to University also in Texas – in San Antonio and once in a while I would interpret at the church that was near by the campus – for money for the first time – but not very often ↓ I majored in Theater – again I guess for people to see me [rires] // and then – after I graduated at the age of 21 / I went to Rochester New York ↓ Rochester New York is where RIT – the Rochester Institute of Technology is – and also the National Technical Institute for the d/Deaf ↓ so the National Technical Institute for the Deaf was looking for interpreters ↓ they were new at that time ↓ I said « ok I’ll go – I’ll have a full-time job and I’ll get paid for the first time in my life – really »↓45 (BM, 2015: 1)

44 Je traduis : « j'ai grandi au Texas et à l’église où j’allais / il y avait une femme plus âgée qui était CODA - elle avait des parents sourds qui l’avaient adoptée quand elle était enfant / en 1908 ↓ ses parents étaient sourds et avaient adopté un enfant entendant / mais ils ne pouvaient pas légalement l'adopter // le tribunal n’aurait jamais permis à un couple handicapé d’adopter un enfant parfaitement normal ↓ elle n'a jamais été adoptée légalement mais elle a grandi avec ses parents ↓ elle interprétait pour eux à l'église et quand je l'ai rencontrée elle avait une cinquantaine d’années ↓ en 1964 / j'avais quatorze ans et je lui ai demandé // ma mère et moi lui avons demandé si elle accepterait de nous enseigner la langue des signes ↓ et elle a commencé à nous donner des cours / “quel est le signe pour ça et quel est le signe ça ” ↓ ».

45 Je traduis : « J'ai aimé le fait qu'elle se tienne devant cette foule de gens / et tout le monde la regardait et je voulais ça aussi [rires] ↓ ce n'est pas une bonne raison / mais c'était une raison ↓ j'ai simplement aimé ça ↓ alors // petit à petit elle m’a laissé interpréter des chansons à l'église / et ensuite des sermons ou des choses comme ça

↓ elle m’a accompagné petit à petit / il n'y avait pas de précipitation ↓ depuis l'âge de quatorze ans et jusqu'à mes dix-huit ans / quand j’ai été diplômé du lycée et que j’ai quitté la ville / elle a été mon mentor ↓ et puis je suis allé à l'université au Texas / à San Antonio / et de temps en temps j'interprétais à l'église proche du campus / en étant rémunéré pour la première fois / mais pas très souvent ↓ je me suis spécialisé en théâtre // encore une fois je suppose que c’était pour que les gens me voient [rires] // et puis / après avoir obtenu mon diplôme à 21 ans / je suis allé à l’université Rochester à New York ↓ où se trouve l'Institut de Technologie de Rochester / et aussi le National Technical Institut pour sourds ↓ l'Institut cherchait des interprètes ↓ l’institut était récent à cette époque

↓ j'ai dit “ok j'irai / je vais avoir un travail à temps plein et je vais être payé pour la première fois de ma vie / vraiment”↓ ».

Ayant entrepris un diplôme de master en théâtre, Bill Moody quitte New York pour Chicago où il fera sa première expérience de théâtre avec des comédiens sourds. Il décide de faire revivre un théâtre à l’abandon pour y faire jouer une pièce qu’il met en scène avec des comédiens de la communauté Sourde de Chicago. Le thème de sa pièce concerne la communication des enfants sourds - entre anglais signé et langue des signes américaine - où la langue des signes américaine est valorisée en tant langue de communication à privilégier auprès des enfants sourds. Cette étape de la vie de Bill Moody permet de comprendre les liens entre les fondateurs de l’International Visual Theatre en France et le travail de Bill Moody à cette époque aux États-Unis.

BM-30: then I decided to go back to school and get my Masters in Theater so I went to Chicago and in Chicago there was a theater of the Deaf that had been dormant for many years but there was paperwork nonprofit association ↓ […] For my Thesis – I decided to direct a play with the Deaf community ↓ so I resurrected the theatre – and got Deaf community to come and do a play about signed English ↓ because at that time – there was a big battle between ASL and Signed English ↓ then // it did create a lot of dialogue about what was the right kind of signing to use with deaf children ↓ and of course it was ASL ↓ it was the answer in the piece ↓ after Chicago – I stayed in Chicago after I graduated my Masters ↓ I stayed in Chicago one more year to direct a couple of things and make sure the Chicago of the Deaf Theater would continue and I left ↓ but it didn’t ↓ it continued maybe for another year then went to sleep again ↓ but community theaters in the deaf community always do that ↓ IVT46 is very exceptional ↓47 (BM, 2015: 1)

Bill Moody tentera de faire perdurer le théâtre qu’il a fait renaître, sans succès. Le Chicago of the Deaf Theater ferme ses portes à la suite de son départ. C’est à son retour à New York qu’il fait la rencontre d’Alfredo Corrado, le fondateur principal de l’IVT, qui souhaite monter une pièce en langue des signes. Les premiers liens se créent entre Bill Moody et Alfredo Corrado, qui connaît son parcours d’interprète, comédien et metteur en scène. En 1976, Alfredo Corrado lui fait part de son projet de pièce de théâtre en langue des signes, en France, à Paris.

46 International Visual Theater

47 Je traduis : « et puis j'ai décidé de retourner à l'école et pour obtenir ma maîtrise en théâtre ↓ je suis allé à Chicago / et à Chicago / il y avait un théâtre pour sourds qui était abandonné depuis de nombreuses années mais qui existait toujours administrativement sous la forme d’une association à but non lucratif ↓ j'ai décidé de monter une pièce avec la communauté Sourde ↓ j’ai ressuscité le théâtre / et j'ai demandé à la communauté Sourde de venir jouer une pièce sur l'anglais signé / parce qu'à cette époque / il y avait une grande bataille entre ASL et Signed English ↓ ça a généré beaucoup d’échanges sur la bonne méthode de signes à utiliser avec les enfants sourds ↓ et bien sûr, c'était l’ASL ↓ c'était la réponse dans la pièce ↓ après Chicago // je suis resté à Chicago après avoir obtenu ma maîtrise ↓ je suis resté à Chicago une année de plus pour diriger un certain nombre de choses et m'assurer que le Chicago of the Deaf Theatre continuerait et je suis parti ↓ mais ça n'a pas duré ↓ ça a continué peut-être une année de plus / et puis le théâtre s’est rendormi à nouveau ↓ les théâtres pour sourds finissent toujours comme ça ↓ l’IVT est vraiment exceptionnel ↓ ».

BM-76: Then when I left Chicago – I came to New York ↓ the summer I came to New York – Alfredo was in New York – Alfredo Corrado ↓ he was looking for an interpreter for a creative drama class for a theater for children – in the hearing world ↓ he was looking for an interpreter and he saw my name on a list – as soon as I got to New York I put my name on a list for the agency that works with interpreters – he saw my name and he knew me from the National Theater of the Deaf when I was in College ↓ he remembered my name and he called me ↓ I interpreted for him and then he said « do you want to come to France » ↑ that was in 1976 ↓ the bicentennial of the United States ↓48 (BM, 2015: 3)

1.3.1.2 Histoire  de  l’International  Visual  Theatre  à  Paris    

Des fonds sont accordés à l’équipe qui se crée pour voyager en Europe et tenter de réunir une troupe de théâtre composée d’acteurs sourds de toute l’Europe. L’objectif initial de l’IVT est différent de la gestion actuelle du théâtre : son nom est un héritage de la vision internationale qu’Alfredo Corrado souhaitait implanter au moment de sa création. L’idée de départ consistait en effet à réunir une troupe composée de deux acteurs sourds de chaque pays d’Europe afin de créer une compagnie internationale.

BM-84: 1976 / the state department gave money to the International Theater Institute for Alfredo and some other deaf actors and some hearing administrators to tour Europe and try to find two deaf people from every country who would come to Paris and set up IVT ↓ it was to be an International group with two deaf actors from every country and we went on tour that fall in 1976 ↓

E: who started the project ↑ was it Alfredo who wanted it ↑

BM: it was actually a friend of Alfredo who works at the ITI – the International Theater Institute ↓ he wanted to establish an international group of deaf actors who would have a new visual language for the theater ↓49 (BM, 2015 : 3)

La France est choisie comme étant le pays où le théâtre se développerait. Ce choix s’explique par la présence de Jean Gremion à Paris. Jean Gremion est le troisième fondateur d’IVT. Il

48 Je traduis : « quand j'ai quitté Chicago / je suis venu à New York ↓ l'été où je suis arrivé à New York / Alfredo était à New York / Alfredo Corrado ↓ Il cherchait un interprète pour un cours d’expression créative pour un théâtre pour enfants / dans le monde entendant ↓ il cherchait un interprète et il a vu mon nom sur une liste / parce que dès que je suis arrivé à New York / j'ai mis mon nom sur une liste de l'agence qui travaillait avec des interprètes ↓ il a vu mon nom / il me connaissait par le National Theatre of the Deaf / quand j'étais à l’université ↓ il s'est souvenu de mon nom et il m'a appelé ↓ j'ai interprété pour lui et ensuite il m'a dit “est-ce que tu veux venir en France” ↑ c'était en 1976 ↓ pendant le bicentenaire des États-Unis ↓ ».

49 Je traduis : « BM : en 1976 / le département d'État a donné de l'argent à l’International Theater Institute pour Alfredo et d'autres acteurs sourds et aussi pour des administrateurs entendants pour qu’ils puissent aller en Europe / essayer de trouver deux personnes sourdes de tous les pays qui viendraient à Paris et créeraient l’IVT ↓ le but c’était d’être un groupe international avec deux acteurs sourds de tous les pays // on est partis en tournée à l'automne 1976 ↓

E: qui a lancé le projet ↑ Alfredo ↑

BM: c'était en fait un ami d'Alfredo qui travaille à l'ITI / l'International Theatre Institute / il voulait établir un groupe international d'acteurs sourds qui aurait un nouveau langage visuel pour le théâtre ↓ ».

travaille à cette période à Paris pour l’International Theatre Institute et connaît Alfredo Corrado et son projet de création d’un théâtre international. L’équipe, composée notamment d’Alfredo Corrado, Bill Moody et Jean Gremion, voyage à travers sept pays d’Europe afin de recruter de nouveaux comédiens. À l’époque, il n’existe pas de comédiens sourds ou très peu se produisant en Europe, les comédiens qui se présentent sont des personnes sourdes n’ayant pas de lien avec le théâtre, ni de formation spécifique.

BM-94: that guy was a friend of Jean Gremion in Paris who was working for ITI in Paris ↓ so they planned this tour and we went to seven or eight countries ↓ we would announce a theater workshop for any deaf people who wanted to come ↓ we never know who was going to come but there were no deaf actor at the time ↓ you couldn’t make money as a deaf actor so there were a few mimes – we just got regular deaf people to come and they did a little non verbal workshop and found out that we could communicate with them without problem ↓ it was my first time in what we called at that time International Gestures ↓ now we call it International Sign ↓50 (BM, 2015: 3) À la suite des rencontres avec les futurs comédiens internationaux, l’équipe retourne en France et demande un soutien financier des Ministères de la Culture, des Affaires Sociales de chaque pays pour faire venir les acteurs. Les demandes seront toutes refusées, à l’exception des Pays-Bas qui acceptent de financer le séjour de deux comédiens. Le projet d’un théâtre international ne verra pas le jour. L’équipe fondatrice se tourne alors vers les comédiens français présents sur place et crée l’International Visual Theatre, un théâtre de comédiens sourds français.

BM-106: we did the tour – we asked the governments to send two deaf people from every country to Paris ↓ the Ministers of Culture – the Social Affair or whatever because the two hearing administrators – Jean and the American whose name was / Maurice – had many connections / and with the ITI / they had connections ↓ every government said « no » except for the Netherlands – they said yes and sent two people

↓ we didn’t have a group of two deaf people from every country so that idea was dropped but the French group that came to our workshop at the end was a really good group ↓ they were really interesting – intelligent young deaf people who were interested ↓ they decided to make IVT a French Deaf Theater ↓ that’s how IVT was created and we started it in Le château de Vincennes – in the winter time it was very cold ↓ […] at the very beginning we were maybe thirty deaf people who went down to maybe more like ten ↓ […] when we started to get known – we would go to theater festivals around Europe ↓

50 Je traduis : « ce type était un ami de Jean Gremion à Paris / qui travaillait pour l’ITI à Paris ↓ ils ont planifié cette tournée et on est allés dans sept ou huit pays ↓ on annonçait un atelier de théâtre pour les personnes sourdes qui voulaient venir ↓ on ne savait jamais qui allait venir // il n'y avait pas d'acteurs sourds à ce moment-là ↓ vous ne pouviez pas gagner de l'argent en tant qu'acteur sourd // il y avait quelques mimes ↓ des sourds qui n’étaient pas acteurs sont venus / ils ont fait un petit atelier non verbal et ont vu qu’on pouvait communiquer avec eux sans problème ↓ c'était ma première rencontre avec ce qu’on appelait à l'époque les gestes internationaux ↓ qu’on appelle maintenant les signes internationaux ↓ ».

E: hearing ones ↑

BM: hearing ones yes ↓ the first shows – there was no signing really and no speaking – it was all visual ↓ the avant-garde theater loved it ↓ I would interpret for them for

BM: hearing ones yes ↓ the first shows – there was no signing really and no speaking – it was all visual ↓ the avant-garde theater loved it ↓ I would interpret for them for